Rechercher
Rechercher

À La Une - Portrait

Tom Fletcher, ambassadeur du Royaume-Uni, vante le Liban mieux qu’un Libanais

Tom Fletcher, ambassadeur du Royaume-Uni à Beyrouth, est « tombé amoureux du Liban à distance, bien avant d’être en poste dans le pays », dit-il dans un entretien avec « L’Orient-Le Jour ». Quand il évoque l’atmosphère de Beyrouth ou le réseau de relations des Libanais, on devine qu’il a compris, comme un Libanais de pure souche, l’esprit qui anime le pays et ses habitants.

Tom Fletcher et son épouse à la Queen’s Birthday Reception.

En poste au Liban depuis deux ans, Tom Fletcher remplit son premier mandat d’ambassadeur de Grande-Bretagne. Il a rejoint le Foreign Office après avoir suivi des études à l’université d’Oxford. Il a servi son pays sous trois Premiers ministres : Tony Blair, Gordon Brown et David Cameron. Avant d’être nommé au Liban, il était conseiller diplomatique au 10 Downing Street.


Il se souvient en détail de la solennité du moment où il a présenté ses lettres de créance à Beiteddine lors de l’été 2011. « C’était sérieux et j’ai senti que les choses ont changé quand l’orchestre a joué l’hymne national britannique », dit-il.
« Les choses changent quand on est ambassadeur. C’est un métier plus solitaire que les autres ; vous êtes responsables des décisions qui affectent la vie d’autres personnes et ces décisions ne sont pas toujours populaires, indique-il. J’ai eu souvent à prendre des décisions difficiles, concernant la sécurité particulièrement. C’est une responsabilité, et il faut être responsable des décisions qu’on prend », ajoute-t-il.


Tom Fletcher, qui parle parfaitement le français et l’arabe, confie : « Je suis tombé amoureux du Liban, à distance quand j’étais à Paris, en rencontrant des Libanais. »
De 2004 à 2007, Tom Fletcher était conseiller politique près l’ambassade britannique à Paris. « En 2005 et 2006, le Liban était très présent sur la scène internationale, que ce soit à travers l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, ou l’offensive israélienne contre le Hezbollah, relève-t-il. Il y avait une effervescence dans les rangs des Libanais de France à l’époque. C’est au cours de cette période que je suis tombé fou amoureux du pays et puis je me rappelle avoir dit à ma femme “nous irons au Liban” et je me suis mis en tête de décrocher un poste à Beyrouth », raconte-t-il.


Avant d’habiter le Liban, avec sa famille, en tant qu’ambassadeur de Sa Majesté, Tom Fletcher avait visité seul Beyrouth en 2007.
« On ne peut pas arriver à Beyrouth sans être fasciné. Les Libanais sont habitués à leur ville, mais quand un étranger arrive au Liban, c’est différent, il est pris par le charme et la beauté de Beyrouth », note-t-il.
« Quand on se promène à Beyrouth, on sent qu’elle vibre de vie. J’ai travaillé un peu partout au Moyen-Orient et je n’ai jamais été dans un endroit comme Beyrouth qui a les mêmes vibrations et la même énergie que cette ville », explique-t-il. Et de poursuivre : « Je pense que cette énergie vient de la résilience, de cet instinct de survie qui est plus fort que la mort, cette capacité libanaise de survivre et d’être positif. Quand on se promène à Beyrouth, on sent l’urgence de la protéger et de la préserver car ce qu’il y a dans cette ville n’existe nulle part ailleurs. »


L’ambassadeur britannique aime l’anarchie des lumières la nuit à Beyrouth, quand il voit la capitale libanaise de la montagne ou quand il rentre au Liban, tard en avion.
Sa perception de Beyrouth et du Liban a-t-elle changé entre sa première visite et 2011, depuis qu’il est en poste au Liban ?
« En 2007, j’étais un observateur, mais maintenant, je suis un participant ; je sens que j’ai la responsabilité de soutenir le Liban, de le montrer sous son meilleur angle, de renforcer les bons côtés du pays, de minimiser ses faiblesses », indique-t-il.
Qu’est-ce qui le dérange le plus au Liban ? « Quand on arrive au Liban, on passe par des phases, mais on apprend à s’adapter, souligne l’ambassadeur britannique. L’embouteillage me dérange, les coupures d’électricité me frustrent, le débit lent d’Internet me gêne. Mais il y a des choses pires que tout cela qui peuvent arriver dans une ville. Et puis à la longue on devient un peu libanais, c’est-à-dire davantage immunisé contre certaines choses », poursuit-il

 

 

Match de ping pong à Jamhour, l'année dernière pour marquer les jours précédants les JO de Londres lors de l'été 2012.


