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Liban

Débat au BIEL sur le devoir de mémoire et la liberté, à l’initiative de l’ambassade du Canada

De gauche à droite, notre collègue Michel Hajji Georgiou, le père Fady Fadel, ainsi que MM. Rawi Hage, Mohammad Nokkari et Lockman Slim.

C’est sur le thème « Mémoire et liberté : écrire un nouveau chapitre » que l’ambassade du Canada a organisé au Salon du livre francophone de Beyrouth une conférence-débat en présence notamment de l’écrivain canadien d’origine libanaise, Rawi Hage, l’auteur du roman De Niro’s Game, dont le théâtre est justement la guerre du Liban. Trois autres intervenants ont également pris la parole sur le sujet : le père Fady Fadel, spécialiste en droit international, l’éditeur et activiste au sein de la société civile Lockman Slim, et cheikh Mohammad Nokkari, l’un des piliers du groupe de dialogue islamo-chrétien. La rencontre était animée par notre collègue Michel Hajji Georgiou.

Childs-Adams
Dans son allocution d’ouverture, l’ambassadrice du Canada, Hilary Childs-Adams, a souligné qu’« à la lumière des développements survenus dans la région depuis le printemps arabe, il était tout à fait pertinent d’organiser une conférence qui aborde autant de thèmes d’actualité comme la liberté d’expression, la réconciliation, le devoir de mémoire et la construction d’une identité nationale inclusive ». Cette table ronde donne l’occasion d’un échange de points de vue sur « la construction de la paix au Liban et la nécessaire ouverture vers l’autre », a-t-elle indiqué, avant d’enchaîner : « C’est aussi l’occasion de bâtir sur l’expérience pluriculturelle canadienne également mentionnée dans l’œuvre de M. Hage. En effet, le Canada constitue une mosaïque composée de peuples fondateurs et d’immigrants qui contribuent tous à l’identité culturelle canadienne. Le défi du Canada est de forger une citoyenneté canadienne qui comporte un sentiment fondamental d’identité et d’appartenance au Canada, tout en respectant les différences culturelles et linguistiques des groupes qui, par vagues successives, ont occupé ce pays. Cette réalité ne manque pas de similitudes avec la réalité libanaise. Le Liban aussi est une société multiconfessionnelle où coexistent ensemble 18 confessions. Ici, la cohésion nationale et le dialogue sont une condition nécessaire pour la construction d’un État indépendant et souverain », a ajouté Mme Hilary Childs-Adams, avant de remercier les intervenants.

Michel Hajji Georgiou
De son côté, notre collègue Michel Hajji Georgiou a remercié l’ambassade du Canada et Mme Childs-Adams pour cette initiative à même de contribuer « à créer une dynamique de groupe, à nous sortir d’une certaine torpeur, mais aussi d’une certaine attitude de déni ». « Il est en effet difficile de contempler, de sa propre initiative, les tréfonds de son âme. Le risque est souvent d’y atteindre ce que Cioran appelait la hantise de l’essentiel... et de basculer dans le précipice », a souligné Michel Hajji Georgiou (...).
M. Hajji Georgiou a ensuite rappelé l’ensemble des moyens déployés entre 1990 et 2005 par le pouvoir de fait syrien pour « empêcher tout travail de mémoire et toute entreprise de retrouvailles nationales au-delà des lignes de démarcation communautaires et identitaires créées par la guerre ». (...) « L’oubli qui a été imposé par le pouvoir de fait durant des années a ouvert la voie à l’établissement d’une violence symbolique, ritualisée, structurée, institutionnalisée (...) », a relevé Michel Hajji Georgiou avant d’ajouter : « Ce système était fondé principalement sur deux constantes : cultiver la peur de l’autre et nourrir la haine. Et, pour paver la voie à la violence réelle, il ne restait plus qu’un maillon à mettre en place pour que la machine infernale soit parfaite : la violence morale et psychologique. Cette dernière n’a pas besoin d’être ritualisée : pour être efficace, elle doit être frontale. Elle doit détruire l’autre dans le discours politique, l’annihiler, le “tuer” moralement, pour mieux ouvrir la voie ensuite à son élimination physique », a souligné Michel Hajji Georgiou (...). Et de conclure : « Les conflits identitaires ne perdurent-ils pas dans le temps et à travers les générations justement parce que ce sont des guerres de mémoire qui sont favorisées par deux conditions majeures, la faiblesse de l’État et l’injustice économique, qui renforcent à leur tour la pulsion identitaire, comme l’affirme l’épistémologue Antoine Courban ? »

