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À La Une - La situation

Le blocage plus que jamais maître du jeu

Dans une république où la culture de l’illégalité s’enracine un peu plus profondément chaque jour chez les diverses composantes de la population, les institutions étatiques libanaises paraissent aujourd’hui le moins du monde capables de répondre à cette évolution, sans parler du pouvoir d’inverser la tendance, figées comme elles le sont par les blocages systématiques.


La rue, à Aalma (Zghorta), à Wata Mousseitbé, à Ouzaï, sur le chemin de l’aéroport et jusqu’à Bécharré hier, pour ne pas mentionner Jabal Mohsen, cette sorte d’« équivalent de territoire syrien », comme dirait Bachar el-Assad, est livrée à elle-même et à toutes formes d’abus et de violations. Elle l’est à un tel point que toute velléité d’y remettre de l’ordre, de la part des pouvoirs publics – ou ce qui tient lieu de pouvoirs publics à l’heure actuelle –, se heurte à l’incompréhension et à la colère des gens.
« Pourquoi nous ? » « Pourquoi pas les autres ? » « Pourquoi maintenant ? » « Pourquoi pas après-demain ? » Toutes les interrogations et les remises en question sont bonnes pour que chacun tente de justifier sa propre contribution à la culture de l’illégalité.
Et ceux qui n’y contribuent pas encore le regrettent : « Pourquoi libère-t-on telle catégorie d’otages et pas telle autre ? Est-ce parce que nous ne savons pas fermer des routes ? » « Pourquoi les pèlerins de Aazaz et pas les disparus dans les geôles syriennes ? » « Pourquoi pas Joseph Sader? » Etc., etc.

 

(Lire aussi : La réponse, cinglante, de Sleiman à Assad)


Au niveau des institutions, la situation n’est pas meilleure. On ne se met plus d’accord, dans les milieux politiques, que pour proroger, perpétuer, maintenir ce qui existe déjà. Sinon, on ne s’entend plus : c’est la culture du sabotage, de la neutralisation, de la paralysie et de l’avortement.



La Chambre paralysée
Ainsi, par exemple, le Parlement s’est réuni quasiment au grand complet hier, à l’ouverture de la session ordinaire d’automne, pour renouveler la composition du bureau de la Chambre et des commissions. En fait, on n’a rien renouvelé du tout. Ce fut peut-être la séance plénière la plus courte de l’histoire parlementaire du Liban, et ce qui devait s’y dérouler avait été convenu précédemment : tout le monde ou presque a été reconduit à la place et aux fonctions qu’il occupait auparavant.


Les membres du bureau de la Chambre ont donc été inchangés, en dépit du fait que le bloc aouniste, qui en est absent, lorgnait une place au sein de cette cellule à laquelle revient notamment la tâche de fixer les ordres du jour des séances. Mais une telle ambition étant de nature à faire sauter le consensus sur la tenue de la réunion, il a été décidé de ne pas en faire cas.


En réalité, ce qui importait dans cette réunion de routine, ce sont les contacts qui étaient censés se dérouler en marge, dans le but, espérait-on, de lever les obstacles qui empêchent la tenue de la séance législative prévue en théorie aujourd’hui. Ces contacts ont bien eu lieu, notamment entre le président de la Chambre, Nabih Berry, le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, et le chef du bloc du Futur, Fouad Siniora. Mais en vain.
À sa sortie, M. Siniora a qualifié dans une déclaration à la presse son entrevue avec M. Berry de « très bonne », tout en précisant que « rien n’a changé » et que son bloc n’allait pas se présenter à la séance de mercredi « pour des raisons constitutionnelles ».

 

(Eclairage : Un happy end qui arrange tout le monde. Ou presque..., l'article de Scarlett Haddad)


Dans l’ensemble, le 14 Mars estime qu’à l’ombre d’un gouvernement d’expédition des affaires courantes, le Parlement ne peut légiférer qu’en cas d’urgence. Le reproche qui est fait à M. Berry, c’est d’avoir, par des moyens détournés, imposé au bureau de la Chambre un ordre du jour comprenant plus de quarante projets et propositions de loi ne présentant pour la plupart aucun caractère d’urgence. Mais au-delà de la simple contestation technique, ce qui est en jeu ici, c’est l’équilibre des pouvoirs, notamment entre la présidence du Conseil des ministres et celle du Parlement.


