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Fièvres noires

De toutes les mauvaises fièvres qui font des ravages sous nos latitudes, l'électorale n'est certes pas la moins mortelle, comme on peut le constater un peu partout, ces jours-ci : la raison en étant que si certains Arabes se sont affublés, rien que pour la galerie, d'un mince vernis de simulacre de démocratie, ils ont, à l'évidence, oublié d'en lire le mode d'emploi.

Meurtrière élection présidentielle ainsi, le 3 juin prochain en Syrie, où, sourd aux protestations, Bachar el-Assad entend s'octroyer un deuxième septennat au beau milieu d'une guerre civile qui a déjà fait 150 000 morts. De ce scrutin sont évidemment exclus d'office les candidats de l'opposition (s'il s'en trouvait pour prendre part à la sanglante mascarade). De même sont interdits de vote les millions de citoyens syriens qui, pour sauver leurs vies, ont fui leur pays sans s'embarrasser d'un visa de sortie. En revanche, et dans un généreux effort d'imagination réformatrice, le tyran de Damas renonce à la routine des référendums, en vigueur depuis des décennies en terre d'Assadie, pour mettre en scène une véritable élection, avec adversaires et tout et tout. Dans le lot des figurants de service, on trouve même deux femmes et un chrétien, preuve incontestable de l'attachement à la modernité et à la laïcité d'un parti Baas acharné à combattre le terrorisme islamiste...

Meurtrière consultation populaire en Irak de même, où c'est à coups d'attentats-suicide à la bombe que l'opposition riposte à la fraude pratiquée à grande échelle par le très démocrate chef du gouvernement Nouri al-Maliki. Et présidentielle franchement pathétique en Algérie où un vieillard miné par la maladie, visiblement à bout de forces, vient d'être littéralement ligoté, de peur qu'il n'en tombe, à son précieux fauteuil.

Au Liban, le grand malade c'est le concept même d'opération électorale, élément pourtant fondamental de cette démocratie dont nous nous réclamons à grands cris, avec tant d'immodestie. Pour commencer, voilà en effet un Parlement failli qui s'offre royalement un an et demi de vacances payées parce qu'il n'a pu s'accorder sur une loi électorale. Et voilà ensuite qu'au premier tour de l'élection présidentielle une bonne moitié de ces mêmes élus font insulte au mandat populaire qui leur a été donné pour pratiquer une peu digne obstruction : manœuvre appelée à se reproduire, notamment par défaut de quorum, dès la deuxième séance programmée pour ce matin.

La notion d'élection n'est pas seule à se porter mal dans cette république gangrenée par la corruption et sujette aux humeurs des forts à bras, comme aux outrances des forts en gueule. S'érigeant en État dans l'État, en armée émule de l'Armée, les premiers ont inlassablement sapé les institutions ; c'est à la ruine de l'économie qu'œuvrent, eux, les seconds. L'actuelle fronde sociale n'est en effet que le résultat logique d'une démagogie effrénée dont les auteurs, confrontés à l'implacable rigueur des chiffres après avoir abreuvé de mirifiques promesses les fonctionnaires, ne savent plus comment se dépêtrer.

L'exceptionnelle effervescence de la rue en témoigne : la rapacité des politiques n'est plus, dans ce pays, le seul signe de mauvaise santé.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

De toutes les mauvaises fièvres qui font des ravages sous nos latitudes, l'électorale n'est certes pas la moins mortelle, comme on peut le constater un peu partout, ces jours-ci : la raison en étant que si certains Arabes se sont affublés, rien que pour la galerie, d'un mince vernis de simulacre de démocratie, ils ont, à l'évidence, oublié d'en lire le mode d'emploi.
Meurtrière...