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Liban - Réussite

De l’île de La Réunion à la Métropole, le parcours hors normes de Mémona Hintermann

La petite écolière aux yeux verts, métisse aux pieds nus, qui chapardait pour manger, aurait pu stagner dans la misère. Mais non ! Par la force d’un travail acharné Mémona Hintermann est devenue grand reporter pour la chaîne de télévision France 3, couvrant les événements les plus marquants de ces dernières décennies, notamment la chute du mur de Berlin, les guerres des Balkans, d’Irak, d’Afghanistan et du Tchad. De l’île de La Réunion à la Métropole, son parcours est fascinant. Il sera le sujet de la conférence qu’elle donnera à l’Université Saint-Joseph, campus de l’innovation et du sport, rue de Damas, demain mercredi à 18h30.

Mémona Hintermann est née Afféjee, en 1952, à Tampon, une bourgade de planteurs de canne à sucre de l’île de La Réunion, d’un père indien musulman et de sa compagne Marie-Claire Séry, une créole catholique d’origine bretonne. Enfant, elle a connu la pauvreté la plus extrême, avant de devenir journaliste à l’ORTF de Saint-Denis puis grand reporter à France 3. Dans son autobiographie Tête haute, éditée chez Jean-Claude Lattès, elle raconte son parcours hors norme, surprenant et émouvant, et aborde en amont ses rencontres avec Paul Vergès, Michel Debré, Mitterand et Sarkozy, sans oublier les questions qui hantent la France: le racisme, l’immigration, l’intégration, la discrimination, le repli communautaire, l’islam qui se radicalise et le voile qui couvre de plus en plus de têtes et auquel elle est farouchement opposée.


Mais commençons par le début, «par le bas, le plus bas», selon sa propre expression.


Mémona Hintermann, ses frères et sœurs ont grandi dans des «cases» sombres, sans eau courante ni électricité, minés par des privations vitales, chapardant à droite et à gauche pour apaiser leurs ventres en proie à la famine: une poule ou une boîte de sardine, qu’ils partagent à huit; un bonbon, «la merveille sucrée», qu’ils suceront à tour de rôle; la chasse aux capsules et aux bouteilles vides qu’ils vendaient pour acheter une poignée de riz et un morceau de morue sèche! C’était aussi la course pour trouver, mêlés aux graviers, des chewing-gums mâchés et jetés, ou pour ramasser les graines de cocotiers, un peu âcres, mais qui servent de coupe-faim.
Chacun, au fond de soi, savait que «ce n’est pas bien de vivre ainsi» et qu’un jour cette misère devrait cesser. «La pauvreté est un fardeau très lourd qui marque à jamais, mais aussi – même si cela peut paraître bizarre – un avantage sur les autres. Une fois arrivé tout en bas, on apprend à se battre, remonter si l’on veut survivre (...) Cette pauvreté comme expérience fondamentale pour le reste de ma vie me lie profondément à mon mari, le journaliste allemand Lutz Krusche. Enfant de l’Allemagne de l’après-guerre, il a rêvé d’une tranche de pain, d’un vrai pantalon au lieu de celui fagoté dans les oripeaux d’un uniforme militaire qui sentait la honte».


Ce dénuement a été un viatique pour Mémona Hintermann. Il lui a procuré une rage de vivre et surtout de réussir. Sa bouée de sauvetage sera l’école. «Pour moi, c’était devenu une obsession (...) À la fin de la classe de troisième, je me présenterai au brevet élémentaire, le passeport pour devenir institutrice. Le métier par excellence, qui symbolise l’arrivée parmi les gens bien.» Nu-pieds, mais la tête haute, elle parcourt des kilomètres pour aller à l’école. Sa maman sacrifie plusieurs repas pour lui acheter des livres, et elle-même «pactise avec le diable» pour s’équiper de cahiers et de crayons. Durant les vacances scolaires, âgée de 14 ans, l’adolescente improvise des cours pour la marmaille du village, à trois francs six sous la tête. Avec 40 enfants, elle obtient «une précieuse contribution» pour ses fournitures scolaires et celle de sa petite sœur. «Il m’en reste même assez pour acheter un sac de riz, du sucre, de l’huile, une jupe, un corsage et... des chaussures. Le bonheur!» Le parcours prométhéen de Mme Hintermann se profile.

La belle revanche
 C’est cependant à 16 ans, en voyant pour la première fois chez l’épicier chinois la magique boîte à images, qu’elle découvre sa fascination pour la télévision et se jure que c’est là qu’elle y travaillera un jour. Grâce à ses efforts et à son talent, à son audace et à son goût du défi, ce vœu sera exaucé bien au-delà de ce qu’elle espérait. À 19 ans, elle remporte le concours de l’ORTF qui la formera au journalisme, avant de devenir la première créole présentatrice vedette à La Réunion. Tout en préparant sa maîtrise de droit au centre universitaire, elle porte à l’écran son combat pour la défense de la démocratie, de la justice et de la dignité humaine. Des convictions forgées par son vécu et auxquelles elle ne renoncera jamais.


Une époque est terminée. Une nouvelle commence, lui conférant à la fois la notoriété et l’aisance. Mais son ambition ne s’arrêtera pas aux portes de Saint Denis. À 24 ans, elle quitte La Réunion pour la Métropole où sa carrière à France3 va prendre pleinement son envol. Grand reporter au service étranger, elle couvre l’élection de Nelson Mandela, la campagne d’Obama et son investiture à la Maison-Blanche, ainsi que celle de ses prédécesseurs depuis 1984, la chute du mur de Berlin et les mouvements de liberté en Europe de l’Est. Elle assiste à la chute des régimes en Tunisie, en Égypte et en Libye, décrivant les événements avec le souci de l’exactitude et de la vérité. Car montrer ne lui suffisait pas, il fallait aussi que l’auditeur ressente et vive les choses. Carnet en poche, micro en main, elle informe les téléspectateurs depuis les zones de conflits – le Tchad, l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan ou les territoires occupés – sur les conditions de vie des femmes et des enfants de la guerre. «C’est mon passé qui m’aide à témoigner au plus près de leur malheur. Je refuse d’être une présence froide sur un évènement spectacle qui va faire de l’audience avant de passer à la trappe.» Admirable.


La grande dame – faite successivement chevalier de la Légion d’honneur en 2001, officier de l’ordre national du Mérite en 2008 – est mariée à Lutz Krusche, ex-correspondant à Washington, Londres et Paris, du prestigieux magazine allemand Der Spiegel. À quatre mains, ils ont écrit Quand nous étions innocents et Ils ont relevé la tête, un livre hommage à ces hommes et femmes de l’ombre qui offrent les plus remarquables leçons de vie et qui se sont relevés chaque fois qu’ils sont tombés. À l’issue de sa conférence, elle signera ces deux ouvrages et son autobiographie, Tête haute. Des messages d’espoir. Des livres à dévorer.

Mémona Hintermann est née Afféjee, en 1952, à Tampon, une bourgade de planteurs de canne à sucre de l’île de La Réunion, d’un père indien musulman et de sa compagne Marie-Claire Séry, une créole catholique d’origine bretonne. Enfant, elle a connu la pauvreté la plus extrême, avant de devenir journaliste à l’ORTF de Saint-Denis puis grand reporter à France 3. Dans son...
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