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Lifestyle - Photo-roman

« Zahra, nous allons faire quelque chose de très interdit... »

Photo GK

Nous sommes début septembre et les femmes libanaises profitent des dernières sueurs d'un été suave pour réaffirmer qu'elles sont des hommes comme les autres. Côté nuit, sur les rooftops qui s'accrochent au ciel, on se dispute les tabourets où des dames déshabillées perchent leurs stilettos on the rocks et leurs frimousses enfarinées. Elles ne seraient que des (pseudo) business women sans gluten qui ripolinent la façade de leur narcissisme féminin à coups de profils masculins qu'elles défilent sur Tinder, rêvant de sauter du like au lit (conjugal).

Côté jour, les rues de Beyrouth se font podiums à mini-shorts et minijupes, ces morceaux de tissus pour jambes de cigognes sans vergogne, symbole d'affranchissement qui gagne et de liberté qui gambade. Ce n'est pas le cas des sœurs Zahra et Warda qui ont choisi (ou pas, qu'importe) de se voiler de la tête aux pieds, de disparaître du regard de tous et ainsi consacrer leurs formes à un potentiel mari jaloux, ou de vouer leur chasteté soumise à un Dieu, paraît-il, impérieux.

 

Bus-boulot-dodo
Les jumelles habitent dans un quartier de la banlieue sud et travaillent dans un hôpital de charkiyé (l'Est), car c'est, tristement, avec cet adjectif guerrier qu'on continue à désigner cette partie d'un Beyrouth qui préfère nettement la scission à la fusion. Les deux filles dociles tracent tous les jours les frontières d'un quotidien obéissant qui se résume à bus-boulot-dodo. C'est ainsi que papa l'a décidé, décrété et puis imposé. Dans cet hôpital où elles font le ménage des chambres après le départ des patients, Zahra et Warda sont affublées d'un tablier blanc qui les écroue davantage dans leur corps-cape. Seul leur visage est apparent. Il est comme astiqué au désinfectant moral, d'un charme enfantin qui passerait pour négligeable si cette tenue tenace ne rehaussait pas l'innocence de leurs joues qui mutent au rouge au passage d'un homme.

Et même si elles sont tentées d'inverser les polarités, d'envoyer valser ces règles auxquelles elles sont ligotées, les deux filles en fleurs évitent tout contact avec les messieurs de leurs établissements, au moment du repas ou des repos, et ne leur octroient rien, si ce n'est un sourire avare et hagard, effrayé de séduire, apeuré de plaire, mais anxieux d'être repoussé. « Ça ne plairait pas à Dieu ni à papa... », se répètent-elles tel un ricochet spirituel.

 

Fêtardes goguenardes
Dévoilant des contradictions assez répandues, de retour chez elles, Zahra et Warda passent leur soirée à cajoler leur féminité qu'il ne leur importe pas ou plus d'afficher. Et voilà que les deux filles retirent leurs voiles et se font héroïnes d'une bibliothèque rose à la mèche libérée et abandonnée aux mains du vent. L'une d'elles avait emporté un kit de maquillage que la jeune patiente de l'hôpital avait laissé traîné, et les voici devenant fêtardes goguenardes au visage maquillé à la craie, frétillant de la hanche sous un néon qui grésille. À défaut de pouvoir sortir et s'ouvrir à d'autres ailleurs, les jumelles avaient trouvé moyen de transporter le monde sous leurs yeux puérils. Grâce à une voisine pro de la programmation et du hacking, Zahra et Warda s'étaient procuré une connexion Internet et avaient donc découvert cette fascinante herbe de la connaissance et ses branches qui unissent avec d'autres cieux.

Depuis, les filles ne dorment plus. D'ailleurs, un soir où Warda surfait sur le Net, elle était tombée sur un dossier portant sur la polémique du burkini. Ne saisissant pas grand-chose à ces chinoiseries légales, les photos lui avaient cambriolé l'attention. On y voyait des filles voilées, comme elle, nageant droit devant vers les plaisirs simples de la vie et ressortant de l'eau pour aller sécher sous le soleil de l'extase. Elle s'était alors empressée de réveiller sa sœur : « Zahra, demain nous allons faire quelque chose de très interdit. Tu diras à papa et maman que nous allons au travail comme d'habitude. Compris ? »

Le lendemain, sans piper mot à quiconque, Zahra et Warda avaient pris une barque à partir de Ramlet el-Baïda. Elles avaient largué les amarres des restrictions puis vogué longtemps au large des interdits. Puis se sont jetées à l'eau, en tenue complète, certes, mais s'imaginant quand même en femmes comme les autres.

 

Chaque samedi, « L'Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ sera une photo. C'est un peu cela, un photo-roman : à partir de l'image, shootée par un photographe, on imaginera un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c'est selon...

 

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