Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde

Conscience internationale ?

Je ne sais pas à quelle époque l’expression « communauté internationale » est entrée dans le langage courant. Il est des commentateurs pour qui cette expression est vide de sens. Pour les plus pragmatiques, elle désigne l’ensemble des nations dans les cas ou dans les situations où elles décident de faire quelque chose ensemble. À l’évidence, elle concerne alors les nations les plus influentes, celles qui participent au débat ou à la décision en cours, ce qui laisse intact le droit de toute nation à l’identité et à la souveraineté reconnues à y jouer un rôle et y prendre sa place si elle le souhaite et si elle le peut.
Depuis des temps immémoriaux, les nations souveraines se sont habituées à réguler leurs relations entre elles par des accords juridiques appelés traités. Renonciations à la guerre, délimitations territoriales, privilèges diplomatiques, licéité plus ou moins limitée du commerce, statut de ses actions, furent les premiers objets de cette énorme accumulation de traités qui constituent le droit international. C’est un droit très particulier puisque c’est un droit sans sanctions. Il est pourtant souvent porteur de concepts rigoureux et de précision extrême, et sa quasi unique sanction, la réprobation universelle pour cause de viol, n’est indifférente à personne.
Six mille ans d’histoire accompagnés de quelque 10 000 guerres et d’encore bien davantage de traités n’ont pourtant jamais réussi à interdire les violences entre peuples. Très naturellement, c’est après les deux dernières guerres mondiales et à cause de leur caractère immensément dévastateur que la communauté des nations s’est lancée dans une aventure très nouvelle, historiquement inouïe, celle d’ouvrir une deuxième phase du droit international. Au-delà de celle des accords de comportements mutuels appelés traités vint aussi celle de la création d’institutions communes. Elle avait en fait commencé de manière très discrète, presque subreptice, dans des domaines dont la technicité exigeait l’accord mondial. La première institution mondiale fut l’Union générale des postes en 1874, devenue ensuite Union postale universelle.
La nécessité, la prise de conscience et l’ambition grandirent après la fin de cette boucherie que fut la Première Guerre mondiale. C’est donc son traité final, le traité de Versailles, qui crée la Société des nations. Mais les États-Unis ne ratifièrent pas ce traité, et leur absence l’affaiblit au point de la rendre pratiquement inefficace. Née en fait de cette impuissance, la Seconde Guerre mondiale entraîna la création de l’Organisation des Nations unies en 1945.
Elle fonctionne toujours, elle est immense. Ses agences spécialisées couvrent à peu près la totalité des aspects de la vie collective de l’humanité. Si elle n’a pu empêcher ni la guerre froide, ni les guerres d’Indochine, d’Algérie, du Vietnam ou de Yougoslavie, ni non plus les génocides du Cambodge et du Rwanda, elle a remporté d’immenses succès en accompagnant la décolonisation, en aidant à la constitution de nombre de nations et en contribuant à limiter la contagion régionale de bien des conflits, à commencer par celui de la Palestine. Ses résultats les plus considérables sont sans doute l’éradication de certaines maladies contagieuses et l’adoption en 1982 d’une énorme convention dite « le droit de la mer ». C’est elle aussi qui provoqua en 1988 la naissance du Groupe international d’études sur le climat (GIEC), dont les rapports quinquennaux aident à mesurer le danger du réchauffement climatique.
Mais contrairement à ce que l’on aurait pu penser, la disparition du communisme n’aida en rien au progrès de la coopération internationale. Cela se vit au Rwanda comme au Moyen-Orient. Plus gravement encore, toutes les négociations mondiales commencées à la fin du XXe siècle ou ouvertes au XXIe ont échoué. Ce fut vrai du réchauffement climatique, de la régulation bancaire et financière mondiale, comme du désarmement nucléaire pourtant annoncé conjointement par les présidents Obama et Medvedev.
Une dernière voie s’est ouverte depuis. Elle se découvre dans les cas où des mouvements d’opinion publique mondiale animés par des ONG, organisations non gouvernementales, arrivent à convaincre assez de gouvernements pour imposer la signature d’un traité. Ainsi s’explique la signature de la convention internationale interdisant les mines terrestres à Ottawa en 1997. Ainsi s’explique aussi la création de la Cour pénale internationale, décidée par signature à Rome en 1998 et ratifiée par 121 États sur 193.
Le temps semble venu d’ouvrir un nouveau champ à cette pression de l’opinion sur les États à travers une prise de conscience collective. Le monde est aujourd’hui tragiquement riche d’exemples de territoires et de populations menacés d’un retour à la sauvagerie pure à cause de l’effondrement et de la disparition de structures d’État. On l’a vu en Somalie, en Haïti, au Liberia et en Sierra Leone. Le cas le plus récent est celui du Mali.
La France n’a plus aucun intérêt stratégique ou économique en Afrique de l’Ouest. Elle vient pourtant de faire au Mali, à la demande de sa population et de ses dirigeants intérimaires, une opération militaire lourde destinée à protéger ce pays d’une conquête par quelques milliers de combattants arabes jihadistes venus de Libye et d’Algérie et équipés de plusieurs centaines de véhicules pick-up et d’armes lourdes. L’opération fut un succès complet, le territoire du Nord-Mali dégagé de ses occupants. Ces troupes lourdes françaises et leur équipement sont en voie de rapatriement. Seule la Grande-Bretagne – en tant que nation et en train de quitter l’Union européenne – a vu là une responsabilité de civilisation et l’a soutenue. Aucun autre pays, notamment de l’Europe, ne l’a fait.
La France partant, la reconstruction du Mali a maintenant besoin du soutien de la communauté internationale, et donc de l’ONU. Mais pour que les procédures d’aide existantes soient mises en œuvre, les habitudes et les règles de l’ONU veulent que l’on organise là-bas d’urgence une élection présidentielle... Or il n’existe ni partis politiques reconnus, ni candidats respectés, ni système de bureaux de vote permanent. De toute évidence, une élection présidentielle ne pourrait aboutir qu’à parachuter quelque fonctionnaire international, au risque d’une reprise des conflits internes. Or le retour à la sécurité exige des négociations entre chefs de village et chefs de tribu. La remise en état des équipements publics, elle aussi se fera par accord entre autorités municipales subsistantes, les seules qui restent, et chefs de village. Il y faut du temps.
Les peuples sans État ne reconstruiront pas des structures de temps de paix sans l’aide de la communauté internationale. Les nations n’y sont pas prêtes, et observent un rituel officiel occidental dépourvu de toute réalité. C’est à l’opinion internationale de s’en saisir.

© Project syndicate, 2013.

Je ne sais pas à quelle époque l’expression « communauté internationale » est entrée dans le langage courant. Il est des commentateurs pour qui cette expression est vide de sens. Pour les plus pragmatiques, elle désigne l’ensemble des nations dans les cas ou dans les situations où elles décident de faire quelque chose ensemble. À l’évidence, elle concerne alors les nations les...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut