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Culture - Rencontre

En 2019, Louise Bourgeois fera scintiller Beyrouth

Jerry Gorovoy, assistant, bras droit et confident de l'artiste française, se confie, sans fard, à « L'Orient-Le Jour ». Et dévoile également, en exclusivité, les premières informations à propos de l'exposition dédiée à Bourgeois et prévue dans plus de deux ans.

Bourgeois et son assistant Jerry Gorovoy dans le studio de l’artiste à Carrara, en Italie, en 1981. Photo : © The Easton Foundation/Licensed by VAGA, New York, NY

Elle n'avait pas la langue dans sa poche. Tout ce qu'elle créait ne cessait (et ne cesse) de crier souffrances et traumas d'enfant, de femme, de mère ; et de sublimer son existence d'acrobate sur le fil du rasoir, ce bras de fer avec ses propres fêlures. Cela dit, même si Louise Bourgeois se plaisait à revendiquer : « Quand je ne m'attaque pas, je ne me sens pas vivante », même si l'agressivité assourdie par une ironie certaine était le carburant de son œuvre doucement effarante, à la manière d'un Marcel Duchamp, l'ambivalence a toujours été symptomatique du langage personnel de cette artiste. D'ailleurs, il arrivait à Bourgeois de célébrer des aspects plus lumineux de sa vie, en l'occurrence dans l'une de ses œuvres intitulée 10 AM is when you come to me. Sur vingt papiers à partitions musicales, elle a peint ses mains accompagnées de celles de son assistant et confident Jerry Gorovoy dans une chorégraphie carmin à la gouache et l'aquarelle. Lequel était présent à Beyrouth la semaine dernière dans l'optique d'entamer le processus de réflexion autour d'une exposition des œuvres de Louise Bourgeois qui aura lieu dans la capitale libanaise en 2019.

 

Les prémices d'une vie ensemble
Aucun lien de parenté avec l'autisme prétentieux de ceux qui se sont éclaboussés par les poussières d'étoiles, Jerry Gorovoy raconte, avec simplicité et sans se recouvrir d'un voile de bienséance, sa collaboration et ses rapports avec Louise Bourgeois. L'allure gaie à mi-chemin entre Viking aux cheveux de paille et hippie intergalactique, piochant avec gourmandise dans un café-crème, il revient avec nostalgie sur les prémices de sa collaboration avec Louise qu'il décrit plutôt comme une « vie ensemble ».

« Après avoir décroché mon master en peinture, j'ai travaillé à mi-temps à la fac où j'étudiais. Ne voulant pas se séparer de moi, mon patron m'a trouvé un poste dans une galerie sur la même rue », se souvient Jerry. Et de poursuivre : « Max, le proprio de la galerie, me propose quelque temps plus tard, au début des années 80, d'organiser une première exposition. J'ai immédiatement pensé à Louise Bourgeois que j'admirais, mais dont l'œuvre n'était pas encore répandue aux États-Unis ». L'ensemble s'articule autour de la sculpture abstraite et la plasticienne française envoie donc C.O.Y.O.T.E. (initiales de l'expression Call Off Your Old Tired Ethics, extraite d'un tract rédigé par Margot James), un de ses premiers travaux datant de 1940.

Fidèle à son tempérament volcanique, ses humeurs de feu follet, Louise n'aime pas l'installation et somme la galerie de retirer sa pièce. « J'ai voulu prendre les choses en main, alors je l'ai invitée à prendre un thé, elle s'est calmée et tout s'est bien passé. »

 

Porter le flambeau...
C'est donc autour d'un thé que naît cette association, voire fusion, qui durera trente ans, jusqu'au décès de Louise Bourgeois en 2010. Jerry apprivoise Louise et elle l'invite à partager son monde intérieur. Il devient ainsi son bras droit, son manager, son agent, son assistant, son coordinateur mais aussi son garde-fou et même sa muse, sans qui une grande partie de son œuvre n'aurait pas été concevable. À propos de Jerry, qui débarquait chez Louise tous les matins à 10 heures (d'où le titre 10 AM is when you come to me), l'artiste disait : « Quand vous êtes au fond du puits, vous regardez autour en vous disant qui viendra m'en sortir ?

Et c'est là qu'apparaît Jerry et tend une corde. » De fait, Jerry Gorovoy savait prendre avec des pincettes ce charbon ardent, manier avec délicatesse cette matière inflammable qu'il dépeint de la sorte : « Au-delà de mon admiration pour Louise, j'étais fasciné par la complexité de son caractère, toute cette dimension psychologique qui était le pilier de son œuvre. Elle y mettait ses souvenirs, sa vie et son âme de manière à reconstruire ce qui était détruit. » Il poursuit : « Aujourd'hui, après la disparition de Louise, à la tête de la fondation qui lui est dédiée, je me sens chargé de la mission de faire perdurer l'héritage de cette artiste hors normes. »

 

... jusqu'à Beyrouth
Dans cet élan de célébrer la mémoire de Louise Bourgeois et répandre son œuvre aussi amplement que possible, Jerry égrène les voyages et organise avec flegme des rétrospectives et autres événements consacrés à la plasticienne franco-américaine. « Lors d'un dîner à New York, on m'a proposé l'idée du Liban. Je ne m'y étais jamais rendu, mais l'idée m'a tenté », raconte Gorovoy. Et de compléter, au terme de sa visite express de la capitale libanaise : « J'ai l'impression que Beyrouth est une ville dense et complexe, bien plus que je ne le pensais. Les œuvres de Louise y trouveront leur place. » Pour l'instant, le thème de cette exposition, prévue pour 2019 et « spécialement conçue pour Beyrouth » (insiste notre interlocuteur), est à décider. « Je rentre à New York avec des idées plein la tête. On s'y prend tôt car il faut du temps pour mettre en place un événement pareil. Il va falloir réfléchir à une idée qui lie l'œuvre de Louise à Beyrouth. Peut-être quelque chose en rapport avec le féminisme ? » On sait déjà que l'exposition aura lieu au musée Sursock car « c'est un lieu extraordinaire. J'ai été très inspiré par le mélange entre les lieux chargés d'histoire et impeccablement restaurés, et les étages inférieurs, très modernes », dixit Jerry Gorovoy. Après tout, à personnage exceptionnel, lieu exceptionnel.

 

Pour mémoire

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Elle n'avait pas la langue dans sa poche. Tout ce qu'elle créait ne cessait (et ne cesse) de crier souffrances et traumas d'enfant, de femme, de mère ; et de sublimer son existence d'acrobate sur le fil du rasoir, ce bras de fer avec ses propres fêlures. Cela dit, même si Louise Bourgeois se plaisait à revendiquer : « Quand je ne m'attaque pas, je ne me sens pas vivante », même si...

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