La ville de Tripoli souffle enfin. Depuis plusieurs jours, pratiquement depuis la mise en place du énième et dernier plan de sécurité, les habitants de la capitale et des deux axes ennemis, Bab el-Tebbané et Jabal Mohsen, peinent à réaliser ce qui leur arrive : leurs quartiers respectifs semblent s'orienter, lentement et sûrement, vers la stabilité et la pacification, rendues possibles depuis que l'armée a pris la situation en main au lendemain du feu vert qui lui a été enfin concédé par le nouveau gouvernement en place.
Il aura fallu dix minutes, pas une seconde de plus en Conseil des ministres, pour décider de délier les mains de l'institution militaire qui, des décennies durant, a payé de son sang le prix du rôle de force tampon qui lui avait été prescrit à Tripoli par ces mêmes politiques, ou leurs semblables – peu importe le changement des noms et des détenteurs des portefeuilles –, qui attendaient à leur tour semble-t-il le feu vert ou multicolore des forces régionales, un changement de circonstances et, probablement, le Saint-Esprit pour l'inspiration finale.
Des décennies durant, depuis 2008 pratiquement pour la seule période des affrontements dits contemporains, la ville saigne au su et au vu du regard passif de la classe politique, emportant dans le sillage de la folie meurtrière des civils innocents dont des dizaines d'enfants et de femmes, mais aussi de braves soldats jetés en pâture pour nourrir les appétences de pouvoir des politiques des deux bords.
Certes, les idéologies en présence et la polarisation pro et anti-Bachar exacerbée à outrance par la guerre qui gronde aux portes de la capitale du Nord devaient jouer un rôle additionnel dans ce jeu de la mort que les politiques s'ingéniaient à recréer à chaque fois, se contentant simplement parfois de souffler sur la braise encore chaude pour rallumer le feu.
Et voilà que d'un coup de baguette magique, la danse macabre entre le quartier alaouite et le quartier sunnite s'arrête d'un coup : changement de musique, changement de décor aussi, décrètent les grandes puissances internationales et régionales que le bras de fer mené en Syrie a fini par faire plier, les acculant à reconnaître et à faire avec la logique du rapport de forces en présence.
Changement de tactique et d'orientation, martèlent les maîtres chanteurs locaux, qui par un simple tour de table ont enfin concédé à la troupe d'aller faire le nettoyage là où il pouvait être fait – et sous certaines conditions seulement – pour enfin faire régner une façade d'État dans cet îlot de chaos organisé qu'était devenue cette banlieue de Tripoli.
Compétition politique oblige, échéances électorales et ministérielles aussi, le compromis trouvé consistait à mettre fin au bain de sang qui coulait entre les « frères ennemis » dans les deux quartiers les plus turbulents du pays.
L'un après l'autre et à la manière d'un jeu de quille, les fameux caïds que jadis l'on craignait tant, nourris et ravitaillés en armes par des politiques (bien connus du grand public) avides de plasma, ont disparu des lieux. Les uns ont été arrêtés par l'armée, les autres se sont magiquement évanouis dans la nature : en Syrie, dans un hôtel cinq étoiles, pour le chef des alaouites Rifaat Ali Eid que certains ont même propulsé dans leur imaginaire politique vers les États-Unis (un fantasme qui pourrait néanmoins se vérifier par la suite) ; en Turquie pour les chefs de gang du quartier sunnite rival dont certains, mais non les plus importants, ont toutefois été éliminés alors qu'ils combattaient la troupe qui s'acquittait de sa mission.
Aux informations faisant état d'une dizaine de Cadillac blindées entrées clandestinement, il y a près de deux semaines, à Jabal Moshen par une personnalité politique éminente du Nord, pour exfiltrer le chef du Parti arabe démocratique vers des lieux plus sûrs, sont venues s'ajouter d'autres obtenues hier par L'Orient-Le Jour faisant état d'un scénario semblable qui a eu lieu dimanche dernier à Bab el-Tebbané. À la différence près de la marque des voitures mises à leur disposition, les grands caïds sunnites de la localité auraient été vraisemblablement acheminés vers la Turquie.
Une valse de transfuges qui prouve bel et bien que le politique peut faire des miracles quoi qu'on en dise. Voir disparaître avec une telle dextérité et en un clin d'œil ceux qui ont semé la terreur et la mort des décennies durant, tuant, brûlant et détruisant tout sur leur passage, démontre clairement que les politiques de notre pays notamment peuvent faire la pluie et le beau temps quand ils le désirent et à chaque fois que les intérêts et les circonstances le leur dictent.
Et les Tripolitains dans tout ça ? Pour ces derniers, peu importe l'élixir qui a pu engendrer un tel miracle. Ce qui compte, c'est que la page de la guerre récurrente est enfin tournée. Dimanche, ils ont inondé les rues pour crier leur joie, sorti leurs vélos pour sillonner en toute sécurité la ville qu'ils ont réinvestie du goût de la vie.
C'est d'ailleurs en ces termes crus mais ô combien réels que commente une source non politique proche du dossier, la résurrection des Tripolitains : « Les manifestations de joie des habitants de la ville reflétées dimanche sur nos écrans devaient exprimer la fin d'un long conflit entre une large (la majorité ?) partie de la société tripolitaine – et par extension libanaise – et leurs leaders dont le seul souci était d'assujettir en les terrorisant les gens par caïds et chefs de gang interposés. »
Tout est dit dans ces propos.
Pour mémoire
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commentaires (4)
LES DEUX À TROIS MILLE FANATICO-EXTRÉMISTES, LES PERCHÉS ET LES NON PERCHÉS (SURTOUT LES PERCHÉS!), TENAIENT LA VILLE EN OTAGE. JE LE RÉPÉTAIS SOUVENT AU FORUM. LES TRIPOLITAINS NE SONT PAS FANATIQUES. ET J'INVITERAI DE TOUT COEUR MADAME SCARLETT HADDAD À TRIPOLI, LORSQUE JE SERAI AU LIBAN, POUR LUI MONTRER LA VILLE ET MANGER DU BAKLAVA TRIPOLITAIN !
LA LIBRE EXPRESSION
15 h 04, le 16 avril 2014