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D’éthique au tac

Mercredi dernier sur le ring de la présidentielle, le poids lourd Samir Geagea, champion du 14 Mars, ne trouvait face à lui qu'un challenger fantôme, un amas de bulletins blancs. Le même phénomène ne manquerait d'ailleurs pas de se reproduire si, contre toute probabilité, le quorum parlementaire parvenait à être réuni pour le deuxième round, fixé à mercredi prochain.


Que ce match soit rien moins que sportif n'étonne plus personne, en l'état de déchéance où se trouve la pratique du jeu démocratique au Liban. La dernière en date de ces perversions est l'exigence d'un quorum des deux tiers, cavalièrement maintenue pour toutes les réunion futures de l'Assemblée. Avec une bonne dose de fatalisme – et une pinte de cynisme –, on pourrait même considérer qu'en ces temps d'infortune, toutes ces entorses sont de bonne guerre. En faisant preuve d'optimisme cette fois, on pourrait néanmoins espérer qu'une série assez longue de sessions avortées finira bien par produire un consensus sur un président de compromis, et donc accepté de tous.


Il y a plus consternant encore cependant que le dévoiement de la démocratie : c'est l'incroyable dégradation des mœurs, la disparition de toute éthique politique affectant, de nos jours, une large part de la population parlementaire. L'illustration en était amplement faite lors de ce premier round du 23 avril. Car il n'y avait pas, ce jour-là, que des bulletins blancs pour faire barrage à une éventuelle, une hypothétique, une impossible élection au premier tour de Samir Geagea.


Croyant rappeler aux esprits le passé sulfureux du leader des Forces libanaises, certains élus ont ainsi accordé leurs suffrages à des victimes d'assassinats et autres violences, dont des enfants. Pire qu'une erreur, c'était là une faute : non point seulement indigne, le procédé était parfaitement stupide. Chef de milice durant une des phases les plus meurtrières de la guerre de quinze ans, Samir Geagea, c'est vrai, n'est pas précisément un ange. Or ce lourd passé, il l'a expié de onze années de cachot souterrain. De tous les seigneurs de la guerre aux mains copieusement tachées de sang pourtant, il est même seul à l'avoir fait, presque seul aussi à avoir fait publiquement son mea culpa : seul oui, pour la bonne raison que tous les autres s'étaient acheté une place au soleil, en même temps qu'une immunité longue durée en se soumettant au joug de l'occupant syrien.


C'est tout cela que rappellent en bloc les cartons rouge sang de mercredi dernier : c'est le palmarès non moins accablant des autres qui, tant qu'à remonter à la guerre, ont massacré des civils désarmés. Ou qui ont bombardé sans états d'âme des populations innocentes. Ou qui ont abandonné par dizaines à leur sinistre sort – passés au fil de l'épée ou emmenés en captivité – leurs compagnons d'armes. Ou enfin qui, en temps de paix cette fois, ont versé dans l'attentat terroriste à la bombe et le meurtre ciblé de personnages politiques, et dont les hommes à tout faire, c'est-à-dire tout tuer, sont actuellement poursuivis par la justice internationale.


On ne jette pas ce genre de pierre quand on a des maisons de verre. On ne va pas fouiller les tombes quand on abrite toute une collection de squelettes dans sa propre armoire. C'est se tirer sur le pied. C'est ce qui s'appelle le coup de pied de l'âne.

Issa GORAIEB
igor@lorient-lejour.com.lb

Mercredi dernier sur le ring de la présidentielle, le poids lourd Samir Geagea, champion du 14 Mars, ne trouvait face à lui qu'un challenger fantôme, un amas de bulletins blancs. Le même phénomène ne manquerait d'ailleurs pas de se reproduire si, contre toute probabilité, le quorum parlementaire parvenait à être réuni pour le deuxième round, fixé à mercredi prochain.
Que ce match...