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Moyen Orient et Monde - Le billet

Le monde merveilleux des ultraconservateurs américains

« De ce que j’entends de la bouche des médecins, la grossesse après un viol est très rare (...) S’il s’agit d’un véritable viol, le corps de la femme essaie par tous les moyens de bloquer tout ça », a déclaré, le 19 août 2012, Todd Akin, membre de la commission des Sciences de la Chambre des représentants et candidat au poste de sénateur du Missouri.

Il était une fois, dans un pays très reculé du monde, des hommes et des femmes vivant selon les lois de Dieu retranscrites par des hommes de bonne volonté, des sages connus sous le nom d’« ultraconservateurs chrétiens américains ».

 

Dans cette société idéale, la liberté individuelle était reine. Elle primait sur tout.


Dans ce monde merveilleux, la vie n’était toutefois pas toujours un long fleuve tranquille. Et il pouvait advenir qu’un des membres de la communauté ait des soucis, qu’il soit soumis à des épreuves.
Confronté à un revers de fortune, cancer, chômage, alzheimer, accident de voiture, tout habitant de cette société magique se devait de garder le sourire tout en essayant de se sortir du bourbier tout seul comme un grand. Face aux factures d’hôpital ou au frigo vide, plusieurs options s’offraient à l’infortuné : vendre sa voiture, vendre sa maison, vivre dans une caravane, sous un pont, ou se laisser mourir, tout simplement. La mort n’étant qu’une transition vers un monde meilleur. Pour peu qu’on le mérite bien sûr.


S’il avait été vraiment sage et pieux, s’il montrait une réelle volonté de s’impliquer dans la vie de la communauté et d’en suivre tous les préceptes à la lettre, et si les autres habitants le souhaitaient, le malheureux pouvait également compter, de manière arbitraire et subjective, sur l’aide des autres membres de la communauté via des dons. Autant dire que si l’infortuné était victime d’une maladie récurrente, il devait faire preuve d’un engagement non seulement sans faille, mais aussi crescendo pour que les dons ne tarissent pas sous l’effet naturel de la lassitude ou de l’habitude.

 

Dans ce monde magique, la science avait cette vertu extraordinaire d’être malléable et modelable à merci. Le corps des femmes aussi.
En cas de « viol véritable », car oui, des forces obscures s’étaient immiscées dans cette société idéale, en cas de « viol véritable » donc, le corps des femmes « bloquait tout ça », comme l’avait décrété un des grands sages, connus sous le nom d’Akin. Les femmes victimes de « viols véritables » ne tombaient donc pas enceintes.
Le sage Akin, un élu du peuple, appuyait ses affirmations sur les propos tenus par d’autres grands sages avant lui. Dans les années 80, un sage-médecin du nom de Willke avait déjà indiqué qu’en cas de « viol par la force », à distinguer du « viol consensuel », avait-il précisé, la grossesse était très rare. À la même période, un sage-élu du nom de Freind avait expliqué aux masses en mal de repères que la femme violée, car elle vit une expérience traumatisante, « produit certaines sécrétions ayant tendance à tuer le sperme ».


C’est donc en 1988 que l’on a su que le trauma avait des vertus contraceptives. Il va sans dire qu’il s’agissait là du seul mode de contraception autorisé, l’acte sexuel étant exclusivement voué à la reproduction de l’espèce.


Soucieux de porter les lumières du savoir jusqu’aux esprits les plus lents sur ce sujet capital, un avocat du nom de Holmes avait eu la brillante idée de recourir à la métaphore, expliquant que « les grossesses dues à des viols sont aussi fréquentes que la neige à Miami ». La sagesse et le don de vulgarisation de cet homme raffiné lui avaient permis, par la suite, de faire une brillante carrière jusqu’au sommet du pouvoir.


Bien sûr, les vérités énoncées plus haut ne s’appliquaient pas aux femmes qui n’avaient pas été victimes d’un « véritable viol », à savoir celles qui portaient des talons, des jupes courtes et des décolletés.


Ce monde merveilleux avait été créé en six jours et avait, grosso modo, 6 000 ans. Ses membres étaient les descendants d’Adam et Ève. En classe, les élèves – qui commençaient chaque journée par une prière avant de réciter, en chœur, la devise du pays (« Il n’est pas nécessaire de comprendre pourvu que l’on croie ») – apprenaient, les yeux brillant d’excitation, que leurs ancêtres avaient vécu en paix avec les dinosaures.