Rawi Hage
« Pour un écrivain, la mémoire et la liberté sont deux éléments fondamentaux », a pour sa part indiqué l’écrivain Rawi Hage. « La liberté d’écrire, de même que le droit de se souvenir ou de ne pas se souvenir, ou tout simplement de se souvenir de manière erronée, sont le privilège de l’écrivain », a-t-il dit. L’une des questions que l’on pose le plus fréquemment au romancier est celle de savoir si son histoire représente la vérité. Est-ce que cette histoire a eu lieu et, en plus, est-elle autobiographique ? Le lecteur exige souvent d’une histoire qu’elle soit non seulement crédible mais honnête. (...) En tant qu’écrivain, j’essaie de me convaincre et de convaincre les autres que la valeur de la vérité en fiction n’a pas d’importance. Il n’y a pas de contrat entre le lecteur et l’écrivain obligeant ce dernier à dire la vérité, ni d’exigence pour l’écrivain de se souvenir de manière exacte. Les écrivains et les artistes tirent orgueil du fait même de leur création. Tout comme les parents ou les divinités qui s’enorgueillissent du fait de donner naissance, l’instinct premier de l’artiste est ce besoin de créer et toutes les libertés qui en découlent », a-t-il noté.
« Permettez-moi de parler de manière plus spécifique de la guerre civile libanaise, a poursuivi Rawi Hage. En l’absence de toute conversation systématique ou organisée sur les événements de la guerre, ou de toute tentative gouvernementale de bâtir une mémoire nationale de ces événements, il est revenu aux auteurs et aux artistes libanais d’archiver et de préserver nos souvenirs. La plupart de ces témoignages sont éparpillés, le fruit d’initiatives privées, rarement soutenues par un ministère ou un autre », a poursuivi M. Hage, avant de rendre hommage aux travaux de certains écrivains et artistes « qui participent à la création de ces importantes archives ».

Fady Fadel
Pour sa part, le père Fady Fadel a déclaré : « Dans le contexte des soulèvements populaires et la renaissance des libertés publiques dans les pays arabes, le cas libanais peut constituer un exemple ou une leçon à bien des égards. En effet, fort de son patrimoine de préservation et de promotion des libertés publiques, liberté de conscience, d’opinion, d’expression, etc., le Liban peut servir d’exemple pour constituer un État civil, qui n’a pas de religion officielle, un exemple où tous les citoyens sont égaux (...). »

Lockman Slim
Quant à Lockman Slim, il a souligné d’emblée qu’il prend la parole en sa double qualité de « citoyen et d’activiste au sein de la société civile ». « Voici quelques thèses qui pourraient nous aider à faire avancer la discussion », a-t-il souligné dans ce cadre :
- ce n’est pas par hasard que les Libanais sont d’accord sur une date symbolique qui marque le début de la guerre, mais qu’ils ne l’ont jamais été sur une date qui marque sa fin ;
- ce défaut de consensus concernant la fin de la guerre en dit long sur l’état d’esprit qui a accompagné la fin officielle de la « guerre » et qui continue de prévaloir aujourd’hui. (...)
Et Lockman Slim d’ajouter : « Je voudrais ici ouvrir une petite parenthèse qui, toute controversable qu’elle soit, est au cœur de notre sujet : les années Taëf sont aussi celles de la mainmise syrienne directe sur le Liban. Comme par enchantement, dans le vocabulaire libanais, cette période d’occupation devient une période de “tutelage”. Tutelage ? Occupation ? Beaucoup de crimes néanmoins ont été commis au cours de cette période. Que faire de ces années, de ce lourd passif en termes de responsabilité individuelle ? »

Mohammad Nokkari
Cheikh Nokkari a pour sa part choisi de privilégier une autre approche : celle du consensus, pourtant improbable dans le climat de la discorde et de la guerre. Aussi a-t-il évoqué le cas, par exemple, des Libanais de la diaspora, qui vivaient en toute entente. Il a également donné l’exemple des combattants des différentes tendances qui soignaient leurs blessures de guerre dans un hôpital en France et qui jouaient ensemble aux cartes, se divertissant ensemble sans dispute ni haine. Il a enfin évoqué le cheminement, tout récemment, de l’idée de la fête islamo-chrétienne de l’Annonciation.
Les allocutions ont été suivies d’un débat et de la signature du livre à la librairie el-Borj.
C’est sur le thème « Mémoire et liberté : écrire un nouveau chapitre » que l’ambassade du Canada a organisé au Salon du livre francophone de Beyrouth une conférence-débat en présence notamment de l’écrivain canadien d’origine libanaise, Rawi Hage, l’auteur du roman De Niro’s Game, dont le théâtre est justement la guerre du Liban. Trois autres intervenants ont...

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