Non, Samir Geaga – aussi mûr serait-il devenu – ne sera pas président. Ni un autre maronite sunnite, quel qu'il soit, selon cette formule, cruelle et assez douteuse, il faut le dire, mais à la mode. Ainsi en a décidé le Hezbollah qui, ukase après ukase, impose des diktats probablement téléphonés de Téhéran, prenant en otage, c'est ce que ce parti sait faire de mieux, en politique bien sûr, une présidentielle embourbée dans le conflit sunnito-chiite qui dévaste la région.
Et les voilà bien attrapés, ces chrétiens affligés d'une bien courte vue, eux qui se frottaient déjà les mains à la vue de cette zizanie intermusulmane sanglante ; eux qui pensaient ainsi regagner une primauté galvaudée depuis les années 70. Et les voilà réduits à quêter les satisfecit en tout genre des deux frères ennemis.
Comment expliquer autrement la cour effrénée d'un Michel Aoun, pourtant intronisé depuis belle lurette maronite chiite pur jus par son allié hezbollahi, à son adversaire sunnite Saad Hariri, qu'hier encore il vouait à toutes les gémonies? Un Hariri Jr qui, à son tour, entretient par habileté, laisse-t-il dire, une folle espérance chez les partisans du général qui le voient déjà à Baabda, tout en distillant inquiétude et gros doutes dans l'esprit de son ami Geagea. Tellement que le chef des FL a pris l'avion jusqu'à Paris, via l'aéroport de Beyrouth malgré les menaces sécuritaires, pour se rassurer et connaître le fin mot de l'histoire. Il avait vu apparemment juste puisque son hôte a eu le culot de l'inviter à adouber son adversaire permanent le plus farouche. Pure manœuvre, mise en scène ou véritable revirement cynique ? On ne tardera sans doute pas à le savoir.
Curieuse agitation quand même. Ces deux fidèles ennemis dans la chrétienté ne savent-ils pas comme tout un chacun que le nom de l'élu ne sortira que du bazar sunnito-chiite en gestation entre Riyad et Téhéran ? Qu'ont-ils fait de leurs talents, ces deux-là, et leurs coreligionnaires avec eux, pour se taire et subir pareilles avanies ?
Voilà où en est le maronitisme politique ; voilà à quelles extrémités en sont réduits les meilleurs d'entre eux et les autres candidats potentiels, censés représenter leur communauté à la plus haute magistrature de l'État. À qui donc Michel Sleiman va-t-il pouvoir céder en toute quiétude une fonction à laquelle il a pu courageusement redonner un peu d'éclat la veille de son départ ?
Qu'en est-il également de Bkerké, et de sa gloire d'antan, vers lequel tous les yeux des Libanais, chrétiens et musulmans réunis, se tournaient, vers lequel toutes les oreilles se tendaient ? Ici et maintenant, le chef de l'Église maronite en personne, patriarche d'Antioche et de tout l'Orient, n'est pas épargné. Il parraine des accords entre chefs maronites qui ne sont pas honorés ; donne des conseils, sollicités par ces mêmes chefs, qui ne sont pas respectés, et multiplie des mises en garde superbement ignorées.
Le comble ? Un Hezbollah – silence assourdissant à Rabieh – qui veut lui dicter sa conduite jusque dans les affaires paroissiales internes, en cherchant à l'empêcher d'aller en Terre Sainte – une outrecuidance qui en arrive même à choquer les anticléricaux dont je suis.
D'où vient un tel effondrement politico-religieux au sommet ? C'est simple : jusqu'en 1975, les chrétiens en général et les maronites en particulier détenaient un pouvoir pratiquement illimité, malheureusement démesuré. Depuis, en une quarantaine d'années seulement, ils ont perdu complètement la mise, le pouvoir aussi, et n'ont plus leur mot à dire de manière effective. Fourvoyés dans des guerres d'ego surdimensionnés, ces zaïms d'un autre âge ne se sont jamais fendus d'une seule autocritique collective, n'ont jamais tenu en urgence de vraies assises pour dresser le bilan de leur déconfiture et sauver l'essentiel, alors qu'un ouragan balaie toute la région, les menaçant dans leur existence même et celle de leur pays.
Faute de se ressaisir, de s'entendre sur des décisions historiques à la hauteur du moment et de reprendre leur destin en main, les hiérarchies chrétiennes, politiques et religieuses confondues, ont raté une occasion unique de redevenir des partenaires à part entière, de se retrouver, comme auparavant, aux premières lignes des révolutions en cours, au lieu de se ranger frileusement, comme des seconds couteaux, derrière des régimes honnis sous le couvert d'un fallacieux pacte des minorités.
Ils auraient réussi, faudrait-il le répéter, comme dans les années 50 avec la Renaissance arabe, aux côtés des musulmans modérés et des démocrates laïcs, à combattre la répression tyrannique, à contrer en même temps les dérives extrémistes et à sauver le Liban des menées obscurantistes qui le guettent. N'est-ce pas mieux que de pleurer leur âme et de se faire jeter, comme dans les pays alentour, sur les chemins de l'exode ?
Leur châtiment – et paradoxalement leur seul espoir – pour avoir aussi dramatiquement failli serait l'avènement d'un rêve, celui de tout républicain et de tout démocrate : un État citoyen et laïc où seuls le savoir et le mérite – et surtout pas l'appartenance communautaire ou la religion – accorderaient le droit et l'honneur de servir, à tous les niveaux, la République.
Si elle existe encore !
Maronites en perdition
OLJ / Par Abdo CHAKHTOURA, le 20 mai 2014 à 00h00
commentaires (14)
TITRE À CORRIGER : PERDITION DES MARRONS.. ITES ! ITES... OU : " E.T. " ?
LA LIBRE EXPRESSION
18 h 22, le 23 mai 2014