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Lifestyle - Photo-roman

Marilyn Monroe et moi à Beyrouth, en 1962

Photo G.K.

Pour la seconde fois, le 17 novembre prochain, la robe de mille feux portée par Marilyn Monroe au Madison Square Garden lors de son mythique Happy birthday Mr. President, déclaration enflammée et alcoolisée à John F. Kennedy, sera mise aux enchères par la maison Julien's Auction à Los Angeles. Il aura suffi de cette nouvelle pour qu'il sorte de la cage de son silence. Lui, c'est un monsieur libanais à l'âge avancé, claudiquant sur canne, mais à la mémoire en béton coulé, qui préfère cependant garder le poing fermé sur son identité comme il avait longtemps jeté un voile sur l'histoire suivante.

« You ! I like you ! »
Ils s'étaient rencontrés à New York à l'époque où la ville insomniaque avait enfanté un Studio 54 qui sombrait sans sommation dans somnifères et autres substances, pour imaginer une autre réalité, en technicolor ou glacée sous celluloïd. Béatifiée par Andy Warhol, Marilyn y passait ses nuits à s'enivrer de luxe et luxure, à se goinfrer de dépense et de démence. Lors d'un séjour à New York, alors qu'il traînait au Studio 54, la diva avait approché l'artiste libanais de but en blanc et lui avait susurré à l'oreille ces paroles trempées dans du Dom Perignon : You ! I like you ! Depuis, ils ne s'étaient plus quittés, lui le jeune homme fuguant d'un pays qui ne permettait pas sa différence gay et son amour des garçons. Et elle, l'égérie d'un féminisme antiprude, fuyant sans cesse son asile intérieur. Il était devenu son garde-fou et elle sa garde chassée. D'ailleurs, après le Happy birthday Mister President puis l'altercation téléphonique avec Jackie, la femme de son amant, deux épisodes qui avaient enfoncé le clou de la descente aux enfers de Monroe, son ami libanais avait décrété : « Maintenant, ça suffit Marilyn ! Tu rentres à Beyrouth avec moi, ça te fera du bien. » C'est que la veille, à coups de flûtes de champagne et de pieds de lampe, la femme platine avait fracassé une (autre) suite du Waldorf Astoria, l'établissement qui avait éternellement mis en scène ses cycles de destruction/réfection.

Du Waldorf Astoria new-yorkais au Phoenicia libanais
Il avait tout prévu, à l'aéroport de Beyrouth, pour une sortie en catimini. Histoire que personne n'aperçoive l'actrice de Some Like It Hot qui s'immolait désormais aux chaudes flambées de la déprave. Ils avaient embarqué dans une Ford Thunderbird 1962, qui convient bien à celle qui aimait prendre la poussière étoilée des routes du hasard. Marilyn s'était glissée sur le siège passager et s'était abandonnée au bonheur d'un nomadisme clos, donnant libre cours à sa mélancolie rose délavé, calfeutrée dans le cuir carmin où le silence lui cloue les ailes rebelles. En chemin, elle avait noirci à l'encre de son mascara dégoulinant idées comme poèmes sur un papier à lettres du Waldorf Astoria. Griffonné une lettre à son ami Lee Strasberg, qu'elle avait ornée de croquis de la Grotte aux Pigeons de Raouché, la grande roue du Luna Park de Manara ainsi que le phare de Beyrouth, strié en marinière. Arrivée au Phoenicia qui avait ouvert un an plus tôt, elle avait retiré avec la majesté nécessaire son fichu et son étole, libérant ainsi sa toison d'or et son corps glorieux et sans façons, puis s'était effondrée sur un sofa de la terrasse de sa suite. Sans excuses ni justifications, elle avait passé la nuit, assise de biais et jambes pendantes, à balancer ses talons dans l'air sucré de la dolce vita libanaise.

Norma Jean dans Beyrouth
Presque une semaine s'était écoulée et Marilyn ne sortait de son lit que quelques minutes par jour pour imbiber ses yeux de la lumière bronzée de ce printemps beyrouthin. Son compagnon ne l'avait pas lâchée de peur « qu'elle ne fasse une bêtise ». Sauf que le septième jour, alors qu'il s'attendait à ce qu'elle passe 24 heures de plus dans les bras de Morphée, il l'avait vue sortir de la salle de bains telle une apparition. C'était sa Marilyn, la Marilyn de Gentlemen prefer blondes et How to marry a millionaire. Puissance magnétique, impérieuse et peroxydée, marionnettiste connaisseuse de la gent masculine. Elle avait dit : « Allez, lève-toi cher ami, je rentre demain, je voudrai voir Beyrouth avant ! »
« Mais Marilyn, tu as perdu la tête ? Tout le monde te reconnaîtra ! » Réponse : « Ne t'inquiète pas, je vais jouer à Norma Jeane Mortenson, je passerai inaperçue, tu verras ! »
Soit. À bord de sa Thunderbird, ils avaient sillonné Beyrouth qui avait rappelé à Marilyn le Los Angeles de ses débuts, sans doute pour ces palmiers qui tendent les bras vers des cieux, ses Hollywood Stars huilées et dénudées du derrière autour de la piscine du Saint-Georges ou sur le sable du Saint-Simon. Et puis évidemment pour cette indolence certaine qui arrose son parfum doré sur le pavé. Il lui avait proposé un plateau de fruits de mer chez Lucullus sur l'avenue des Français, une orgie de mezzés chez Dbaibo ou Ajami. Mais Marilyn devenue Norma Jean avait préféré les amandes vertes qu'on servait en apéritif sur les terrasses de Hamra, et leur texture veloutée, en écho à ses joues fardées. D'ailleurs, sur cette rue aux mille lumières, avant de rentrer, elle avait offert à son alter ego libanais une sculpture représentant deux chevaux entrelacés : « Ça, c'est nous. En souvenir de moi. » Il lui avait dit : « Reste, je m'inquiète pour toi... »
Mais elle est repartie, d'une démarche décidée, tête brûlée et tignasse javellisée, vers sa ville dévorante, cette cité aux sirènes hurlantes et aux saletés majestueuses. Là où il y a de la pierre jusqu'aux étoiles. De celles que, bientôt, elle ira tutoyer.

 

*Chaque samedi, « L'Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ sera une photo. C'est un peu cela, une photo-roman : à partir de l'image, shootée par un photographe, on imaginera un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c'est selon.

 

 

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