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À La Une - Reportage

Femen : le féminisme à corps et à cris

Venues d’Ukraine, les Femen veulent former une nouvelle génération de femmes à leur sexactivime. Revue des troupes à Paris, au « premier centre international d’entraînement pour féministes » n’ayant pas froid aux yeux.

Samedi 26 janvier, trois militantes ont défilé seins nus et fumigènes rouges à la main devant le Forum économique de Davos où sont réunis les dirigeants de l’élite politique et financière de la planète. Johannes Eisele/AFP

«Nudity is Freedom». À chaque cri, de petites nuées de condensation s’échappent des bouches. En ce gris samedi d’hiver, la température frôle le zéro. Dans une salle aussi grande qu’un hangar, elles sont une douzaine de jeunes femmes en tenue de sport à scander des slogans. «In Gay We Trust», «No Sharia ». Nous sommes au Lavoir moderne parisien, en plein cœur du 18e arrondissement de Paris, au QG de l’antenne France du collectif Femen, les « féministes aux seins nus ».


Ultramédiatisées, les Femen ont fait de la nudité la principale caractéristique de leurs actions. Depuis plusieurs mois, sur le modèle de leurs grandes sœurs ukrainiennes, les militantes parisiennes multiplient les interventions dans l’espace public. En France ou ailleurs. Dernière en date : Rome, le 13 janvier. En plein Angélus, sur la place de la basilique Saint-Pierre, quatre d’entre elles se sont immiscées au milieu de la foule. En l’espace de quelques secondes, elles ont retiré bonnet, manteau et pull, et, le corps barré des slogans « Shut Up » et « In Gay We trust », elles ont hurlé « Homophobic Shut Up » à l’adresse du pape Benoît XVI. Quelques minutes plus tard, elles se faisaient embarquer par la police, sous l’œil de quelques caméras.


En apparence improvisé, chaque happening est minutieusement préparé. C’est au Lavoir moderne, au premier étage de ce théâtre parisien menacé de fermeture, que les Femen les préparent. Elles y tiennent leur « camp d’entraînement ». Inna Shevchenko, 22 ans, la meneuse du mouvement, y forme chaque samedi ses nouvelles recrues. Vêtues de tee-shirts ou de sweats estampillés « Femen » ou « Sextremist », les jeunes militantes écoutent religieusement ses conseils. « Quand vous criez les slogans, criez de toutes vos forces. (...). Quand vous vous tenez debout... pas de déhanchement. Et surtout ne souriez jamais. On est pas là pour plaire », assène Inna en anglais.
Pour la plupart des jeunes femmes qui se trouvent là (23-24 ans en moyenne), il s’agit là du premier engagement dans un mouvement féministe. Un engagement motivé par la radicalité et l’originalité du mode d’action. « Je n’avais jamais milité au sens propre, tout juste une adhésion à Amnesty International, raconte Elvire, 24 ans, assistante de production dans le cinéma. Ce qui m’a fait venir, c’est le ras-le-bol de ne rien faire. Tout à coup, j’ai vu ces filles hyperdynamiques... ça m’a donné envie. »

 

Séance d’abdos pour les Femen, au Lavoir moderne, à Paris. Kenzo Tribouillard/AFP

 


Cheveux peroxydés et lunettes sages, Julia, photographe, avait déjà milité dans deux associations parisiennes – dont elle préfère taire le nom. Mais elle n’y trouvait pas son compte. C’est à l’occasion de « l’affaire DSK », du nom de l’ancien président du FMI accusé d’avoir agressé sexuellement une femme de chambre dans un hôtel new-yorkais, qu’elle a, pour la première fois, entendu parler des Femen. En novembre 2011, trois militantes ukrainiennes venues de Kiev, dont Inna, avaient fait le déplacement à Paris. Les seins nus et déguisées en soubrettes, elles s’étaient postées sous les fenêtres de l’appartement parisien de Dominique Strauss-Kahn aux cris de « Shame On You » avant de repartir comme si de rien n’était.


« J’ai été frappée par ce goût de la mise en scène, se souvient Julia qui a rejoint Femen à l’automne. C’était à la fois brillant et très efficace. Mes études d’histoire de l’art me rendent peut-être plus sensible aux images, mais j’ai tout de suite pensé à la Marianne de Delacroix, bras levé et poitrine dénudée. »


«Cela faisait longtemps que j’avais envie de m’engager dans un mouvement féministe, raconte Fanny, 25 ans, mais les réunions à boire du thé en refaisant le monde, non merci ! Au moins avec les Femen, il y a de l’action, ça bouge. »
De fait, ce samedi, le programme est chargé : parcours du combattant, exercices de musculation, mise en situation pour se défendre en cas d’attaque physique, pour échapper à l’emprise d’un policier, etc. Le tout devant une nuée de journalistes presque aussi nombreux qu’elles...

