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Lifestyle - Photo-roman

« Le problème c’est moi, je suis engagé, tu le sais... »

Photo GK

Le résumer en trois faits : un pull en vichy de gentleman-farmer l'hiver, des gardénias à la boutonnière l'été et de l'arak pour saluer la tombée de la nuit en toute saison. Sinon, son imagination est toujours aussi fleurie, son verbe demeure aisé. Sa mobilité, par contre, est menacée par une canne en bois de cèdre qui ne l'empêche pas toutefois d'enjamber ses quatre-vingt ans et de se faire pousser des ailes. Monsieur Moustapha, qui refuse absolument qu'on guillotine le monsieur de son patronyme complet, conserve cette silhouette de boxeur à bide (qu'il n'a jamais été), qui avait charmé sa femme Bernadette, voici plusieurs décennies siglées en noces de diamant. Le beau parleur est autant joli cœur et badine avec les passantes devant sa boutique de Jeïtaoui le temps d'intermèdes qui meublent l'ennui causé par « le marché qui s'essouffle », malgré des joues couturées de rides et une toux qui lui siphonne la gorge. Aujourd'hui, plus que jamais, il reste conforme à sa légende de Casanova au cheveu bleui, et on ne sait trop que rajouter aux flots d'histoires épicées sous lesquelles le « monument » du quartier se trouve englouti à défaut de s'être vu couché sur les pages d'un roman.

Sa blonde peroxydée
Drôlement allégé par le temps, ni solitaire ni ermite, encagé dans le couvent de ses quatre-vingt printemps, Monsieur Moustapha se soucie toujours autant de sa libido qu'il (r)échauffe à coups de pilules bleues pour aller butiner des myriades d'histoires d'un jour. Il désire des dames fraîches et en fleurs, et n'aime rien tant que les faire tomber en pâmoison. Accoudé à la porte de son impatience, il est à tu et à toi avec celles qui passent vêtues de ces robes qui s'évasent vers un été brûlant et l'envasent dans ses fantasmes d'éternel adolescent. À l'heure où les machos de ce pays sont persuadés de pouvoir saisir les demoiselles avec un Ya Achta siffloté, il suffit à Moustapha d'un regard de crooner pour aimanter cette blonde pétarade qu'il a repérée dans l'institut de beauté d'en face, elle qui hisse sa dégaine canonique sur des échasses à la semelle carmin. Il est expansif et attentif, elle est débordante et dévorante. Il lui offre un verre d'une sous-marque de whisky sur lequel elle dépose la trace de son « contour » à lèvres violet, avant qu'il ne l'emmène admirer le coucher du soleil du haut de la grotte aux pigeons à Raouché ; c'est son atout charme, sa marque de fabrique.

L'Aragon de ses lectures
À bord de sa vieille Ford testostéronée, Monsieur Moustapha cite l'Aragon de ses lectures à sa dulcinée dont le teint prend soudainement celui du soleil couchant. Il déclame : « Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire/ J'ai vu tous les soleils venir s'y mirer », décoche un sourire qui crépite en escarbille et lui décroche ainsi un premier baiser : sa formule fonctionne à tous les coups, comme un assaut de courtoisie radieuse, une célébration des plaisirs défendus. De fait, tel un jeune premier confus dans le cocon où se blottit son risque, il susurre à sa maîtresse : « Allons nous planquer en quelque endroit discret, j'ai peur qu'on me repère. » Et la main dans la main, comme chantait Françoise Hardy, ils tanguent dans une chaloupe éraillée sur les vagues de la réminiscence jusqu'à un restaurant de poisson sur les rives d'Ouzaï où les attend une table illuminée à la chandelle des premiers émois. Leur amourette avait duré quelques jours. Un matin, après une nuit dans un hôtel de Hamra, Moustapha avait glissé un petit mot sous le coussin de sa maîtresse. Il y était écrit : « Tu es une femme exceptionnelle, mais je ne peux plus poursuivre cette histoire. Le problème c'est moi, je suis engagé, tu le sais... » Monsieur Moustapha avait déjà pris la tangente. Prêt à troquer sa blonde contre une brune nébuleuse à la frange rideau qu'il avait remarquée chez le légumier d'à côté.
Mais cela devra attendre demain. Entre-temps, il réajustera la vitrine de sa boutique : il y placera la blonde peroxydée d'aujourd'hui aux côtés de la rousse d'hier et de la brune de demain. Avant d'aller retrouver la Bernadette de son quotidien.


Chaque samedi, « L'Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ sera une photo. C'est un peu cela, un photo-roman : à partir de l'image, shootée par un photographe, on imaginera un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c'est selon...

 

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