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Liban - Débat

Samir Frangié voyage au bout de la violence, dans une biographie politique qui retrace l’histoire du Liban

C’est au 18e Salon francophone du livre de Beyrouth qu’un débat autour du livre de Samir Frangié « Voyage au bout de la violence » a eu lieu dimanche soir au BIEL, en présence d’une foule d’amis et de personnalités politiques, médiatiques
et universitaires.

De gauche à droite : notre collègue Michel Hajji Georgiou, Tarek Mitri, Samir Frangié, Marwan Hamadé et Olivier Mongin.

Samir Frangié est inappréciable. Journaliste de combat, chercheur cultivé ou encore penseur engagé, l’ancien député, membre du directoire du 14 Mars, fait partie de ces cerveaux qui ont minutieusement su jeter les bases de la 2e indépendance, la vraie. Au cœur de l’intifada de l’indépendance, on l’a désigné « conscience de la révolution du Cèdre », gardien soucieux de préserver les acquis et d’éclairer une nation qui se perd au quotidien. Une nation à la mémoire volatile et fumeuse, une nation sans histoire.
C’est dans cette perspective que le descendant de la dynastie politique des Frangié nous offre aujourd’hui notre histoire à travers un essai intitulé Voyage au bout de la violence (Actes Sud/L’Orient des livres), un ouvrage édifiant qui raconte un long cheminement à la recherche d’une issue à la guerre qui a ravagé le Liban. Il évoque la guerre entre les Libanais, la violence israélienne et le projet d’une alliance des minorités contre la majorité arabo-musulmane, la violence syrienne et le projet de « Grande Syrie », et la « sortie » de la guerre, l’assassinat de Rafic Hariri et la révolution du Cèdre. À la lumière du printemps arabe, il nous parle d’une voie arabe vers la modernité. Samir Frangié présente son ouvrage comme un témoignage sur la violence, les raisons qui la motivent, les mécanismes qui la régissent, la logique qui la justifie et l’aveuglement qui nous conduit à ne jamais voir notre propre violence et à la considérer comme une contre-violence, une réponse à une violence première. À travers son histoire et l’histoire du pays, il recommande le vivre-ensemble comme substitut à la violence, loin de la paix des compromis et des tensions dormantes.
Au Salon du livre francophone, nombreux sont ceux qui se sont réunis pour acclamer l’auteur au cours d’un débat avec les anciens ministres Marwan Hamadé et Tarek Mitri, et M. Olivier Mongin. Une réunion animée par notre collègue Michel Hajji Georgiou.

Michel Hajji Georgiou
Michel Hajji Georgiou a tenu d’abord à remercier tous ceux qui ont permis l’accomplissement du « miracle » que constitue cet ouvrage, ce « véritable cadeau ». S’adressant à Frangié, il salue son effort et sa générosité infinie. « Cela fait des décennies, dit-il, que vous vous dépensez sans compter, que vous vous donnez sans relâche pour ce pays, que vous vous consumez pour le dialogue national, pour le bien commun, et pour la réconciliation et la paix sans jamais rien demander en retour. Jamais personnalité politique n’aura autant contribué, inlassablement, sans jamais perdre l’espérance, à extirper le discours politique des bourbiers de la médiocrité, en s’efforçant de toujours sortir des sentiers battus, de toujours conjurer le langage de la haine ; en recréant toujours des digues pour recadrer les errances des uns et des autres loin du modèle libanais, en proposant toujours de nouvelles pistes de réflexion... et tout cela sans jamais exprimer la moindre plainte face à l’incompréhension ou, pire, à l’ingratitude de certains de vos pairs, trop fixés sur des enjeux de pouvoir, incapables de saisir ce que vous avez toujours cherché à faire, donner du sens à la politique. »
« Ce n’est pas pour rien que vous avez été qualifié de conscience de l’intifada de l’indépendance », poursuit Michel Hajji Georgiou qui relève la capacité de Samir Frangié à « recréer les liens entre les composantes libanaises dans l’après-guerre » et à « insuffler un esprit nouveau au printemps de Beyrouth, à même de générer ce sursaut salvateur, cette intifada dans l’intifada dont nous avons tant besoin ». Sans compter cette « volonté d’apporter sans cesse un peu de transcendance à la réflexion politique », ce qui a transformé Samir Frangié, souligne Hajji Georgiou, « en école de formation pour les jeunes, journalistes, activistes, politiques, en quête de repères et de modèles, autrement quasi introuvables ».
Et Michel Hajji Georgiou d’ajouter : « C’est à ce long “voyage initiatique” d’un demi-siècle au territoire-laboratoire de la violence, le Liban, que vous consacrez cet ouvrage. Un “voyage initiatique” qui vous permet de remonter le temps pour apporter un éclairage neuf sur les différentes étapes et les différentes formes de violence traversées par ce pays au cours du demi-siècle écoulé : de “l’illusion israélienne de la violence décisive” au “rêve sanglant de la Grande Syrie”, deux dangereuses utopies qui se traduisent par une double occupation du pays, jusqu’au “meurtre fondateur” du printemps de Beyrouth, le sacrifice de Rafic Hariri, mais aussi ce “pogrom” des peuples arabes en révolte, de ces foules matées dans le sang par les tyrans, sacrifiées dans une débauche obscène de violence. »

