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À La Une - Conférence

À qui profite le contrôle exercé sur le Web libanais ? Diagnostic des écueils juridiques...

L’observatoire juridique al-Moufakkira al-Qanouniya a examiné « l’illégalité » des compétences exercées par le bureau de lutte contre les crimes cybernétiques, sur fond d’interrogatoires « violents et intimidants ».

L’interrogatoire subi par Mohannad Hage Ali a suscité une campagne civile et médiatique qui a abouti à la prise en charge de son dossier par le juge compétent. Photo d’archives du site d’information nowlebanon

Les instances qui régulent les activités médiatiques et culturelles au Liban sont souvent contestables, tant au niveau de leur formation que des compétences qu’elles s’approprient sur la base de normes juridiques elles-mêmes élastiques ou lacunaires. La régulation devient alors un prétexte à la répression.
Du ministère de l’Information, dont l’existence même rappelle les autorités de propagande, jusqu’au Conseil national de l’audiovisuel, dont les compétences, aussi bien que les allégeances, sont à redéfinir, certaines instances plus récentes sont nées avec l’essor de l’Internet.
Dans une tentative d’accompagner tout le chamboulement des mécanismes de communication et d’information, et en l’absence d’une loi spéciale pour les médias électroniques, le bureau de lutte contre les crimes cybernétiques, créé en 2006, exerce un contrôle dont les failles flagrantes ont été trahies par des cas d’interrogatoires « abusifs et violents » de journalistes et de blogueurs.



L’affaire Mohannad Hage Ali
Si l’observatoire et centre de recherche juridique al-Moufakkira al-Qanouniya (ou l’Agenda juridique) a choisi pour sa première conférence du cycle 2013-2014 de questionner l’intérêt du contrôle exercé par le bureau de lutte contre les crimes cybernétiques, c’est à la suite de la convocation, en juillet dernier, du journaliste Mohannad Hage Ali, qui aura mis en suspens pour l’instant les interrogatoires menés par le bureau avec des journalistes et blogueurs.


Les faits de cette affaire, résumés par la journaliste Diana Mokalled, qui l’a suivie de près, se présentent comme suit. « Mohannad Hage Ali a été convoqué par le bureau pour avoir partagé (option share, NDLR), sur son blog al-Mouhassaba (la reddition de comptes, NDLR), un article déjà publié sur le site tayyar.org et sur le site des Marada, et écrit par un ancien combattant des Forces libanaises. Sa convocation a fait suite à une plainte portée par les Forces libanaises », explique-t-elle. Notons que le bureau peut également intervenir s’il est informé d’un délit, ou dans le cas d’un flagrant délit (facile à vérifier sur le Net), comme l’indique la modératrice du débat, l’avocate Ghida Frangié.



 « Nous t’humilierons »
En outre, « la convocation en soi pour un interrogatoire de cinq heures de temps a été insultante dans la forme, Mohannad ayant été contacté par une personne qui l’a sommé de se rendre au plus vite au bureau, faute de quoi “nous t’humilierons” », a-t-elle précisé, transmettant la teneur des propos de l’agent. Diana Mokalled a relevé ensuite « la méthode de terreur, d’intimidation et d’humiliation employée lors de l’interrogatoire, et même après. “Nous convoquerons ta mère”, l’avaient menacé par exemple les agents ». Il a été amené à signer « un engagement écrit à ne plus évoquer la partie plaignante dans ses publications électroniques ».


Comme Mohannad, Abir Ghattas avait été contrainte à s’engager à ne plus écrire sur l’affaire des employés du supermarché Spinneys ; Rabih Farran, convoqué par le bureau, s’est engagé à ne plus critiquer « la voyante » Leila Abdel Latif.


Le journaliste Rami al-Amine, convoqué pour diffamation contre un de ses collègues, « a été le seul à refuser de signer l’engagement écrit », relève Diana Mokalled, qui se désole du fait que « le bureau choisit des cibles faciles, des jeunes blogueurs et journalistes ne bénéficiant d’aucune couverture politique ou communautaire ».


Assistant à la conférence, Racha al-Amine, de l’association UMAM pour les archives et la documentation, raconte qu’elle a été elle aussi interrogée par le bureau de lutte contre les crimes cybernétiques, pour avoir posté, sur le site « Memory at work », le lien de l’article partagé par Mohannad. « On m’a interrogée dans un étage souterrain, et l’on m’a fait subir de lourdes pressions. On m’avait placée à un endroit où des cris d’hommes interrogés me parvenaient, comme une menace », confie-t-elle calmement, précisant que c’était la première fois qu’elle évoquait cette épreuve en public. Le directeur d’UMAM, Lokman Slim, a également été interpellé dans l’affaire de Mohannad Hage Ali. En somme, cette affaire est la goutte qui aura fait déborder le vase.



Campagne civile et juridique
En effet, la mobilisation des acteurs civils, incluant notamment un sit-in de journalistes devant le Palais de justice en septembre, mais aussi le suivi de son affaire par l’avocat Nizar Saghiyeh et le député Ghassan Moukheiber, ont conduit enfin à la prise en charge du dossier par le juge Samir Hammoud.


Intervenant à la conférence en sa qualité de décideur au sein de la commission parlementaire des Droits de l’homme, le député Moukheiber précise d’abord que l’importance de l’affaire de la convocation de Mohannad par le bureau est « sans lien avec les parties politiques impliquées ».


L’intérêt de son examen sert à montrer d’abord l’écart entre la poursuite pour crimes cybernétiques et les poursuites liées à des crimes matériels. Le principe de l’intégrité des objets saisis n’est pas respecté dans le premier cas, relève le député, revenant sur un exemple de saisine d’un ordinateur qui a ensuite été remis au propriétaire, après l’enquête, avec un disque dur de différente taille. La question de la protection des données privées reste un enjeu principal pour une éventuelle réglementation des médias électroniques.


Un autre point à régler est la violation par le bureau des normes convenues dans les cas de convocation de journalistes. Une coutume a été établie en effet, atténuant de facto l’approche pénale régissant la loi sur les imprimés de 1967
(approche pénale puisque la peine d’emprisonnement fait partie des sanctions pour les délits liés aux imprimés, tels que la diffamation) : un journaliste ne peut être détenu préventivement.



De la valeur juridique du bouton « share »
Seul un juge peut l’interroger en présence d’un avocat. Cette coutume qui s’applique pour les délits prévus par la loi sur les imprimés ne trouve pas d’application dans le cas de journalistes poursuivis pour des crimes cybernétiques, et encore moins pour les blogueurs, qui n’ont pas le statut de journaliste.


À cela s’ajoute la question de définir la valeur juridique de comportements propres au monde cybernétique, comme l’effet juridique du bouton « share » ou encore « like ».


« Trois niveaux de protection sont requis », conclut Ghassan Moukheiber. D’abord, « une protection rapide grâce à un accord entre les autorités compétentes ». Suite à l’affaire de Mohannad Hage Ali, une réunion serait prévue prochainement entre les ministres de l’Information et de la Justice et le procureur général près la Cour de cassation, en vue de « hausser le niveau de protection de la liberté d’expression ». Les deux autres formes de protection seraient bien entendu l’élaboration d’une loi nouvelle sur les médias (y compris les médias électroniques), et sa mise à jour éventuelle. Un b.a.-ba qui continue de manquer au Liban.

 

 

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