L’armée se trouva bien dépourvue quand la bise fut venue

En principe, le Liban bénéficie d'un parapluie international et régional destiné à le protéger de tout dérapage sécuritaire. En principe aussi, l'armée libanaise bénéficie d'un large appui international et régional, en plus du consensus interne, qui devrait lui permettre d'affronter les ennemis du pays et de protéger ses frontières. Trois conférences internationales ont été même organisées, à New York, à Paris et à Rome pour affirmer clairement le soutien de la communauté internationale à l'armée libanaise.

Et pourtant... celle-ci « se trouva fort dépourvue quand la bise fut venue », pour reprendre la célèbre fable de Jean de La Fontaine. Il a donc fallu que le commandant en chef de l'armée annonce sa volonté de recourir à la Russie pour que les États-Unis décident enfin d'accélérer l'arrivée de nouvelles armes à la troupe. En principe, cette livraison avait été prévue à l'avance et elle n'est que le début d'une longue série. Mais il est difficile, même pour les experts militaires, de ne pas faire le lien entre cette rapide livraison et l'orientation vers la Russie... Toujours est-il que l'aide américaine est la bienvenue surtout au moment où l'armée se trouve entraînée dans une guerre d'usure avec les éléments armés de l'État islamique et du Front al-Nosra dans le jurd de Ersal.

Selon une source militaire, l'armée savait lorsqu'elle avait riposté, il y a un mois à l'agression dont elle avait été victime, que cette confrontation ne pouvait pas se terminer facilement, surtout à cause de la position ambiguë de certaines politiques qui continuent, directement ou non, à couvrir les éléments armés. On a vu par exemple, la semaine dernière sur la chaîne NTV, un cheikh pressé par le présentateur du talk show, refuser de qualifier les attaques contre l'armée d'actions terroristes, préférant dire qu'il s'agit d'erreurs. De même, dans un autre talk show sur la LBCI, le ministre de la Justice Achraf Rifi a mis sur un pied d'égalité la menace que représente l'EI et celle que représente le Hezbollah pour le Liban, sachant que le même Hezbollah est représenté dans le gouvernement et que ses membres siègent aux côtés de Rifi. Le Premier ministre Tammam Salam a été prié de commenter ces propos de l'un des principaux ministres de son gouvernement, mais il a refusé de le faire. C'est dire que la confusion au sujet de la position réelle du courant du Futur ou de certains de ses alliés continue de régner. Même si le chef de ce courant, Saad Hariri, avait lui-même contacté le commandant en chef de l'armée pour lui déclarer son appui dans la guerre menée contre les groupes terroristes. Il avait ensuite dépêché auprès de lui son émissaire personnel, pour confirmer cet appui. Mais la réalité reste moins claire sur le terrain.

La confrontation du début du mois avait en effet montré que l'armée devait respecter des lignes rouges occultes dans son combat contre l'EI et al-Nosra. D'une part, elle ne devait pas s'approcher des camps de réfugiés syriens et, d'autre part, elle n'avait pas de mandat pour lancer des perquisitions et arrêter des personnes à l'intérieur de Ersal. Finalement, l'armée a réussi à reprendre les positions qui avaient été attaquées, tout en consolidant sa présence su les collines surplombant Ersal. Mais pour aller plus loin dans la confrontation, il lui aurait fallu des moyens plus grands, notamment des hélicoptères de combat, et une couverture politique plus nette. Aujourd'hui, sa mission officielle consiste à surveiller les déplacements des uns et des autres et lorsqu'elle tombe sur un flagrant délit, elle arrête les contrevenants, tout en se voyant obligée de se justifier par le biais de communiqués explicatifs de la direction de l'orientation, pour ne pas essuyer les critiques de la classe politique. Résultat : elle est la cible d'attaques de temps à autre, mais ne peut pas entreprendre une riposte à grande échelle.

La même source militaire révèle encore que les éléments armés ont multiplié récemment leur présence dans le jurd, notamment à cause des combats menés de l'autre côté de la frontière par l'armée syrienne et le Hezbollah. La grande crainte est, à cet égard, la possibilité que ces combattants parviennent à reprendre des bastions dans le secteur de Zabadani. Ce qui leur permettrait d'ouvrir un nouveau front avec l'armée libanaise, dans la Békaa centrale et peut-être dans la Békaa-Ouest. Selon la source militaire, si le champ de bataille s'élargit, la situation sur le terrain serait plus grave, surtout si les éléments armés ont ce qu'on appelle désormais « des cellules dormantes » dans certains villages de la Békaa centrale ou même dans la Békaa-Ouest. C'est pourquoi, estime la source militaire précitée, il est plus que jamais indispensable de doter l'armée d'une véritable couverture politique claire. La même source militaire précise aussi qu'en ouvrant la voie au recrutement au sein de l'armée et des FSI, le gouvernement a aussi fait preuve d'ambiguïté, puisque dans les circonstances actuelles, les jeunes cherchant un emploi préféreront sans hésiter intégrer les FSI plutôt que l'armée où ils risquent de se faire tuer. La source militaire précitée reconnaît que le ministre de l'Intérieur fait preuve de courage et d'un grand sens des responsabilités, mais ses efforts ne suffisent pas dans une période aussi délicate, tant qu'ils ne s'inscrivent pas dans le cadre d'une politique collective. L'armée est finalement l'une des principales institutions du pays, garantes de la souveraineté et de l'indépendance. Dans un contexte régional, aussi délicat et explosif, l'heure n'est plus aux nuances et aux demi-mesures.

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