Chaque mois, une nouvelle marque britannique à Beyrouth
C’est pour servir son pays, bien sûr, mais aussi pour aider le Liban, qu’il a planché, depuis son arrivée, sur la coopération bilatérale, notamment en matière d’économie et de commerce.


La British Airways est retournée il y a quelques mois à Beyrouth, Marks & Spencer a inauguré sa première boutique au centre-ville... En l’espace d’un an, la balance commerciale entre le Royaume-Uni et le Liban a augmenté de 34 %.
« Il est possible de sortir de la crise économique grâce aux échanges commerciaux, relève M. Fletcher. Les Britanniques comme les Libanais étaient historiquement à leur apogée quand ils prenaient la mer pour faire du commerce et vendre des biens. Ils ont un esprit pionnier dans ce cadre. L’un de mes buts, lors de mon mandat à Beyrouth, est d’augmenter les échanges commerciaux, et nous sommes sur la bonne voie. Les Britanniques sont bons quand il s’agit de créer des choses et les Libanais ont les meilleurs réseaux de communication du monde. Ils sont présents partout, en Amérique du Sud ou en Afrique, par exemple. Tous les jours, il y a huit vols pour l’Irak et deux pour le Kurdistan à partir de Beyrouth. Le fait de faire le lien entre la créativité anglaise et les réseaux libanais fonctionne », dit-il.


« Chaque mois, nous essayons d’implanter une nouvelle marque britannique au Liban, de la mettre sur le marché et ça marche. Cela fonctionne non pas parce que nous la vendons au Liban mais parce que le Liban est le point d’expansion vers d’autres marchés, parce que les commerçants libanais prennent le produit et le vendent dans la région. Le saumon fumé britannique, par exemple, est importé au Liban et réexporté ensuite vers d’autres pays du Moyen-Orient », ajoute-t-il.


Si Tom Fletcher planche sur les échanges économiques bilatéraux, c’est aussi « pour changer l’idée reçue qu’ont certains Européens du Liban, pour modifier la perception que le Liban est un pays dangereux et difficile et que Beyrouth est une ville déchirée par la guerre civile ». « Il faut convaincre les Européens que le Liban est un pays où l’on peut investir et faire du business », explique-t-il, défendant ainsi le Liban comme le ferait un Libanais.
« Il faut aussi montrer aux personnes vivant au Liban que l’on peut rester calme et continuer à vivre
normalement malgré tout, affirme dans ce cadre M. Fletcher. Même s’ils sont très optimistes sur le plan individuel, les Libanais deviennent très pessimistes et fatalistes concernant la situation de leur pays. Et c’est pour cela que l’on tente de dire voila Marks & Spencer qui ouvre ses portes à Beyrouth, voici la British Airways qui revient. Nous faisons confiance au Liban car nous pensons qu’à long terme, le pays va dans la bonne direction », poursuit-il.


La Grande-Bretagne exporte nombre de marques de luxe au Liban, notamment au niveau des vêtements et des voitures, et le Liban envoie des fruits et son capital humain... Selon l’ambassadeur britannique, « il n’y a pas une banque de la City qui n’emploie pas des Libanais ».
« Au Liban, on a peur de la fuite des cerveaux, or c’est est une force pour le pays, non seulement parce que ceux qui partent envoient de l’argent, mais aussi parce que cela donne au Liban un très important réseau de connexions, estime M. Fletcher. Le Liban a beaucoup plus d’importance que les Libanais ne le pensent sur la carte géographique des échanges entre le Nord et le Sud. »
Défenseur acharné du Liban, Tom Fletcher vante le pays sur les médias sociaux, notamment à travers le blog du Foreign Office. « J’essaie de montrer aux Britanniques que le pays est un bel endroit pour faire du tourisme, par exemple », dit-il.

 

 

Tom Fletcher avec la chanteuse Elissa lors d'une réception à la résidence de l'ambassadeur pour célébrer l'ouverture de Mraks & Spencer à Beyrouth.

 


Soutien à l’armée
Sur le plan politique, à la question de savoir si l’on devrait accepter la formation d’un gouvernement à tout prix, l’ambassadeur britannique répond : « Nous aimerions voir la formation d’un gouvernement bénéficiant du plus vaste soutien auprès des Libanais. Nous pensons qu’il est urgent d’avoir un gouvernement parce que le Liban a besoin d’une voix forte et légitime pour faire face aux défis qu’il doit relever, notamment l’instabilité, les réfugiés syriens, la situation en Syrie... Dans les semaines et les mois à venir, nombre de réunions se tiendront pour discuter de la crise syrienne et de ses effets sur les voisins de la Syrie. Il est important qu’il y ait une voix libanaise, capable de représenter et d’exposer la position du Liban lors de ces discussions. Mais faut-il qu’un gouvernement soit formé à tout prix ? Cette question est difficile et je ne peux pas y répondre, c’est au peuple et aux responsables libanais de décider. Le Premier ministre désigné, Tammam Salam, travaille très dur pour parvenir à la formation d’un gouvernement et nous le soutenons dans ses efforts. Mais jusqu’à présent sa tâche s’avère difficile. Nous reconnaissons les défis qui se présentent à lui. »


