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Pertinence de l’appel à la prière et au jeûne : la primauté du spirituel

« C’est ce qui reste de chrétien en elles qui empêche les sociétés modernes d’exploser. » Cette réflexion de René Girard est citée par le grand journaliste et essayiste Jean-Claude Guillebaud dans son témoignage phare : Comment je suis redevenu chrétien, paru au éditions du Seuil. « La révélation évangélique a depuis longtemps été intériorisée par la société occidentale, y compris par ceux qui croient la combattre », ajoute Guillebaud, dans le prolongement de cette première réflexion.


Cette révélation évangélique intériorisée mais reniée qui empêche l’Occident de s’effondrer, c’est-à-dire de sombrer dans l’anarchie morale, le pape François vient de l’extérioriser de façon spectaculaire, à partir de Rome, en demandant une journée de jeûne et de prière pour la Syrie.


De prime abord, dans le cadre de la culture dominante, la décision a quelque chose de surprenant. À l’heure du gaz sarin, des missiles Tomahawk et du système de défense antiaérienne russe SS-30, à l’heure où des civils sont gazés, des prisonniers torturés, des otages brûlés vifs et des soldats balancés dans le vide ; à l’heure où Bachar el-Assad se cabre, où l’Iran, la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar, les États-Unis et la Russie jouent aux dés le sort de la Syrie, chacun pour son propre compte, peut-on infléchir l’histoire avec des choses aussi passives que la prière et le jeûne ?


Évidemment pas, et il faut le relever; avec l’appel du pape, nous ne sommes pas là dans le pacifisme, mais dans une autre dimension de la réalité. Dans cette dimension, ce n’est ni Obama, ni Poutine, ni Bachar el-Assad, ni non plus l’industrie de l’armement, ni l’industrie pétrochimique, mais Dieu qui est le suprême acteur de l’histoire. En demandant de prier et de jeûner pour la Syrie, François place l’Église et le monde entier en pleine théologie de l’histoire.

 

(Lire aussi : À l’appel du Vatican, messes pour la paix à Harissa et Balamand)


Ce n’est pas la première fois que le pape agit ainsi. Ordinairement, c’est vrai, il prêche la « bonne parole », une version de l’Évangile expurgée de ce que la Parole de Dieu peut avoir de corrosif, d’intraitable, voire de spirituellement violent.
Mais l’Évangile n’est pas fait que de « bons sentiments » et, depuis son élection, François l’a dévoilé à plusieurs reprises. Deux de ses décisions ont en particulier placé l’Église catholique – et le monde – dans une perspective purement eschatologique. Au printemps, il a dédié tout son pontificat à Notre-Dame de Fatima et il se propose de solennellement consacrer le monde au cœur immaculé de Marie, le 13 octobre prochain, dans l’esprit de cette même révélation, faite en 1917 à trois jeunes bergers portugais.


Qu’a donc dit Marie à Fatima ? À travers le récit de ces apparitions, elle y a exprimé deux ou trois principes essentiels : d’abord, que c’est sur des conduites morales que Dieu juge les nations ; ensuite, que l’histoire peut avoir plusieurs déterminants, comme les rapports de classe, la soif de pouvoir, le jeu des dynasties, le contrôle des sources d’énergie, mais que Dieu en est le déterminant premier, par un jeu de causalités dont il détient le secret, puis qu’il détient celui du cœur humain. Et que ce Dieu, dit ailleurs Marie, « se laisse toucher ». Il va de soi que le principe essentiel derrière les deux premiers, c’est que Dieu existe vraiment, une affirmation qui dénote dans l’agnosticisme dominant.


C’est partant de ces données qu’il faut juger l’appel au jeûne et à la prière du pape. La prière et le jeûne ont été, tout au long de l’histoire de l’Église, des armes spirituelles brandies dans les cas de détresse extrême. En les brandissant samedi dernier, veille de la fête de la Nativité de Marie, le pape soulignait l’urgence de l’heure et proclamait la primauté du spirituel sur le matériel, la souveraineté de Dieu sur le cours de l’histoire. Il y a, nous apprend l’Église, au-delà de la guerre que se livrent les hommes, une autre guerre livrée à Dieu par un adversaire sans cœur qui prend autant plaisir à détruire que Dieu prend plaisir à aimer et construire. Voilà le terrain sur lequel s’est situé François, et, avec les armes de Dieu, voilà le terrain sur lequel il va gagner.

 

(Lire aussi : "Dieu, protège la Syrie" : les chrétiens de Damas prient à l'appel du pape)


« Plus jamais la guerre ! » Il n’y avait rien de magique dans l’imploration de François, reprise de Paul VI, qui s’adressait à la fois à Dieu et aux hommes. Au contraire, elle s’est accompagnée d’un appel à la raison, à la conscience morale. Il fallait conjurer le risque d’une guerre mondiale. Aux yeux du pape, comme devait le préciser si bien le général Adolfo Nicolas, le général des jésuites, dans l’une de ses rares interventions publiques, « la violence ou les interventions violentes comme celles qui se préparaient n’étaient justifiables que comme des moyens ultimes utilisés d’une manière telle qu’ils n’atteignent que les seuls coupables ». Et l’on peut ajouter : après épuisement de tous les recours diplomatiques. De plus, parallèlement au combat contre ce qu’il y a d’irrationnel en l’homme, il y avait un autre combat à mener, contre ce qu’il y a de destructeur dans le cosmos, et auquel Dieu a invité les hommes.


Dans l’histoire du monde, il y a de nombreux exemples d’événements extraordinaires, inattendus, impossibles à attribuer au seul hasard, ou à une intervention humaine. L’un des plus récents est l’effondrement, sans violence, par un concours de circonstances tout à fait unique, de l’empire soviétique (1989). On sait que cet effondrement, ce sabordage inconcevable, est survenu quelques années après la consécration de la Russie au cœur immaculé de Marie, conformément à une demande en ce sens présentée par la Vierge Marie à Fatima en 1917, et qui s’accompagnait de cette promesse. L’Église à tardé à le faire, de toute évidence. Mais le ciel a tenu parole. À chacun d’en tirer les conséquences.


En plaçant son pontificat sous la protection de Notre-Dame de Fatima, François s’est donc placé sur un plan spirituel suréminent ; aujourd’hui, dans la continuité de la révélation de Fatima, il a décidé de croire vraiment qu’« un temps de paix sera accordé au monde », une deuxième promesse faite en 1917 par la Vierge Marie, dans la continuité de la consécration à son « cœur immaculé ». Pour contrecarrer le rationalisme desséchant qui envahit la     planète et évacue Dieu après s’être approprié – certains diraient usurpé – sa sagesse, le symbolisme du cœur prend tout son relief. On devrait trouver là de quoi éclairer l’appel de François à une journée de prière et de jeûne pour la paix en Syrie, au Moyen-Orient, c’est-à-dire aussi au Liban, en Irak, en Égypte et dans le monde.

 


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