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Culture - Culture

« Boîte Noire » de Issam Boukhaled, ou la révolte permanente

« Boîte noire » est le dernier opus signé Issam Boukhaled, créé et présenté en avant-première en Allemagne, au Festival de théâtre arabe organisé par le Théâtre An Der Ruhr de Mulheim. Plongée dans l'univers noir et révolté d'un artiste qui ne se résout pas au silence.

L’ange et la suicidée dans un dialogue de fin du monde...

Par terre, le corps d'une femme, désarticulé, face contre terre; autour, un chantier figuré par des structures en fer dont la base est recouverte de béton verdâtre. Un ange, le costume un peu défraîchi, la mèche de cheveu plaquée sur le visage, est suspendu à une colonne. « Tu ne tueras point, tu ne voleras point, tu ne mentiras point... tu peux juste mourir. Il te suffit de prononcer ta dernière parole. Tout ce que tu as fait sera comptabilisé; tout ce que tu as dit enregistré», débite-t-il sur un ton excédé. Un soupir de lassitude, et il conclut: «Cela fait des centaines de milliers de fois que je répète ces même phrases. Je suis fatigué, psychiquement à bout. Je prends cette dernière âme et c'est terminé. J'arrête.»

Pas le temps de souffler, le spectateur est tout de suite plongé dans un bain de noirceur, de désespérance... L'univers de Issam Boukhaled, superbement servi par les complices habituels: Bernadette Houdeib et Said Serhan, et une nouvelle arrivée, bien acclimatée, Marielise Aad.

De quoi s'agit-il dans ce nouvel opus? L'ange, exécuteur des basses besognes du Très-Haut, a pour charge de recueillir le dernier souffle, d'enregistrer la dernière parole des mourants avant qu'ils ne rejoignent l'au-delà. Là, l'ange est devant une femme qui a tenté de se suicider après avoir été violée et torturée par sept hommes sur un chantier en cours de construction. Mais voilà, cette femme, au moment d'expirer, change d'avis, ne veut plus mourir, ne trouve pas la phrase à dire à l'ange, a besoin d'en dire plus qu'une simple phrase... Boîte noire se déroule dans cet infime laps de temps entre vie et mort, entre espoir et néant. Loin d'être triste, la pièce de Issam Boukhaled est explosive, comme un feu d'artifice. Les répliques des trois personnages puisent dans le parler libanais toutes sortes d'expressions qui font référence à Dieu, à la religion... Mais leurs actes, eux, ne sont pas ancrés dans les principes de la religion, loin s'en faut. La supplique de l'un (l'ange) ou des deux autres (la femme à terre et celle coulée dans le béton) provoque parfois le sourire ; plus souvent la sidération. La fiction décrite par les mots est rattrapée par la réalité insoutenable qu'ils décrivent.

Et comme un dernier cri de désespoir, l'ange de la mort, même lui, finit par se suicider tellement l'humanité ne lui inspire plus aucun espoir.

Issam Boukhaled explique d'emblée qu'il avait juré qu'on ne l'y reprendrait plus à faire du théâtre. « J'avais décidé de me taire, il n'y a rien d'autre à faire», lance-t-il. Mais « toute cette sauvagerie qui sévit aujourd'hui, au nom de Dieu, pour moi c'en était trop, il fallait réagir.» Le déclic, le prétexte de ce retour sur scène, c'est un fait divers qui le lui donne : « Dans les années 90, une jeune femme avait été retrouvée, morte, coulée dans une colonne en béton d'un immeuble en construction. Elle avait été violée et torturée par les sept ouvriers qui travaillaient là. Cette affaire n'a pas fait long feu. On en a parlé un ou deux jours et puis elle est tombée dans les oubliettes», explique Issam, estomaqué. Peu importe le comment du pourquoi de cet acte odieux. Le propos de Issam Boukhaled, c'est de dénoncer l'attitude de toute une société face aux crimes de plus en plus odieux et impunis qui s'y déroulent et qu'elle couvre par son silence indifférent. Une société que plus rien ne révolte, qui assiste, inactive, à la montée progressive et irréversible de la sauvagerie... à la mort de sa propre humanité.

«Nos quotidiens sont pétris de Dieu, nos actes les plus terribles sont fait au nom de Dieu», remarque Issam Boukhaled. «Je ne suis pas athée, mais en tant que croyant, je ne peux pas ne pas me poser des questions, une multitude de questions qui ne trouvent aujourd'hui aucune réponse satisfaisante. »
Et le summum de l'horreur, ce sont ces «oiseaux de paradis» qu'on entend pépier... c'est une référence à ces images d'une violence inouïe, qui passent en boucle sur tous les écrans, présentant des charniers d'enfants... « Ces enfants sont morts pour une bonne cause, nous assure-t-on », rappelle le metteur en scène, lui-même père de deux enfants. «Mais a-t-on demandé à leurs parents s'ils étaient d'accord pour que leurs enfants soient sacrifiés pour une cause, quelle qu'elle soit, et quand bien même c'est le paradis qui les attendrait au bout du chemin?» s'interroge-t-il. «C'est ici et maintenant que je veux donner à mes enfants le paradis.» Et l'au-delà attendra...

Le Festival de théâtre arabe a également programmé Page 7 de Issam Boukhaled, Le monde du silence de Issam Boukhaled et la troupe Decibels, des jeunes sourds-muets, ainsi que Alice de Sawsan Boukhaled.

Par terre, le corps d'une femme, désarticulé, face contre terre; autour, un chantier figuré par des structures en fer dont la base est recouverte de béton verdâtre. Un ange, le costume un peu défraîchi, la mèche de cheveu plaquée sur le visage, est suspendu à une colonne. « Tu ne tueras point, tu ne voleras point, tu ne mentiras point... tu peux juste mourir. Il te suffit de prononcer...

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