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Nourritures

Voici la saison des moissons. On ne sait plus imaginer le temps que prend le grain pour s'épanouir, d'abord mourir dans une obscurité moite, et puis se fendre, donner une petite racine et un petit brin vert, pousser par le bas et par le haut, virgule de vie qui relie la terre et le ciel. Bientôt il lance une tige qui deviendra bois, puis arbre mystérieusement fécondé qui donnera des fruits en abondance. Ceux qui abattent les arbres n'ont aucune idée du temps qu'il faut à un arbre pour devenir arbre. On est toujours bouleversé par l'immense générosité de la nature. Mais ces choses ne viennent pas toujours seules. Le choix du pain et du vin pour le sacrement de la communion, dans la tradition chrétienne, n'est pas anodin. Fruits de la terre ou de la vigne – et– du travail des hommes, disent les Évangiles. L'homme participe à la fécondation, à l'entretien et au soin de la terre. Il en est éminemment responsable.
La pomme, en revanche, est le fruit du paradis perdu. Elle garde le souvenir de cette ère mythique où l'homme n'avait pas besoin de « gagner son pain à la sueur de son front » et où il était enveloppé dans une sorte de naïveté paresseuse et béate. Il lui suffisait de cueillir pour manger et, le reste du temps, batifoler dans les jardins divins. En croquant la pomme, fruit défendu et combien désirable, il entre en connaissance. Et la première chose qu'il connaît et reconnaît est sa propre nudité et il en a honte. Nudité de l'homme sans connaissance qui prend conscience de l'étendue de ce qu'il ignore et qui se sent tout minable. Nudité de l'homme séparé du divin comme on l'est du ventre de sa mère et qui renaît dans la douleur. Nudité de l'homme qui doit désormais prendre le relais de la création et contribuer, au prix de sa souffrance et de la grande fatigue de son corps, à développer ce qui existe.
La pomme, ce péché fait fruit, ce fruit par lequel advient la condition humaine, est un des piliers de l'agriculture au Liban. Il est clair que cela n'a pas fait de notre pays un Eden et nous n'en sommes pas, loin de là, plus conscients que d'autres de notre médiocrité. Mais nous les aimons, ces pommeraies que choie le climat des montagnes. Nous aimons, au printemps, ces nuées de fleurs blanches qui les recouvrent comme une neige tardive, légère et parfumée. Nous aimons, en septembre, l'arrivée joyeuse des travailleurs saisonniers qui viennent aider aux cueillettes. On attend un peu que montent les premières brumes. Elles seules font rougir le fruit déjà gavé de soleil. On n'arrache pas. On fait tourner doucement la pomme sur sa tige (on disait : il faut qu'elle ait le vertige), alors elle se rend à la tiédeur de la paume. On la pose délicatement dans la caisse. Rouge ou jaune, « Golden » ou « Starking », dite aussi « Red Delicious », la pomme libanaise est sensible aux meurtrissures. On ne ramasse pas les pommes tombées à terre. Celles-ci rejoindront les grands sacs qui les destinent au vinaigre. Les autres, glorieusement chargées à dos de camions, connaîtront quelque temps le froid des entrepôts avant de faire leur « grand tour » : l'Égypte et les pays arabes adoraient les pommes du Liban.
Adoraient. Car l'arbre de la connaissance ne nous a pas donné le talent de varier nos espèces et nos débouchés. Le grand bras de la Syrie qui entoure nos frontières terrestres complique l'exportation. En vain nous tentons de tenter.

Voici la saison des moissons. On ne sait plus imaginer le temps que prend le grain pour s'épanouir, d'abord mourir dans une obscurité moite, et puis se fendre, donner une petite racine et un petit brin vert, pousser par le bas et par le haut, virgule de vie qui relie la terre et le ciel. Bientôt il lance une tige qui deviendra bois, puis arbre mystérieusement fécondé qui donnera des fruits...

commentaires (3)

Ça m'a tout l'air que les gens qui gouvernent ce pauvre pays ne connaissent que les moissons qui vont dans "leurs poches"... Il ne sont pas conscients de la "nudité de l'homme séparé du divin" puisqu'ils semblent dénudés de tout fondement basé sur les valeurs et les principes, sur la justice, l'honnêteté et l'intégrité. Puisse votre beau texte sur les Nourritures, mettre en relief la fierté et la dignité des agriculteurs libanais qui,grâce à leurs efforts, les pommes et bien d'autres fruits du Liban sont appelés "les fruit du Paradis" malheureusement perdu.... Merci Fifi, un article plein de sentiments authentiques!! et si bien écrit!!

Zaarour Beatriz

22 h 28, le 06 octobre 2016

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Commentaires (3)

  • Ça m'a tout l'air que les gens qui gouvernent ce pauvre pays ne connaissent que les moissons qui vont dans "leurs poches"... Il ne sont pas conscients de la "nudité de l'homme séparé du divin" puisqu'ils semblent dénudés de tout fondement basé sur les valeurs et les principes, sur la justice, l'honnêteté et l'intégrité. Puisse votre beau texte sur les Nourritures, mettre en relief la fierté et la dignité des agriculteurs libanais qui,grâce à leurs efforts, les pommes et bien d'autres fruits du Liban sont appelés "les fruit du Paradis" malheureusement perdu.... Merci Fifi, un article plein de sentiments authentiques!! et si bien écrit!!

    Zaarour Beatriz

    22 h 28, le 06 octobre 2016

  • ET NOS ABRUTIS... QUEL FRUIT LES A-Y-IL NOURRI POUR LEUR HEBETUDE... CAR POUR LEUR GALA-GALA LA LATTA ET LA BATTA ILS ONT PUISE AUX SOURCES SIMSOMIOTES...

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 57, le 06 octobre 2016

  • La pomme le meilleur fruit d'amour triste de le voir ainsi orphelin au nom de la politique lui qui en 1960 était la fierté du Liban .

    Sabbagha Antoine

    08 h 13, le 06 octobre 2016

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