Invité à commenter les répercussions de la crise syrienne sur le Liban, l’ambassadeur britannique souligne : « Nous faisons face à nombre de chocs en provenance de la Syrie. Le flux de tant de réfugiés a un immense impact sur les communautés hôtes et une importante partie de notre aide est en train d’être acheminée à ces communautés. La crise a un impact sur l’insécurité dans le pays ; c’est pourquoi nous mettons l’accent sur l’aide octroyée à l’armée libanaise. Depuis mon arrivée au Liban, le soutien accordé à l’armée libanaise est devenu dix fois plus important. Dans ce cadre, 120 millions de dollars d’aide au Liban viennent d’être annoncés. La majorité de la somme sera consacrée à l’humanitaire, pour aider notamment les communautés hôtes et les réfugiés syriens mais il y a aussi une partie qui ira à l’armée libanaise. Cela l’aidera particulièrement à contenir les violences à la frontière. »

 


Regarder la partie pleine du verre
Et l’ambassadeur britannique d’ajouter : « Je suis optimiste, je regarde tout le temps la partie pleine du verre ; je vois les chocs que le Liban encaisse et sa capacité à leur résister. En octobre et en août derniers, tout le monde disait que le Liban était au bord du gouffre, qu’il était sur le point de s’effondrer, et jusqu’à présent le pays ne s’est pas effondré, et à chaque fois il chavire, mais il tient le coup », indique-t-il, rappelant ainsi le discours tenu en ce sens par nombre de Libanais.


« Personnellement, je ne pense pas que le Liban entrera dans une horrible guerre sectaire, car les souvenirs du conflit dans la mémoire des Libanais sont encore très forts. De plus, il n’existe aucune faction au Liban qui voudrait entraîner le pays dans cette direction. Il y a aussi cette détermination internationale qui veut garder le Liban loin du conflit. Je souhaite que la combinaison de ces facteurs soit suffisante pour préserver la stabilité du Liban », note-t-il.
Concernant l’issue de la crise en Syrie, Tom Fletcher estime que « la fin de la crise syrienne n’est possible qu’à travers une solution politique ». « La guerre ne s’achèvera pas par une solution militaire, affirme-t-il. Il faut amener les deux parties à s’asseoir autour d’une même table, et dans l’attente de ce moment, le coût en termes de vies humaines, de familles détruites, de personnes déracinées et de sectarisme exacerbé restera très élevé. Le conflit se poursuivra jusqu’à ce que la sagesse puisse prévaloir. »


Et de poursuivre sur ce plan : « Au début de la révolte en Syrie, les gens appelaient à plus de liberté. Le contexte a changé, la révolte a changé, cela s’est développé, mais à la base, la liberté était ce à quoi les manifestants aspiraient. Beaucoup tentent aujourd’hui de réfléchir à l’avenir, essayant de trouver un modèle, basé sur la sécurité, la liberté et de meilleures opportunités. Il faut donc trouver un système politique qui donne plus de liberté, mais il est impératif aussi de garantir la sécurité des différentes communautés. Les Syriens sont parfaitement capables d’identifier ce qui est le meilleur pour eux », note-t-il.


« Le plus important est que les choses qui se passeront à l’avenir au Moyen-Orient soient décidées par les habitants de la région et non par des étrangers », souligne en conclusion l’ambassadeur britannique.
Tom Fletcher aime son métier et se donne à fond, avec beaucoup de professionnalisme et beaucoup de passion. « Je n’échangerai mon poste contre n’importe quel autre métier au monde », affirme-t-il.
Il aime le cricket et l’histoire. Marié à Louise Fletcher, il est père de deux enfants : Charles, sept ans, et Theodore, deux ans.

 

Pour mémoire

Quand Tom Fletcher distribue des meghlés tout sourire...

 

Quand l’ambassadeur britannique au Liban se prend à rêver...

 

 

En poste au Liban depuis deux ans, Tom Fletcher remplit son premier mandat d’ambassadeur de Grande-Bretagne. Il a rejoint le Foreign Office après avoir suivi des études à l’université d’Oxford. Il a servi son pays sous trois Premiers ministres : Tony Blair, Gordon Brown et David Cameron. Avant d’être nommé au Liban, il était conseiller diplomatique au 10 Downing Street.
Il se...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut