La troisième intifada

Émoi à Hollywood : l'actrice Scarlett Johansson vient de se faire virer par Oxfam. Mais comme on est entre gens du monde, l'ONG britannique a eu l'élégance de laisser à la star de The Avengers la liberté d'annoncer qu'elle renonçait de son plein gré à son statut, assumé depuis huit ans, d'ambassadrice, jugé « incompatible » avec sa promotion d'une entreprise israélienne implantée dans les territoires palestiniens occupés. Dans un communiqué, elle évoque « une divergence fondamentale d'opinion », estimant que la compagnie SodaStream International Ltd « non seulement respecte l'environnement mais contribue aussi à jeter un pont de paix entre Israël et la Palestine ». Une opinion qui n'est pas partagée par Oxfam pour qui ce genre de firmes opérant dans les colonies accentue la pauvreté et aggrave le déni des droits des Palestiniens.

L'affaire, on le voit, ne relève plus de la rubrique people, puisque la politique, après la presse et le monde des affaires, s'en mêle. Daniel Birnbaum, directeur de l'usine, considère celle-ci tantôt comme « un modèle de coexistence et de paix dans la région » et tantôt, dans un entretien avec l'hebdomadaire juif new-yorkais The Forward, d'« épine au pied » (« a pain in the ass », dit-il moins élégamment). À Munich où se tenait le week-en dernier la conférence sur la sécurité, John Kerry avait asséné devant un auditoire médusé : « Le statu quo actuel (dans les pourparlers de paix) ne peut persister. La paix, la prospérité actuelles sont illusoires. Le risque pour Israël est grand. Certains parlent de boycott, un mouvement qui, en cas d'échec, s'accentuera. »

Cédant à son penchant à jouer les matamores, Benjamin Netanyahu a jugé « immoral "et" injuste "un boycott" qui pousserait les Palestiniens à se montrer intransigeants, ce qui éloignerait les perspectives de paix ». Yuval Steinitz, son ministre des Affaires stratégiques, est allé plus loin, soulignant que son pays n'entend pas « négocier en ayant un revolver sur la tempe ». Le tout-puissant Congrès juif mondial, lui, n'a pas hésité à dénoncer ce qui lui paraît être une entreprise « antisémite et dénuée de morale ».

Des membres du cabinet et des milieux d'affaires ne cachent pas leur inquiétude devant l'ampleur d'une vague qui touche désormais l'Europe et les États-Unis. Le monde du business va jusqu'à lancer une campagne publicitaire demandant au Premier ministre d'accélérer la signature d'un traité de paix avec l'Autorité palestinienne « pour sauver l'économie ». C'est qu'il y a urgence : la semaine dernière, le Fonds souverain norvégien (600 milliards d'euros d'investissement) a inscrit sur sa liste noire deux compagnies israéliennes accusées d'aménager des points de peuplement dans la partie arabe de Jérusalem et l'Union européenne a décidé de bloquer le financement de tout projet appelé à voir le jour au-delà des lignes de juin 1967.

Yaïr Lapid, ministre des Finances, a tiré la sonnette d'alarme, affirmant qu'un échec des pourparlers de paix serait de nature à renforcer la position des défenseurs du mouvement BDS (boycott, désinvestissement, sanctions). Les chiffres qu'il a avancés à ce propos sont impressionnants. Le pire est à venir, a-t-il estimé, si le dialogue venait être rompu. Et d'égrener une série de préivisions. Le recul des exportations atteindrait 4,2 milliards d'euros et le PIB chuterait d'environ 2,3 milliards d'euros par an ; humainement, cela se traduirait dans un premier temps par des licenciements qui frapperaient près de 10 000 travailleurs. Sur le Vieux Continent, certaines chaînes de supermarchés ferment leurs étalages aux produits agricoles cultivés sur la rive occidentale du Jourdain. Selon l'Organisation de libération de la Palestine, les importations de l'UE en provenance des territoires occupées représentent annuellement un total de 229 millions d'euros et les exportations vers l'Union constituent le tiers du volume des échanges commerciaux.

Tout aussi grave : le boycott touche depuis quelque temps les universités US avec l'entrée en lice de l'American Studies Association (ASA), faisant dire à Tzipi Livni, ministre de la Justice : « Nous allons nous transformer bientôt en un grand point de peuplement » et à Lapid : « Le monde entier s'impatiente devant nos tergiversations et nous risquons de perdre à la fois notre légitimité et l'appui de nos amis. » Dans une tribune publiée par le New York Times, l'ancien rédacteur en chef du Jerusalem Report Hirsch Goodman se lamente : « L'isolement est plus dangereux potentiellement que le nucléaire iranien. » Et plus loin : « Les jeunes Palestiniens et la nouvelle génération qui les appuie (...) ont compris que les pierres de la première intifada et les attentats-suicide de la seconde intifada sont les armes d'une ère déjà révolue. »
L'avertissement surviendrait-il trop tard ?

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