Rechercher
Rechercher

Culture - Agora 1 au théâtre Tournesol

Une société déshumanisée dénoncée par le Laboratoire théâtral de Damas

Dans le cadre du forum Agora 1 au théâtre Tournesol, la voix est à la Syrie. « Hadatha haza ghadan » (C'est arrivé demain), une pièce pointue, donnée par le Laboratoire de théâtre de Damas. Pour la dénonciation, en termes noirs et durs, d'une société violente, misérable et déshumanisée.

Des femmes qui déversent leur hargne et leur colère de vivre.

Trois acteurs arabes pour quatre auteurs modernes européens, «syrianisés» dans une traduction en langue arabe. Celle-là même qui inonde dans ses modulations, sur nos petits écrans, les feuilletons et les soap opéras turcs qui abrutissent le public et font pleurer ou sourire Margot dans les chaumières... Mondialisation dramaturgique pour dénoncer l'anarchie, la violence faite aux femmes et les crimes d'une société contemporaine régie par le lucre, toute sorte de dictatures et détestables rapports de force.


Un théâtre tout en images lugubres, lenteur assassine et réalisme repoussant. Pour vomir les horreurs d'un système aux frustrations innombrables, aux valeurs fausses et faussées, à la liberté confisquée et bâillonnée.
Gradins en bois et chaises en plastique pour un public regroupé au-devant des feux de la rampe, à même le plancher de la scène. Pour être en union et communion, dans une action presque de participation avec les acteurs. Pour un texte et un mutisme tendus, dérangeants, provocateurs. Installation guère révolutionnaire, car de pratique depuis des lustres. Installation tournant carrément le dos au confort des sièges rouges en salle, définitivement vides. Comme pour s'imbiber totalement du malaise et du mal de vivre exposés dans l'espace à très proche proximité, dans une piaule aux relents « gorkiens ».


D'abord ce texte concocté avec finesse et cousu de main de maître, comme une dentelle aux crochets qui ne lâchent pas. Un détonant mélange de pages groupant les mondes (pour certains, il est vrai un peu dévoyés de leur essence) des dramaturges munichois Frantz Xavier Kroetz, le prix Nobel de la littérature Dario Fo et sa sulfureuse compagne Franca Rame, ainsi que du Britannique Mark Ravenhill à qui on emprunte un passage de sa pièce, au titre teinté de verdeur, Shopping and Fucking...


Ces bouts d'univers sont savamment brodés les uns aux autres pour témoigner du drame de vivre, célébrer les incommensurables possibilités de l'aire scénique et surtout s'entretenir de la quête du sens d'une vie. Thèmes qui s'appliquent aussi bien à l'Occident qui ploie sous la surconsommation qu'à l'Orient indolent et affrontant ses démons. Sexuels, pulsionnels, éducationnels, politiques. Tous à la même enseigne des sous-
privilégiés, des dominés, des surexploités, des mécontents.


Dans un décor de misère fait de bric et broc d'une chambre de bonne, d'ouvrière, ou de pute bas de gamme, un homme rencontre une jeune femme qui brigue d'urgence un poste d'emploi. Et tout s'enclenche pour prouver que les êtres sont des marchandises comme les autres... Humiliation, révolte et résignation du sexe féminin réduit et forcé à dévoiler ses charmes.


Dans un agaçant mur de silence, le plan suivant propose la mécanique insignifiante d'une autre femme qui rentre, vannée, de son boulot. Gestes ternes et gris, rapport haineux à son propre corps, neurasthénie de la solitude. Dans un mutisme tendu, elle fait sa tambouille, lave ses plats dans l'évier, se caresse le ventre, enlève ses collants, se met à l'aise. Au dam et ennui du spectateur, irrité par cet étalage de gestes insipides et dérisoires. Et qui durent indéfiniment.


À côté d'elle, la frôlant, la toisant, la scrutant, l'autre femme, comme un fantôme invisible, déverse sa hargne et sa colère de vivre. Et déballe, en une plaidoirie corsée et vipérine, sa descente aux enfers des prostituées. Après avoir révélé un inceste paternel dont elle dit ne plus s'en souvenir.


Injurieux chapelet de confessions d'une femme blessée et meurtrie. Une femme qui fait face à la frénésie et le machisme des hommes obnubilés par le sexe facile, dominateur, sale et monnayé. Debout sur un lit, le rouge à lèvres dessinant des grandes lignes sanguinolentes sur son chemisier blanc, elle déverse en vocables crus la litanie des horreurs et des cruautés en prison des femmes.


Désespérance des êtres, surtout des femmes, dans un monde privé de lumière. C'est avec un verre d'arak (avec vrais glaçons sortis du frigidaire. Ici pas d'entorse à un réalisme outrancier !) et un flacon de barbiturique tranquillement avalé que la femme aphone décide de partir. Pas d'issue.


Presque deux heures de représentation (ouf !) pour une pièce qui se voudrait le reflet de ces temps lugubres et sanglants, de ces années de plomb.
Mise en scène sobre, au texte habilement agencé, d'une lenteur exaspérante, d'un réalisme implacable, signée Oussama Ghanam. Les acteurs (Amal Omran, Mohammad al-Rachi et Nawar Yusef) sont impeccables. Pas une seule fausse note. Pour tous.
La muflerie du patron, le mutisme hermétique de la femme solitaire et la diarrhée verbale de la poupée publique en révolte sont irréprochablement campés et incarnés.


Un théâtre oppressant qui met le doigt sur la plaie. Un théâtre faux divertissement, une mise en garde qui touche au plus près, comme un soin clinique, comme une incision douloureuse, comme une amputation sans alternative, le mal de vivre contemporain. On n'y entre pas impunément tant il verse, têtu et entêté, privé d'espoir, dans le refus de toute négociation ou compromis. Comme si la miséricorde et la mansuétude de Dieu sont irrémédiablement absentes de cette vie.

Trois acteurs arabes pour quatre auteurs modernes européens, «syrianisés» dans une traduction en langue arabe. Celle-là même qui inonde dans ses modulations, sur nos petits écrans, les feuilletons et les soap opéras turcs qui abrutissent le public et font pleurer ou sourire Margot dans les chaumières... Mondialisation dramaturgique pour dénoncer l'anarchie, la violence faite aux femmes...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut