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Liban - Feuille de route

Autopsie d’une haine

La force principale du leader charismatique, lorsqu'il est littéralement transfiguré en demi-dieu, autoproclamé démiurge, est probablement sa capacité à exister d'une certaine manière en dehors du temps, à manipuler ce dernier à sa guise. Mais il n'y a là rien de bien étrange ; ce phénomène est caractéristique du culte de la personnalité, de l'exaltation du leader par les masses enflammées, totalement acquises, conquises, soumises. Le chef suprême a en effet un pouvoir absolu sur la vie et la mort (de ses sujets), et, partant, sur la temporalité. Cela lui confère également la possibilité de réécrire à souhait l'histoire autant de fois qu'il le souhaite, que cela est nécessaire - c'est-à-dire au gré de ses revirements et de ses changements de position. L'impact immédiat sur la masse est minime : le chef ayant modifié le sens de son histoire, ayant donné une nouvelle interprétation de son parcours et de ses paroles, et ayant réécrit les faits, tous les fidèles s'adaptent alors tambour battant, communient avec l'Un, l'Unique.
Le formatage est total, et il peut être reproduit autant de fois que le chef le juge nécessaire : l'écrasement de la personnalité, de l'identité, du Soi, est total. Le concept de l'identité s'évanouit, et l'autonomie disparaît avec : tout n'est que fusion dans la perfection absolue du chef, du Duce, du Führer.
Tous les fascismes, tous les totalitarismes ont fonctionné ainsi, dans la double obsession de contrôler toujours plus le temps - c'est-à-dire de se réapproprier inlassablement l'histoire (il faut relire, dans ce cadre, 1984 d'Orwell, et la fonction du ministère de la Vérité qui réécrit symboliquement les coupures de presse au gré des changements de principes) - et de contrôler toujours plus d'espaces, en soumettant autant que possible de volontés à leur autorité. Cependant, le formatage identitaire qui permet cette réécriture de l'histoire et cette transformation du citoyen en être servile et décérébré reste incomplet sans une modification du système de valeurs, du code de conduite adopté initialement par la personne.
Que l'on se souvienne ainsi des séances communes d'expression de la haine dans 1984 d'Orwell, organisées par le pouvoir fasciste contre l'ennemi désigné du jour : cette haine orgiaque permet en effet de souder l'esprit de corps ; elle permet aussi de mieux enraciner l'auto-conviction de tout un chacun (mais aussi du groupe dans son ensemble) que le nouvel ennemi est effectivement l'ennemi ancestral que l'on vient enfin de démasquer grâce à la sagacité et l'infaillibilité du chef (et que l'ennemi de la veille est devenu le vieil allié de toujours) ; et elle permet, par le fait même, par l'identification de cet ennemi, de s'identifier soi-même, ou plutôt de découvrir son nouveau soi, celui que le chef nous a enfin aidé, bien magnanimement, à révéler à nous-mêmes.
La culture de la haine est donc un élément fondateur du groupe. Freud l'avait déjà identifié comme tel dans Totem et Tabou. Le problème, c'est que pour installer la culture de la haine, en faire un élément de la culture d'une société, il est nécessaire d'effectuer cette refonte totale du système de valeurs, et donc de saper l'ordre ancien, les normes établies. C'est pourquoi le fascisme comporte, dans son essence profonde - et malgré son obsession légendaire de l'ordre et de la discipline - un côté anarchique qui peut séduire beaucoup d'esprits rebelles.
Comment donc détruire cet ordre ancien ? En établissant temporairement cette période d'anarchie, phase de déraison, de folie profonde, qui n'a d'égale que la folie et la mégalomanie galopante du chef suprême lui-même.
J'en viens à la raison d'être de cet article. La déraison. La disparition de la logique. La mort de l'argumentation. L'annihilation de la pensée, de l'intellect, de toute forme de rationalité. C'est la phase d'affirmation de soi du fascisme en société : le chef et, par transitivité, ses disciples s'érigent en référence ultime de ce qui est bon et de ce qui est mauvais, du Bien et du Mal, de ce qui est « juste » et de ce qui est « faux ».
Le slogan et l'accusation deviennent les arguments qui prédéterminent non pas l'établissement du dialogue, mais son enterrement illico presto. La réponse au premier argument est donc une accusation : « Corrompu ». Rapidement suivie d'autres, et le calibrage va crescendo : « Pourri », « voleur », « vendu », « bourreau », «assassin» et, enfin, « traître ».
Inutile de dire que ces « arguments » sont déclinés sous leurs diverses formes, en fonction du niveau intellectuel de l'accusateur. L'objectif est évidemment de détruire l'interlocuteur, de l'écraser sous le poids moral des adjectifs que le fascisme veut bien lui coller. Quand bien même cela se fait au nom d'une seule moralité, celle du chef et de son puits abyssal de vices et de dépravations.
Il va sans dire que, depuis le début de cet article, il est question du aounisme. Un fascisme qui n'a pas les moyens de son fascisme, en l'occurrence la discipline de fer, et qui cherche, partant, à s'en doter à travers son alliance libidinale avec le Hezbollah, celui qui possède la force, la discipline et les armes.
La force principale du leader charismatique, lorsqu'il est littéralement transfiguré en demi-dieu, autoproclamé démiurge, est probablement sa capacité à exister d'une certaine manière en dehors du temps, à manipuler ce dernier à sa guise. Mais il n'y a là rien de bien étrange ; ce phénomène est...

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