Cinquante-deuxième semaine de 2013.
Ce n'est pas seulement parce qu'on a assassiné un bon, un juste ; pas seulement parce que cet homme était l'archétype du Libanais idéal : érudit, humaniste, tolérant, modéré et sage, un Libanais dont les Libanais sont fiers, et dont ils finissent par oublier l'appartenance communautaire et politique. Ce n'est pas seulement, non plus, parce qu'ils n'en peuvent plus de regarder tomber des hommes que n'importe quel tordu du 8 Mars, du sous-fifre au chef, accuse publiquement et en bavant d'être à la solde des Américains, des Saoudiens et/ou des sionistes. Ce n'est pas seulement, aussi, parce qu'ils sont en overdose de sang, de ruines, de feu, de douleur et de peurs. Si les Libanais sont tristes à en crever depuis qu'ils ont appris la mort de Mohammad Chatah, c'est à cause de cette certitude implacable, mathématique et irréversible : le pays ne stagne même plus, il est en pleine régression, en pleine dégénérescence ; c'est de nouveau la plongée dans le Moyen Âge, pire, dans l'âge de pierre des années 2005-2008 avec leur cortège de voitures piégées et leurs infinies métastases. Et cela est absolument insupportable, psychologiquement et physiquement.
Surtout que la capacité des sunnites du Liban et d'ailleurs, de tous les sunnites, du plus libéral au plus salafiste, à s'en prendre plein la gueule et à se résigner quasiment en silence, n'est sûrement pas élastique : arrivera le moment où c'est à mains nues qu'ils se jetteront sur ceux qu'ils tiennent pour responsables de leurs malheurs depuis une dizaine d'années. Et ce moment-là n'est plus très loin : en assassinant Mohammad Chatah, en dynamitant la tempérance, les tueurs n'ont pas compris à quel point ce geste pourrait leur être fatal. À quel point la bête est prête.
Il est impensable, il est impossible, à deux semaines de l'entrée en scène du Tribunal spécial pour le Liban, que le martyre de Mohammad Chatah et des autres victimes de l'attentat de ce 27 décembre ne provoque pas quelque chose, qu'il n'ait pas de conséquences politiques imparables. Impensable que, comme d'habitude, il n'y ait que des mots. Le message n'était pas uniquement adressé à Saad Hariri ou à l'Arabie saoudite. Loin de là. En tuant l'un des technocrates les plus doués de sa génération, les assassins étaient clairs : que Michel Sleiman et Tammam Salam n'essaient même pas de proposer un cabinet neutre.
Or c'est exactement ce que ce clan du centre doit imposer. Sans attendre. Sans attendre même que Mohammad Chatah ne soit enterré aux côtés de Rafic Hariri. Imposer un gouvernement de 6, de 12, de 30, peu importe, un gouvernement uniquement composé de Mohammad Chatah de toutes les communautés. Imposer, réellement, constitutionnellement, parce qu'il y aura, dans tous les cas de figure, un nouveau 7 Mai et/ou d'autres apocalypses pour 2014, avec ou sans cabinet neutre, avec ou sans tentative de sauver, fût-ce un minimum, ce pays, cet État désormais totalement désincarné.
Le gang Assad et le Hezbollah 2.0 (aounistes digérés) veulent brûler le Liban ? À la bonne heure. Qu'il y ait au moins un gouvernement Salam. C'est la tête (très) haute que Michel Sleiman pourra alors s'en aller, le 26 mai, cultiver son jardin amchiote. C'est un somptueux prénom que se fera alors Tammam Salam. Et c'est avec un immense, un magnifique sourire que se réveillera alors, là-haut, Mohammad Chatah.
Liban - En dents de scie
Point à la ligne
OLJ / Par Ziyad MAKHOUL, le 28 décembre 2013 à 00h00
commentaires (7)
L'AVOCAT DU DIABLE : IL N'Y A PLUS DE LOGIQUE... C'EST LA JUNGLE TOUT COURT... JE NE SUIS PAS DE L'AVIS DE MONSIEUR MAKHOUL QU'UN SOULÈVEMENT DES FORCES DU QUATORZE MARS OU UNE INSURRECTION OU GUERRE CIVILE DONNERAIENT QUELQUE RÉSULTAT OU APPORTERAIENT QUELQUE SOLUTION. LA SOLUTION N'EST MÊME PAS AUX MAINS DES LIBANAIS. ELLE RÉSIDE DANS DES NÉGOCIATIONS ENTRE LA GRAND SATAN ET LE CHEF PERSE DE L'AXE DU MAL... LE LIBAN ÉTANT DEPUIS DEUX DÉCENNIES UNE CARTE AUX MAINS DU PERSE... C'EST LÀ QU'IL FAUT POUSSER !
LA LIBRE EXPRESSION
11 h 17, le 29 décembre 2013