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Économie - Irak

À Erbil, la patience des Libanais pourrait leur rapporter gros

Les investisseurs sont encouragés par la protection américaine du Kurdistan irakien et le départ de Maliki qui pourrait débloquer la crise politique.

Photo archives

Erbil vient de connaître son « Annus horribilis ». Alors que le conflit entre les autorités du Kurdistan irakien et le pouvoir central à Bagdad a éreinté l'économie de la région autonome kurde, l'avancée fulgurante des jihadistes de l'État islamique (EI, ex-Daech) a donné l'impression d'avoir achevé les espoirs de tant d'investisseurs, dont un grand nombre de Libanais, venus tenter leur chance dans ce nouvel eldorado.
« La situation économique a commencé à se dégrader bien avant l'offensive des jihadistes à Mossoul », explique Alain Hannouche, avocat de plusieurs compagnies libanaises installées au Kurdistan irakien et juriste d'affaires établi à Erbil. Selon lui, le problème majeur a été durant toute une période le conflit politique entre le gouvernement kurde à Erbil et le gouvernement central à Bagdad. « Le bras de fer entre l'ex-Premier ministre Nouri el-Maliki et le Kurdistan a entraîné une grave récession dans cette région.
Il faut savoir que cette province autonome touche, selon la Constitution, 17 % du budget total de l'Irak. Or, suite à ce conflit, Bagdad a refusé pendant longtemps de transférer de l'argent à Erbil pour faire pression sur les Kurdes. Du coup, le Kurdistan ne recevait aucune somme d'argent du Trésor public, et les fonctionnaires n'ont pas été payés depuis belle lurette », explique Alain Hannouche, ajoutant que « le manque de liquidités a entraîné l'arrêt d'une partie importante des grands projets financés par l'État, ce qui a gravement sanctionné les entrepreneurs et tous ceux qui travaillent dans le secteur, non seulement du bâtiment, mais des télécoms, etc. ».
Les entreprises se sont vues piégées entre le fait de se retirer des projets en cours, ou bien de continuer à travailler en attendant d'être rémunérées plus tard. « C'est le cas de plusieurs grandes compagnies libanaises qui ont investi des sommes énormes, selon Alain Hannouche, et qui espèrent toujours d'être payées rapidement. »

 

Les petites entreprises touchées
« La crise qui a touché le Kurdistan a surtout affecté les petites entreprises », affirme pour sa part, Jean A., entrepreneur libanais et propriétaire du groupe Mountain Gate, à Erbil. « Les Libanais qui viennent d'investir dans le pays, et qui ont dépensé toutes leurs économies dans leur projet, ont énormément souffert, puisqu'ils ne pouvaient pas se permettre d'attendre davantage pour engranger des bénéfices qui tardaient à venir, affirme-t-il. Certains ont dû mettre la clé sous la porte. Je connais personnellement deux restaurants libanais qui ont fermé récemment », ajoute-t-il.
Ces faillites sont dues à un autre problème que la région a encouru : la fermeture des frontières entre le Kurdistan et le reste du pays, déclare Alain Hannouche. « Suite à la dégradation de la situation sécuritaire dans le reste de l'Irak, notamment à cause des attentats qui ont secoué le pays depuis des mois, le gouvernement local a renforcé les conditions d'entrée au Kurdistan », affirme-t-il. Conséquence directe de cette politique, selon lui, « les Irakiens arabes ont arrêté de venir faire leurs achats à Erbil. Or les Arabes sont les premiers consommateurs et clients de la région. Ils remplissaient les centres commerciaux, les restaurants, etc., contrairement aux Kurdes qui ne sont pas très dépensiers. Cette conjoncture a influé négativement sur les secteurs de la restauration et du divertissement ».


Pour Charbel Abi Nader, manager de « Bakery and more » (une boulangerie, pâtisserie et restaurant) à Erbil, il y a actuellement une atmosphère d'abattement dans la ville. « Il y avait avant la montée en puissance des jihadistes en Irak près de 17 000 Libanais venus travailler et investir dans le Kurdistan, une région qui avait un potentiel énorme », se rappelle-t-il. Or, estime M. Abi Nader, « le conflit politique avec Bagdad, et ses répercussions, notamment la pénurie d'essence qui a frappé la région dernièrement, ont fini par saper le dynamisme économique qui prévalait dans la région du Kurdistan depuis quelques années ».
Et pour finir, la proximité des combats a déstabilisé la confiance des investisseurs, du moins à court terme. « Plusieurs établissements ont dû fermer, après les lourdes pertes qu'ils sont subies, notamment dans le domaine de la restauration. Le secteur du bâtiment a été lui aussi gravement touché, se répercutant sur plusieurs autres secteurs concomitants », précise-t-il, ajoutant « qu'une carrière appartenant à un Libanais, et proche du fameux barrage de Mossoul où de violents combats ont eu lieu récemment, a arrêté de fonctionner à cause du manque de projets et de commandes ».

 

Plus de peur que de mal
Jean A. estime par ailleurs que la croissance économique qui s'est légèrement contractée dernièrement à Erbil est « surtout à cause de la peur engendrée par les combats qui se sont déroulés à proximité. Néanmoins, le Kurdistan irakien n'a pas été touché par les violences et il n'y a aucune crainte concernant la sécurité à Erbil. Avec l'éloignement du danger, la vie reprend son train-train habituel ».
Toutefois, ajoute Charbel Abi Nader, « le flux énorme de déplacés, notamment des chrétiens qui ont tout perdu, ne va pas faciliter la situation ». Selon lui, « des milliers de chrétiens sont venus sans un sou. Ils seront donc beaucoup plus un poids supplémentaire sur l'économie d'Erbil ».
Pour M. Abi Nader, « la situation actuelle est très critique pour ceux qui ne peuvent pas attendre davantage. Les établissements forts seront ceux qui peuvent supporter cette période, en attendant des jours meilleurs ». Jean A. abonde dans le même sens : « Les compagnies libanaises de grande envergure ont pu résister au choc. Elles sont déjà bien implantées sur le marché. Elles peuvent se permettre de travailler au ralenti en attendant des jours meilleurs. » Selon lui, « leur patience sera récompensée parce que le Kurdistan, malgré cette crise passagère, est en plein boom économique. D'autant plus que les Kurdes sont généralement reconnaissants. Ils apprécient ceux qui ont été à leurs côtés dans les moments difficiles, et ne les ont pas lâchés ».

 

Les Libanais, premiers à croire au potentiel du Kurdistan
L'entrepreneur libanais estime par ailleurs que ses compatriotes « ont un autre atout important : ils ont été parmi les premiers à croire au potentiel du Kurdistan, et ils ont l'expérience nécessaire pour travailler dans un pays qui sort d'un conflit ».
Pour Jean A., « il est important de noter que le pays est sorti de la crise politique avec Bagdad et de l'instabilité sécuritaire avec succès, et sa résilience n'est plus à prouver. En tout cas, le bénéfice pour les Libanais est énorme dans ce pays à l'avenir prometteur ».
Même son de cloche chez Alain Hannouche : contrairement à l'avis général, la dernière crise pourrait être extrêmement bénéfique pour Erbil. « D'une part, les investisseurs sont encouragés par l'intérêt américain de protéger la région. D'autre part, la crise sécuritaire a permis de débloquer la crise politique avec le départ de Maliki et la désignation d'un nouveau Premier ministre. Une situation très encourageante qui devrait permettre de renouer le contact et renforcer la confiance entre les deux parties. Ce qui pourrait faire débloquer rapidement les fonds du Trésor prévus dans le budget et consacrés au Kurdistan. En gros, la période à venir pourrait apporter son lot d'optimisme, malgré les difficultés actuelles », conclut-il.

 

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commentaires (1)

Espérons que la période à venir pourra apporter son lot d'optimisme non seulement à Erbil mais dans tout le moyen orient en flammes .

Sabbagha Antoine

21 h 34, le 03 septembre 2014

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Commentaires (1)

  • Espérons que la période à venir pourra apporter son lot d'optimisme non seulement à Erbil mais dans tout le moyen orient en flammes .

    Sabbagha Antoine

    21 h 34, le 03 septembre 2014

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