Sans surprise, ce monde merveilleux était jalousé. Pire, des forces sataniques cherchaient à le détruire. Et tous les moyens étaient bons pour en saper les fondements.


Les premiers ennemis de cette société idéale étaient les scientifiques. Une espèce nauséabonde qui voulait connecter l’homme aux singes. Une race d’hommes qui voulait détruire la création à coups d’évolution. Des prédicateurs furieux, et pour certains athées, qui annonçaient la fin du monde merveilleux pour cause de réchauffement climatique.
Le réchauffement climatique... Les sages savaient mieux. Ils savaient que les scénarios apocalyptiques brandis par les scientifiques n’étaient que mensonge, hérésie et complot. Si réchauffement climatique il y avait dans ce monde merveilleux, il ne relevait pas de l’activité humaine, mais de la volonté de Dieu. Dès lors, l’on pouvait continuer, l’on se devait de continuer même, de forer, creuser, pomper comme un Shadok.


Parmi les ennemis de ce monde merveilleux, il y avait aussi et surtout les salopes... enfin, les féministes ! Celles qui faisaient la promotion des contraceptifs par exemple, qui pensaient que les femmes devaient avoir un droit de regard sur leur corps et leur sexualité. Sacrilège !


Face à ces traîtresses ensorceleuses, les sages faisaient malgré tout preuve de bonté. Dans leur infinie mansuétude, ils ne les avaient condamnées qu’à l’insulte et l’opprobre. Et ce alors même qu’au fond de leur âme, certains rêvaient de rallumer les bûchers.

Il était une fois, dans un pays très reculé du monde, des hommes et des femmes vivant selon les lois de Dieu retranscrites par des hommes de bonne volonté, des sages connus sous le nom d’« ultraconservateurs chrétiens américains ».
 
Dans cette société idéale, la liberté individuelle était reine. Elle primait sur tout.
Dans ce monde merveilleux, la vie n’était...

commentaires (7)

Ultra-conservateurs américains, haredim et salafistes: même idéologie haineuse sous des accoutrements différents. Une sorte de diversité a-culturelle, quoi. Sauf que cette a-culture doit être combattue par tous les moyens. Excellent billet de Madame Sueur.

Paul-René Safa

00 h 21, le 25 août 2012

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Commentaires (7)

  • Ultra-conservateurs américains, haredim et salafistes: même idéologie haineuse sous des accoutrements différents. Une sorte de diversité a-culturelle, quoi. Sauf que cette a-culture doit être combattue par tous les moyens. Excellent billet de Madame Sueur.

    Paul-René Safa

    00 h 21, le 25 août 2012

  • Veuillez m'excuser, Madame, mais vous parler d'imbéciles, même s'ils furent ou sont des élus du peuple. Et par dessus le marché, des ULTRA....CON...S..ERV(I)TEURS... L'Imbécilité est aussi un ULTRA...DON ! Excusez !

    SAKR LEBNAN

    06 h 44, le 24 août 2012

  • et il y a même un musée, ou l'on voie Adam et Eve avec des animaux préhistoriques. A un américain, a qui on demandait si cela le dérangeait pas, il a répondu non car il y avait des dragons au Moyen-Age et sans compter la bague de virginité..........Et il faut dire que les USA, est le pays ou il y a le plus de mineures qui se retrouvent enceintes.....................

    Talaat Dominique

    06 h 00, le 24 août 2012

  • Comme d'habitude Mme Sueur, c'est toujours un plaisir de vous lire, ou plutot, de savourer vos billets. C'est d'un humour et d'une finesse rares... Et puis ca sort de l'ordinaire grace a votre esprit si creatif... Merci de m'avoir fait tellement rire!

    Michele Aoun

    05 h 34, le 24 août 2012

  • Ce que ne dit pas Mme Sueur, c'est que ces "néo-cons" ne sont pas une minorité aux USA, loin de là! Une statistique récente a montré que 40% des Américains étaients des "Young Earth Creationists", c.à.d des gens qui croient textuellement à la fable biblique d'Adam et Eve, et aux calculs historiques de l'évêque Anglais Ussher selon lesquels le monde a été créé en 4002 avant JC! Et voilà les gens qui ont la prétention de diriger le monde...

    Georges MELKI

    03 h 49, le 24 août 2012

  • Un vrai bol d'air frais votre billet, tout en finesse :)

    Tina Chamoun

    03 h 42, le 24 août 2012

  • Neocons,ultracons...ils portent vraiment bien leur nom,ces cons là...

    GEDEON Christian

    01 h 13, le 24 août 2012

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