 

 

Des activistes de Femen à l'entraînement, au Lavoir Moderne, à Paris, le 19 janvier 2013. AFP/KENZO TRIBOUILLARD


« Féministes soldates en lutte contre le patriarcat »
Destiné à former « des féministes soldates en lutte contre le patriarcat », ce camp d’entraînement a ouvert ses portes le 18 septembre dernier. Ce jour-là, une trentaine de jeunes femmes avaient défilé dans les rues de la Goutte d’or, toute poitrine dehors, en hurlant « No Sharia » ou «Intégrisme, dégage », sous l’œil médusé de certains passants. Jusque-là, le quartier, multiethnique, avait surtout connu des polémiques autour des prières musulmanes dans la rue...
«La première fois que je me suis mise torse nu dans la rue, ça n’a pas été évident, raconte spontanément Marguerite, 22 ans, étudiante en arts plastiques. Ce n’est pas facile d’assumer son corps devant les médias. Il faut vaincre sa pudeur. J’avais très peur de rire nerveusement. J’avais peur du jugement de mon entourage. Mais une fois que j’y étais, j’ai crié très fort et la gêne s’est évaporée dans l’action. »


L’effet de groupe aide aussi à surmonter les peurs. Et passé le «premier baptême du feu », la mise à nu devient progressivement plus facile. «Pour moi, raconte Julia, c’est secondaire, je n’y pense plus. C’est comme si la nudité était devenue un costume ou une armure. »


Elle remarque aussi que manifester les seins nus a changé son rapport à son corps dans la vie quotidienne. « On se surprend à être plus sereine et plus détendue, à s’affirmer davantage, souligne-t-elle. Nous les filles, on nous apprend dès le plus jeune âge à être de petites choses dans un petit corps discret. Les Femen montrent des corps de femme qui résistent à l’autorité, qui se battent pour une cause et se défendent coûte que coûte des attaques. On fait sortir nos corps de la case “femme proie” ou “femme victime” et on montre qu’ils ne sont pas programmés pour être passifs. »

 

Lors de leur entraînement, ici au Lavoir moderne, à Paris, les militantes apprennent à se défendre ou encore à échapper à l’emprise d’un policier. Kenzo Tribouillard/AFP

 


Revendications peu claires
En France, les Femen sont surmédiatisées, alors que, malgré de nouvelles recrues, le nombre de militantes vraiment actives dépasse à peine la quinzaine.


Leur action suscite également beaucoup de critiques, notamment de la part de certaines féministes, en France et ailleurs. On leur reproche, entre autres, de faire de l’anti-islam primaire, de s’attaquer à tout et n’importe quoi, d’avoir des revendications peu claires...


Avec leurs actions sporadiques et ultramédiatisées, les Femen contribueront-elles à changer la société? s’interrogent également certains, alors que d’autres les accusent carrément d’alimenter ce que justement elles dénoncent : le sexisme.

 

 

Femen Paris



Pour Meghan Murphy, auteure de feministcurrent.com, l’un des blogs féministes parmi les plus lus au Canada, le mouvement dessert carrément la cause. « On constate une fois de plus que personne ne s’intéresse aux femmes tant qu’elles ne ressemblent pas à une publicité pour de la bière ou à un show burlesque. »
C’est tout le contraire, rétorquent les militantes des Femen. « On ne se contente pas de manifester les seins à l’air. On utilise nos corps comme un support à nos revendications. On se les réapproprie, soutient Inna. Grâce à nous, le corps nu de la femme n’est pas associé à une marque de voiture ou à je ne sais quel produit, mais à des revendications politiques. Par notre nudité, nous affirmons notre liberté. »


Convaincues d’avoir créé un féminisme d’un genre nouveau, le « Pop Feminism », les Femen ne sont pas des adeptes du doute. Au Lavoir moderne, dans la salle d’entraînement, sur une grande banderole accrochée à une poutre, on lit : « We Came, We Stripped, We Conquered », « Nous sommes venues, nous nous sommes déshabillées, nous avons conquis ».

 

 

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