Rechercher
Rechercher

À La Une - canonisation

Querelles balkaniques sur la mémoire de Mère Teresa

L'Albanie et la Macédoine se disputent âprement la mémoire de la religieuse.

Quand le pape canonisera dimanche Mère Teresa, l'héroïne des misérables de Calcutta, l'heure sera à la fierté en Albanie et en Macédoine, deux pays voisins des Balkans qui se disputent âprement la mémoire de la religieuse. AFP / Robert ATANASOVSKI

Quand le pape canonisera dimanche Mère Teresa, l'héroïne des misérables de Calcutta, l'heure sera à la fierté en Albanie et en Macédoine, deux pays voisins des Balkans qui se disputent âprement la mémoire de la religieuse. Une bataille derrière laquelle se dissimulent mal des rivalités ethniques et identitaires entre Albanais et Slaves de cette région où est née Mère Teresa.

Pays majoritairement musulman, l'Albanie a donné son nom à son aéroport international, au plus grand hôpital du pays, à une place de Tirana. Une statue de la religieuse domine le lac Ohrid, qui sépare le pays de la Macédoine, à quelques encablures du poste-frontière entre les deux pays. En Macédoine, pays majoritairement orthodoxe où vit une forte minorité albanaise, une autoroute et un hôpital portent le nom de la missionnaire, tandis que le site de Skopje où elle a été baptisée est devenu la "Mother Teresa Memorial House", visité par environ 500 personnes par jour.

 

(Pour mémoire : Canonisations : comment devient-on saint?)

 

Kadaré dans le débat
Agnes Gonxha Bojaxhiu est née le 26 août 1910 à Üsküb, cité multiculturelle de l'Empire ottoman qui devait devenir Skopje. Sa mère était une Albanaise dont la famille venait du Kosovo.

Pour son père, mort alors qu'elle était enfant, le débat est plus délicat: pour les Albanais, il est indiscutablement des leurs; en Macédoine, certains affirment qu'il était Valaque, peuple slave orthodoxe des Balkans. "Mère Teresa est née à Skopje, mais ne s'est jamais désignée comme Macédonienne", souligne l'historien albanais Moikom Zeqo. Elle "a toujours parlé de ses origines albanaises et de sa mission universelle", insiste-t-il.

Les Macédoniens préfèrent se référer à l'endroit où elle a vu le jour: "Nous la désignons comme une +Skopjanka+", une citoyenne de Skopje, "parce que nous savons qu'elle est des nôtres", riposte Valentina Bozinovska, directrice de la commission nationale des communautés religieuses de Macédoine.

Sa terre natale, Mère Teresa l'a quittée à la fin des années 1920, pour son noviciat en Irlande, avant de prendre la route de l'Inde en 1929. Depuis, une guerre mondiale, la création puis l'effondrement de la Yougoslavie, les conflits des années 1990, ont bouleversé les Balkans.

Sa mère et sa soeur ont déménagé à Tirana dans les années 1930, mais Mère Teresa n'a jamais été autorisée à poser le pied sur le sol albanais sous la dictature communiste d'Enver Hoxha. Ce n'est qu'en 1989, quatre ans après la mort du tyran et un an avant la chute du communisme, qu'elle a pu se rendre sur la tombe de ses proches et dans leur maison.

Genc Zajmi, 78 ans, y vit encore. Il se souvient des lettres empreintes d'amour de la religieuse à sa mère, et affirme qu'elle n'a jamais oublié ses racines albanaises. Pour lui, "il est inacceptable que la Macédoine considère Mère Teresa comme un symbole national". "Les gens célèbres appartiennent à l'humanité entière, mais ils ont aussi leurs racines, une nation à laquelle ils sont liés par le sang", dit à l'AFP l'écrivain albanais Ismaïl Kadaré.

 

(Lire aussi : « Si jamais je deviens une sainte, ce sera sûrement une des ténèbres »)

 

Citoyenne indienne
Aux yeux de Maja Vaneska, une Macédonienne de 28 ans, "elle est née ici, a été élevée ici, a vécu ici, a joué avec ses amis à l'endroit où nous sommes. Qu'elle soit de Skopje est un fait".

Des festivités sont prévues en Macédoine autour du jour de la canonisation, dont une messe le 11 septembre, avec un envoyé papal. La banque centrale doit frapper une pièce d'argent dans ce pays où Mère Teresa s'est brièvement rendu quatre fois avant sa mort en 1997.

Pour Valentina Bozinovska, la religieuse est un symbole d'"unification culturelle", dans ce pays peuplé pour un quart d'Albanais qui se plaignent régulièrement que les monuments en hommage à Mère Teresa soient frappés d'inscriptions en macédonien ou en anglais, mais pas dans leur langue. En 2003, une controverse était née quand avait été évoqué le cadeau par Skopje d'une statue destinée à Rome avec, en cyrillique, l'indication, "Fille de Macédoine".

Que disait l'intéressée? "Par mon sang, je suis albanaise. Par ma nationalité, indienne. Par ma foi, je suis une religieuse catholique. Pour ce qui est de mon appel, j'appartiens au monde. Pour ce qui est de mon coeur, j'appartiens entièrement au Coeur de Jésus", écrivait celle qui s'est aussi décrite comme citoyenne de Skopje.
Quand l'Albanie a réclamé sa dépouille, Delhi avait platement répondu que la religieuse "reposait dans son pays, dans sa terre".

La controverse désole la directrice du mémorial de Skopje, Renata Kutera Zdravkovska: "Je pense vraiment qu'elle serait mécontente de ce genre de débats."

 

Lire aussi

Mère Teresa à Beyrouth : l'histoire véridique

Dossier

François fait coup double avec la canonisation de Jean-Paul II et Jean XXIII

Quand le pape canonisera dimanche Mère Teresa, l'héroïne des misérables de Calcutta, l'heure sera à la fierté en Albanie et en Macédoine, deux pays voisins des Balkans qui se disputent âprement la mémoire de la religieuse. Une bataille derrière laquelle se dissimulent mal des rivalités ethniques et identitaires entre Albanais et Slaves de cette région où est née Mère Teresa.
Pays...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut