Dixième semaine de 2012.
Il y avait quelque chose de férocement beau et de pathétique à la fois en ce vendredi de manifestations syriennes ; quelque chose de beau et de pathétique dans les yeux, les cordes vocales, les poings serrés et les banderoles inflexibles de ces dizaines de milliers de femmes et d’hommes, tous âges confondus, appelant à l’armement des rebelles. De beau et de pathétique dans leur peur de rien : hier, les Syriens ne demandaient pour en finir, pour avoir cette paix que les Assad leur interdisent depuis des décennies, rien moins que la guerre civile.
Abed, travailleur syrien au Liban, originaire de Deraa : Qu’est-ce que vous voulez que l’on fasse quand les Américains et les Israéliens veulent garder Assad en place ? La supplique est impulsive, instinctive, mais le jeune homme n’a pas tout à fait tort : depuis quelques semaines, Washington joue au yoyo, entre une Clinton qui a peur que les armes ne tombent aux mains d’el-Qaëda et un Obama, comme hier, qui assène un retentissant, un très bienvenu La question n’est pas si mais quand Assad va partir.
Le Conseil national syrien, d’abord foncièrement opposé à la militarisation de la révolte, a compris qu’à ce rythme, il ne lui restait plus le choix : les rebelles doivent impérativement être armés. Riyad, Doha, Koweït, entre autres, sont rassurés : cela fait longtemps qu’ils proposent leur aide à ce niveau. On attend encore du CNS comme de toutes les factions de l’opposition syrienne qu’ils prennent conscience, le plus vite possible, d’une autre urgence : qu’ils parlent d’une seule et même voix pas seulement sur le plan militaire, mais tout autant sur le plan politique. D’autant qu’il serait ridicule d’attendre un quelconque sursaut de Moscou, même au lendemain d’une présidentielle russe dont l’issue s’annonce aussi hitchcockienne qu’une diatribe politique télévisée de Michel Aoun. À moins que les Américains ne proposent quelque chose aux Russes. Via les Iraniens ou pas. En rassurant les Israéliens ou pas. Avant novembre ou pas.
Une union, sacrée ou pas, tombe sous le (bon) sens.
Bien sûr, les oppositions syrienne et libanaise n’ont pratiquement rien en commun. Rien du tout. Mais il y avait quelque chose d’aussi férocement beau et de pathétique à la fois dans ce vendredi de minirésurrection d’un 14 Mars très joli parleur certes (les mots dits au BIEL le 14 février dernier étaient gigantesques au niveau symbolique), mais piètre acteur. Ou actant, plutôt : cela fait bien longtemps que les héros/hérauts de la révolution du Cèdre ne font que réagir, inefficaces, inoffensifs, inodores.
Profitant de la mauvaise foi hallucinée de la majorité sur les milliards in ou hors budgets, dénonçant agressivement les deux poids, deux mesures facilement utilisés à l’ombre des armes miliciennes du Hezbollah, et juxtaposant hier, de la très signifiante place de l’Étoile, constats judicieux et menaces de boycottage concrètes, le 14 Mars est sorti de son coma. Tard, certes, très tard, pathétiquement tard, mais il l’a fait. Avec un on-ne-sait-quoi d’adulte dans le fond et dans la forme, dans cette détermination inédite à assumer ses responsabilités, et dans ce refus catégorique et enfin convaincant de ne plus livrer, d’une manière ou d’une autre, un pays tout entier à la gloutonnerie ultradémagogique d’une majorité imposée à un instant T, mais terriblement tuberculeuse aujourd’hui, fragilisée jusqu’à la moelle par son hétérogénéité, ses dissensions internes et cette insensée mais bienvenue capacité de Nabih Berry à sauter sur douze cordes à la fois.
Avec un climax, aussi : ce qui était impressionnant hier, c’est cet orgueil retrouvé et affiché. Le 14 Mars ne regarde plus ses chaussures, presque honteux de s’être retrouvé là où il a été jeté. Il y avait même un peu de morgue sympathique dans cette annonce faite aux Libanais : La véritable majorité, c’est nous. Parce que, n’est-ce pas, aussi loin qu’on le chasse, le naturel revient au galop : personne ne sait de quoi demain sera fait, mais aujourd’hui, le 14 Mars a, avec lui, à ses côtés, mains dans mains, Michel Sleiman et Walid Joumblatt.
Et, plus drôle encore, Nagib Mikati.
Il s’agit maintenant pour ce 14 Mars non seulement de ne plus se taire, mais surtout de parler, lui aussi, d’une même voix. C’est un poil plus compliqué.
Il y avait quelque chose de férocement beau et de pathétique à la fois en ce vendredi de manifestations syriennes ; quelque chose de beau et de pathétique dans les yeux, les cordes vocales, les poings serrés et les banderoles inflexibles de ces dizaines de milliers de femmes et d’hommes, tous âges confondus, appelant à l’armement des rebelles. De beau et de...
commentaires (5)
Le 14 Mars ne fait que réagir, se tient coi et fait de ce positionnement sa nouvelle vertu. Et face à qui on vous prie ? Face à de "modestes et ingrats Martiens, hagards en réalité, dévastés, spongieux, torves avec toute leur morgue, funèbres funestes" ainsi que leurs fines ou épaisses moustaches, suivez le regard ! Aux égos gonflés d'un orgueil infatué pour tout ce qui peut sortir de leurs cordes vocales ! Bref, sans leurs prétentions à quatre piastres ou toûmâns ils n’existeraient même pas. Ce faisant, ce 14 Mars place son âge d’or dans le passé, alors qu’il est force de progrès, il est devenu ainsi un poids insuffisamment lourd pour les évolutions négatives "Malsaines" empêcher, cependant sans autre action ni autre perspective que cette inertie-là ! Il faut qu’il se réinvente une New Révolution, mais de la bonne Manière cette fois ; n’est-ce pas ? Il n’est pas inefficace parce qu’il est dans l’inertie, il est inefficace parce qu’il a fait vertu d’uniquement Réagir. D’abord de Réagir, et finalement, seulement de Réagir face aux "Malsains-là" ! Il se redoit donc à l’Action et Actif pour Agir et Remener à la Tête d’une nouvelle Cédraie révolution, et ramener la barre à bâbord de ce "boutre Libanais Araméo-Arabe éventré, à défaut de quoi il virera Alaouito-Perso-Nusayrîsé" !
Antoine-Serge KARAMAOUN
08 h 36, le 03 mars 2012