Il n’empêche que de nombreux responsables du 14 Mars ont tenté au cours des dernières quarante-huit heures de faire des appels du pied à M. Berry en soulignant que ce dernier pourrait mettre à profit la réélection des membres du bureau de la Chambre pour réunir celui-ci et essayer ensemble de parvenir à un compromis sur l’ordre du jour. Toujours en vain.
Ali Hassan Khalil, ministre de la Santé et proche collaborateur de M. Berry, a assuré que M. Berry est « attaché à la Constitution » et qu’il n’a « aucune intention de modifier l’ordre du jour ».



La dérobade des aounistes
Un député du bloc du Changement et de la Réforme, Ghassan Moukheiber, s’est pourtant associé à la démarche du 14 Mars. « La meilleure solution, la plus rapide, c’est que le bureau de la Chambre se réunisse et révise l’ordre du jour », a-t-il lancé, appelant à « en finir avec l’entêtement politique ».
M. Moukheiber se distinguait nettement de la position, ou plutôt de la non-position, adoptée par ses collègues au sein du bloc aouniste. Quatre d’entre eux, Ibrahim Kanaan, Simon Abiramia, Alain Aoun et Ziad Assouad, ont été reçus pendant plus d’une heure par le président de la Chambre. Parlant au nom du groupe, M. Kanaan a soigneusement évité de préciser explicitement si le bloc du Changement et de la Réforme serait présent ou pas à la séance législative. On rappelle qu’il avait boycotté les quatre réunions précédentes, mais pas pour les mêmes raisons que le 14 Mars.
« Allez-vous assister à la séance ? » a-t-on demandé à M. Kanaan. Réponse : « Les propos tenus par M. Siniora ont fait sauter la réunion (...) En pratique, nous disons que les choses ne peuvent plus continuer comme cela. Légiférer est possible à l’ombre d’un gouvernement démissionnaire. »

 

(Lire aussi : L’ONU prévoit un élargissement du Groupe international de soutien au Liban)


Visiblement écœuré par toute l’ambiance, Samy Gemayel, député Kataëb du Metn, a répondu aux journalistes qui l’interrogeaient sur la séance d’aujourd’hui par une rebuffade : « Mais de quelle séance parlez-vous ? Et de quel pays ? Y a-t-il encore un pays ? »
Quant à son collègue FL du Chouf, Georges Adwan, il s’est essayé à la pédagogie. « Nous avons le choix entre deux solutions, il n’y en a pas d’autres », a-t-il lancé. « Soit nous recherchons des solutions constitutionnelles, soit nous adoptons la méthode d’Abou Melhem (personnage populaire de la télévision libanaise des années soixante et soixante-dix, moralisateur et simpliste). Pour notre part, nous sommes résolument hostiles au style d’Abou Melhem. »
Rappelant que selon la Constitution, un désaccord sur l’interprétation des articles constitutionnels ne peut être tranché que par la Chambre des députés, il faudrait que cette dernière se réunisse d’abord à cette fin et vote dans un sens ou dans l’autre.

Le gouvernement hors de vue
D’un point de vue technique, M. Adwan a parfaitement raison. Mais le désaccord est-il vraiment d’ordre juridique ? Ne s’agit-il pas plutôt ici d’une sorte d’équation fondée sur le principe du donnant-donnant? Le Hezbollah ne bloque-t-il pas la formation du gouvernement ? Le 14 Mars bloquera en conséquence l’activité législative de la Chambre, et le tour est joué. Voilà où nous en sommes, et rien pour l’instant n’annonce des embellies.


Le Premier ministre désigné est entré cette semaine en convalescence. Le processus gouvernemental est, lui, carrément entré dans le coma. Plus que jamais les développements en Syrie dictent la donne, et l’on explique dans les chancelleries que la scène intérieure libanaise n’est nullement considérée aujourd’hui comme prioritaire. Le mot d’ordre à l’adresse des Libanais – ou le « conseil » qui leur est prodigué, si l’on préfère – est en quelque sorte le suivant : « Vous êtes dans cette situation, pas de panique. Restez comme vous êtes, ce n’est pas grave. L’essentiel, c’est de maintenir en gros la stabilité sécuritaire dans le pays et si possible la stabilité économique. Pour le reste, cela finira par s’arranger... »

 

 

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