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Culture - Rencontre

L’hommage au père, sur un sol majeur

Beyrouth se souvenait hier soir de Toufic el-Bacha, avec la participation « symbolique et affective » de son fils, le pianiste Abdel Rahman el-Bacha. En marge de l'événement, rencontre pour parler musique, inspiration et égrener certains souvenirs du Liban d'autrefois et d'aujourd'hui...

Abdel Rahman el-Bacha : « Peu m’importe que la musique soit italienne, française, allemande, anglaise ou libanaise : il faut que la musique soit belle…» Photo Michel Sayegh

Le Conservatoire national supérieur de musique a inauguré hier la saison avec l'Orchestre national libanais de musique arabe-orientale sous la férule d'André el-Hage, en hommage à Toufic el-Bacha, musicien et compositeur émérite qui a touché à tous les genres, décédé en 2005 à l'âge de 81 ans. Et c'est toujours avec Bacha, le fils cette fois, que sera clôturé le chapelet de concerts de l'année en juin prochain, avec le retentissant 2e Concerto de Rachmaninov (avec l'Orchestre philharmonique libanais sous la baguette du maestro Loubnan Baalbaki) qu'interprétera notre brillant champion des touches d'ivoire.
Ultramince, barbe sel et poivre de quelques jours, cheveux coupés courts, pantalon noir et chemise beige clair, Abdel Rahman el-Bacha est égal à son image de toujours : avenant, affable, le propos courtois et attestant d'une vaste culture alliant connaissance de la vie et maîtrise des vocables. Dans un français châtié et d'une excellente tenue.


Il ne peut comptabiliser ses allées et venues au pays qui l'a vu naître tant la navette est constante. Mais toujours cette indicible joie de retrouver le sol majeur. En substance, il confie : « Chaque fois que j'arrive ici il y a quelque chose qui me prend et je ne sais pas ce que c'est... du hublot de l'avion, dès que j'aperçois Beyrouth ainsi que les collines comme un collier de perles et de diamants, depuis quarante-deux ans de séparations et d'éloignements entrecoupés, j'ai l'impression d'être une plante qui survit. Et qu'enfin l'eau arrive pour qu'elle revive et ressuscite... » Paroles de poète ? Sans nul doute, surtout pour un artiste qui sait donner en musique, non seulement aux notes mais aussi aux silences, tout un pouvoir incantatoire.


Que pense-t-il de ce projet qui réunit le public autour des partitions de son père décédé déjà depuis onze ans ?
« Je suis très heureux de ce projet. En fait, on devait commémorer le 10e anniversaire de sa disparition, mais pour organiser l'événement et mettre tout en ordre, cela a pris du temps. C'est une idée importante. Et ma participation, pour deux musiciens, est logique. D'autant plus que j'ai pu jouer ce Concertino pour luth et orchestre à cordes avec la partie pour luth aujourd'hui transcrite pour piano. Et que j'aime depuis longtemps. Ce concert lève le voile sur ce qui était le groupe des cinq, à savoir les frères Rahbani, Zaki Nassif, Abdel Ghanem Chaaban et Toufic el-Bacha, un peu comme les doigts d'une seule main ou le groupe des cinq russes – Rimski-Korsakov, Borodine, Moussorgsky et consorts... » Et de poursuivre : « Cela a permis de donner un cachet authentique à la musique, non seulement populaire mais savante aussi. Pour l'époque, aux alentours de 1943, c'était le témoignage pour une liberté non seulement politique, mais culturelle... Ils étaient tous jeunes, pleins de sève et ont apporté du sang neuf au pays à travers une collaboration amicale et étroite. Mon père a touché à tous les genres : son œuvre (aujourd'hui au Centre de musique de Kaslik) rassemble plus de 100 opus et 3 000 poèmes traditionnels, "mouachahats" andalouses (réactualisées, avec une sensibilité nouvelle et des moyens nouveaux) ainsi que des pièces pour instruments orientaux avec un mode occidental. Il y a cette symphonie de la paix donnée avec l'Orchestre philharmonique de Liège au moment où moi, un peu plus tard, j'ai joué un concerto de Chopin... Pour marquer qu'il maîtrisait toutes les formes de narration musicales, il y a aussi un oratorio (Inchadat nabawiya) qui se traduit par Une cantate prophétique. »

 

Colère, tendresse et grandeur
Si le musicien est prolifique, qu'en est-il de l'homme ?
Comment le cerner ? Comment le définir ? Un léger moment de réflexion, les grands yeux roulent un peu vers le plafond, un sourire se dessine sur les lèvres et la réponse fuse : « L'image qui me vient en prime abord est celle de Beethoven. Toutes proportions gardées ! C'était un homme droit, honnête, sévère avec les autres et lui-même. Un homme de cœur, intègre. Dans sa musique il y a des moments de colère, de tendresse et de grandeur. C'est pour cela que je dis Beethoven. »


Et d'après vous quel est le plus beau morceau qu'il ait écrit ? Petite pause, sans le soupçon d'un embarras et la confidence coule en toute simplicité : « J'aime beaucoup de choses de lui... Ce sont des moments... Des "mouachahats", des mélodies qui me touchent de près... Je reprends cette formule consacrée : on a le devoir de juger une œuvre par ses sommets. Mais je confesse avoir eu, dès l'âge de six ans, le coup de foudre pour une pièce qui s'appelle Caprice grec. Mon père me l'avait transcrite à l'époque en version simplifiée pour que je puisse la jouer au clavier. Je l'ai offerte à l'auditoire en bis, en une version virtuose que j'ai arrangée. Il y a là toute mon enfance... »


Si Toufic el-Bacha était vivant, que lui auriez-vous dit ? « Je suis sûr qu'il aurait été au comble du bonheur de voir qu'un concert lui soit entièrement dédié, répond le pianiste. Et de voir son fils faire partie intégrante de ce concert. Ce qui fait la différence entre un grand artiste et un autre, c'est la capacité du premier à faire quelque chose de beau. Et le beau est quelque chose de rare. Peu m'importe que la musique soit italienne, française, allemande, anglaise ou libanaise : il faut que la musique soit belle... »

 

 

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