« Il doit y avoir pour les Libanais un espoir. » Un tweet de l'Élysée citant François Hollande. Lire la phrase, la relire, la répéter à voix haute et prendre conscience, non pas du simple fait que la France nous souhaite en quelque sorte bonne chance, mais d'une réalité que nous avons tendance à occulter : nous sommes donc désespérés. Ce n'est pas encore très visible. Nous sommes par ailleurs très inquiets pour l'Ukraine. On a le snobisme qu'on peut.
Dans cette ville pays qu'est Beyrouth, à part le commerce qui va cahin-caha, la sécurité qui tient à pas grand-chose, le niveau de vie, le niveau de tout qui recule au galop, après tout, on ne se plaint pas trop. On sait bien qu'il y a chez nous, officieusement, plus d'un million de réfugiés syriens : le quart de la population libanaise à son niveau actuel, qui est déjà pléthorique. On le sait, mais étrangement, on ne les voit pas. On voit leurs voitures,de la guimbarde à la berline, immatriculées à Damas, Homs ou Deir ez-Zor. Ils conduisent discrètement, n'abusent pas du klaxon, cèdent le passage quand il le faut. Il y a deux ans, ces mêmes véhicules étaient surchargés, de l'habitacle à la galerie, des reliques d'une vie interrompue derrière l'Anti-Liban. Aujourd'hui, ils circulent sans bagage, signe qu'ils se sont installés quelque part où ils tentent de recoller leurs morceaux. C'est heureux. Mais nous n'avons pas eu d'hiver. L'eau manque déjà. En été, ce sera pire. Nos infrastructures et nos moyens sont trop fragiles pour une telle pression démographique.
On sait aussi que les confins du Nord sont bombardés tous les jours. Quand ce ne sont pas des chutes d'obus aléatoires, c'est l'aviation syrienne qui s'y met. On sait que dans ces zones si enclavées que la civilisation elle-même n'y a pas accès, des cheikhs promettent à des jeunes, naïfs et misérables, les verts pâturages de l'au-delà. C'est là que se fabriquent les kamikazes et leurs machines infernales. On sait aussi qu'à Tripoli, le front Bab el-Tebbaneh-Jabal Mohsen est continuellement en ébullition. Plus personne ne va à Tripoli. Mais la deuxième ville du Liban ne mérite pas ce mépris. Il y vit une population digne, raffinée et généreuse qui tente courageusement de lutter contre la barbarie en s'accrochant à la culture et à l'éducation. À Tripoli, les gens lisent bien davantage qu'à Beyrouth. On sait qu'au Sud, Israël est sur les dents, même si le Hezbollah est occupé ailleurs. Israël n'a jamais eu besoin de prétextes sérieux pour nous faire un sort. On sait surtout que les enfants nous manquent. Que la vie passe ainsi, dans cette attente et cette appréhension de leur retour. Nous espérons que « la situation sera bonne » en été. « Il doit y avoir pour les Libanais un espoir », a dit François Hollande. À tout prendre, s'il ne doit y avoir qu'un seul espoir, autant que ce soit celui-là.
Mais nous ne sommes pas désespérés. Nous sommes habitués. C'est différent. C'est pire. « Une âme morte, c'est aussi une âme extrêmement habituée », écrivait Paul Claudel. Mieux que l'espoir, Monsieur Hollande, nous avons l'espérance. Mais qu'on nous préserve de l'habitude.
commentaires (10)
Mais ce Mr Hollande est le symbole du déséspoir...il vit sur les acquis de ces predecesseurs.... vivement que l'histoire accélére et qu elle nous débarrasse du ridicule... à moins qu un jour il se reveille et décide de nous débarrasser du régime syrien , ce matin là il y aura de l 'espoir...
CBG
11 h 21, le 07 mars 2014