Aucun pays du Moyen-Orient n'a autant aspiré au progrès que le Liban. Est-ce la longue fréquentation des villes d'Europe depuis l'époque des Émirs, le désir de secouer le joug ottoman en opposant à l'oppresseur une certaine supériorité culturelle ? Est-ce un certain complexe du colonisé face aux forces mandataires ? Est-ce l'émigration massive, au fil des siècles, qui a favorisé une identification des familles restées sur place avec les pays d'accueil de ceux qui partaient ? L'un de ceux-là avait emporté sur le bateau qui le menait en Amérique un de ces postes de radio volumineux des années 20, croyant qu'il le tiendrait au courant des nouvelles du pays et lui tiendrait compagnie en lui parlant un peu d'arabe. On partait naïf en ce temps-là et l'on engendrait des « natifs ». On s'enracinait. La génération suivante naissait sans accent.
Courrier international a récemment reproduit une étude de 2014 réalisée par l'université de Michigan sur le port du voile dans le monde arabe. Il en ressort que les musulmans libanais sont largement majoritaires, devant les Turcs et les Tunisiens, à favoriser les cheveux à découvert. Et en ce sens, la culture libanaise semble en rupture avec la culture régionale. Mais par ailleurs, qu'une jeune musulmane se suicide et le discours tribal prend le dessus : elle n'a pas le droit de disposer ainsi d'elle-même. À peine la malheureuse enterrée, c'est un député chrétien qui se fait aussitôt le porte-étendard d'un machisme archaïque en émettant des réserves sur l'amendement de l'article 522 du code pénal, qui exempte un violeur de sanctions s'il épouse sa victime. Sur la transmission de la nationalité libanaise par les mères, il a naturellement ressorti la réponse improbable : « Cela provoquerait un déséquilibre démographique. »
On le voit, progrès ou pas, les femmes, dans ce pays, ont encore un long chemin à parcourir vers l'habeas corpus. On a beau les caricaturer en bimbos, railler leurs sourcils tatoués, leurs nez refaits, leur plastique artificielle, leur dépendance au gros businessman à cigare, ce cliché ne concerne au fond que les plus visibles d'entre elles, vedettes de pacotille, animatrices de soirées populaires, stars du réseau Rotana qui fait ses choux gras de leur clonage en martiennes. Les autres soutiennent leurs familles et travaillent dur pour élever leurs enfants et arrondir les fins de mois de leur ménage. Leur niveau d'instruction est souvent supérieur à celui des hommes de leur entourage pour un salaire naturellement moindre. Elles ne sont pratiquement pas représentées dans les sphères où elles peuvent agir pour leurs droits et leurs causes, notamment le Parlement et le gouvernement. Avec cela, une légende urbaine prétend que la population libanaise est composée de sept femmes pour un homme. Il doit bien y avoir un fond de vérité. Voilà de quoi alimenter les instituts de beauté et affoler les candidates au mariage. Mais sept femmes pour un homme, cela fait bien une énorme majorité ? Un réservoir électoral considérable ? Pourquoi personne, pas même les intéressées, n'en tient-il compte ? Comment envisager le progrès tant que la majorité de la population active est infantilisée par une tradition patriarcale si évidemment sur le déclin ?
Femmes
OLJ / Par Fifi ABOU DIB, le 15 septembre 2016 à 00h00
commentaires (5)
Merci...merci ,vos articles ouvrent des horizons merci...
Soeur Yvette
15 h 16, le 15 septembre 2016