Il est enfin temps que les Arabes protègent leurs travailleurs domestiques

Quel sera le premier pays arabe à ratifier la Convention sur les travailleuses et les travailleurs domestiques ?
Cette semaine, les Philippines ont ratifié la Convention n° 189 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur les travailleuses et les travailleurs domestiques. Cette ratification représente un tournant dans le combat pour l’élargissement des droits fondamentaux au travail à environ 100 millions de travailleuses et travailleurs domestiques sur le plan international. Les Philippines sont le second pays après l’Uruguay à adhérer à cet instrument important. Suite à sa ratification par les deux pays, la convention n’entrera en vigueur que l’année prochaine.
Ce premier pays asiatique à s’engager pour le respect des droits des travailleurs domestiques est également l’un des principaux pays d’origine de ces travailleurs migrants. En effet, plus de 150 000 travailleurs domestiques des Philippines, en majorité des femmes, voyagent vers d’autres pays d’Asie, d’Europe ou encore du Moyen-Orient tous les ans à la recherche de meilleurs salaires pour sauver leur famille de la pauvreté criante.
Ces femmes pénètrent des maisons appartenant à des personnes qui leur sont totalement étrangères dans un environnement qui leur est totalement étranger. Elles peuvent y passer des années entières à nettoyer, à cuisiner, à élever les enfants et à s’occuper des personnes âgées. Si quelques-unes sont traitées avec l’équité et la dignité qu’elles méritent, nombreuses sont celles qui sont quotidiennement exposées à un harcèlement physique et moral dégradant, conduisant quelquefois à des troubles mentaux, des blessures graves ou encore à la mort. En outre, elles sont privées de recours à la justice, du fait de la présence de systèmes juridiques et règlementaires dressés contre eux.
Cette situation est particulièrement pertinente dans les pays arabes. En effet, près du quart ou même du tiers des 22 millions de travailleurs migrants dans le monde arabe sont des femmes impliquées dans le travail domestique. La majorité de ces femmes viennent d’Asie et d’Afrique, notamment du Sri Lanka, des Philippines, du Bangladesh, du Népal, d’Indonésie et d’Éthiopie.
Dans la majorité des pays arabes, les travailleuses domestiques sont exclues des lois nationales du travail, des régimes de sécurité sociale et des dispositions légales en matière de santé et de sûreté. Celles qui viennent de l’étranger sont souvent liées à leur employeur par un système de parrainage ou « kafala » restrictif. En effet, nombreuses sont celles qui voient leur passeport et leurs papiers confisqués par leurs employeurs et sont soumises à une véritable « assignation à résidence ». La nature informelle non réglementée et isolée de leur travail les rend vulnérables à l’exploitation et à l’abus. Par conséquent, elles méritent une attention particulière.
En parallèle, j’ai été ravie de remarquer à la Conférence internationale du travail en juin 2011 que les pays arabes ont voté avec une majorité écrasante pour la Convention n° 189 sur les travailleurs et travailleuses domestiques. Maintenant, alors que ladite convention est entrée en vigueur, il est attendu que même les États qui ne l’ont pas encore ratifiée « œuvrent dans ce sens ». Ce qui signifie que toute législation future au sein des États membres de l’OIT doit prendre en compte la nouvelle norme relative à l’emploi même s’ils ne sont pas juridiquement tenus de l’appliquer.
La prochaine étape importante est alors d’examiner la ratification de la C189. En effet, la ratification de la convention sur les travailleurs et les travailleuses domestiques va permettre aux gouvernements d’harmoniser les lois nationales ainsi que les autres instruments règlementaires avec cette norme internationale historique relative à l’emploi. Il s’agit également de consacrer dans leurs lois nationales les valeurs qui s’inscrivent au cœur des soulèvements arabes : la dignité humaine et la justice sociale.
Les États arabes ont fait quelques progrès et adoptent davantage de bonnes pratiques : établir des contrats unifiés, examiner les conditions de travail, améliorer les systèmes d’inspection du travail, considérer sérieusement la révision ou l’élimination des systèmes de parrainage fortement biaisés. Ces actions essentielles s’inscrivent dans l’esprit de la convention – cependant, la ratification doit être le but ultime.
Le Bureau régional de l’OIT pour les États arabes, depuis son siège à Beyrouth, se tient prêt à soutenir ce processus dans toute la région avec l’aide de ses experts techniques et juridiques et de sa structure tripartite unique. Nous pouvons aider les gouvernements, faire participer les agences de recrutement et les employeurs et épauler les acteurs de la société civile pour assurer aux travailleuses domestiques qui prennent soin des familles et des ménages les droits fondamentaux au travail au même titre que les autres travailleurs : un travail décent avec la protection adéquate ; une rémunération et des bénéfices justes ; des heures de travail raisonnables ; des jours de repos et de congé ; des informations claires sur les modalités et les conditions d’emploi et le respect des principes et droits fondamentaux au travail, y compris la liberté d’association et le droit à la négociation collective.
Nous avons la profonde conviction que le combat pour la justice sociale commence par la protection des travailleurs vulnérables.
La transition à la démocratie en cours dans la région arabe montre bien qu’édifier des sociétés productives et inclusives est une condition requise pour la stabilité sociale. Les principes du travail décent doivent être au cœur même de ces transformations, étant donné que la ratification de la Convention 189 est la bonne étape pour aller de l’avant.

*Nada al-Nashif est directrice régionale pour les États arabes au sein de l’Organisation internationale du travail.