Marwan Hamadé
C’est au tour de l’ancien ministre et martyr survivant Marwan Hamadé de prendre la parole et d’offrir un témoignage des plus sincères. « Ce voyage au bout de la violence, explique Marwan Hamadé, nous l’avons largement accompli ensemble, Samir et moi. Avec le plus souvent les mêmes options, bonnes ou mauvaises ; avec les mêmes risques, politiques ou sécuritaires. Au carrefour du sang et des idées, Samir Frangié, le “bey rouge”, le journaliste de combat aux comportements féodaux, le Palestinien-progressiste aux pulsations maronites profondes, l’unitaire arabe à l’inébranlable spécificité libanaise, rebondit pour nous livrer le meilleur ouvrage, le plus complet et le mieux écrit sur l’histoire contemporaine du Liban. De l’histoire d’une vie, la sienne et la nôtre, Samir fait l’histoire d’un pays. »
« Mon père, poursuit Marwan Hamadé, me disait toujours que Hamid Frangié, le père de Samir, avait été le meilleur ministre des Affaires étrangères du Liban. Il en aurait été certainement le meilleur président. Mais moi, je dirais à mon fils que Samir Frangié est le meilleur penseur et analyste de la seconde indépendance. Entre les deux ères, le tout jeune Samir aura été un étudiant frondeur à l’École des lettres, un collègue turbulent à L’Orient-Le Jour, un agitateur chevronné dans les rues de Beyrouth avant que celles-ci ne deviennent d’Est ou d’Ouest. »
Et Marwan Hamadé d’ajouter : « Derrière chaque relation, chaque détail, j’ai retrouvé le Samir de toujours, intemporel et inflexible, disséquant notre passé trop violent, trop sanglant, pour redessiner les contours de la culture du lien. Celle qui, pour lui, devrait faire des chrétiens, des sunnites, des chiites et des druzes autre chose que des chrétiens, des sunnites, des chiites et des druzes. Des Libanais, des Arabes, des humanistes (...) »
« C’est ce qui explique sa plaidoirie passionnée en faveur d’un lien passionnel qui donne au printemps arabe une date certaine de naissance : le 14 mars 2005, poursuit Marwan Hamadé. Ce jour-là, la vie de Samir Frangié bascule. Le Souslov de l’intifada en devient plus que l’idéologue, le véritable catalyseur. » « Aujourd’hui, poursuit Marwan Hamadé, avec le livre dont nous célébrons la signature, le 14 Mars redécouvre, sous la plume de Samir, les fondements mêmes de sa philosophie politique. Désormais, tout prend un sens : le choc entre les sociétés figées de nos provinces et de nos montagnes, et la modernité outrancière d’un Beyrouth trop ouvert à tous les courants, toutes les idées. Ce voyage au bout de la violence devient un voyage au bout de nos illusions d’hier et au bout de nos espoirs de demain. »
Et Marwan Hamadé de conclure : « La révolution du Cèdre n’est pas en perte de vitesse. Elle puise, de Sidi Bouzid à Benghazi, du Caire à Sanaa, Deraa et Homs, les nouvelles ressources de son élan et retrouvera à Beyrouth dans les mois qui viennent les véritables conditions du vivre-ensemble qui te hante et t’inspire à la fois. »

Mongin, Mitri et Frangié
Ensuite, Olivier Mongin, écrivain et directeur de la revue Esprit depuis 1988, relate son histoire avec Samir Frangié, le « penseur qui m’a toujours éclairé sur la situation libanaise ». Il fait aussi l’éloge du livre, « biographie politique qui prend le risque de la mémoire heurtée et perdue, où Frangié s’affirme comme l’intemporel en philosophie et l’inflexible en politique ».
« Voyage au bout de la violence solidifie la croyance en la possibilité d’un monde meilleur où le bien à long terme l’emporte sur le mal, explique Mongin. Porté par une idée permanente du contrat social, il explicite une décision des Libanais de vivre ensemble. Le titre de l’ouvrage ne signifie pas la fin des violences, mais la possibilité d’avoir des conflits avec des règles communes. Il s’agit de savoir comment pacifier la violence à tout moment entre les différentes entités et composantes libanaises, en travaillant sur les relations qui les unit. »
Si pour Mongin la démocratie est une exigence libanaise et Samir en est le témoin et le porte-parole, l’ancien ministre Tarek Mitri pose une question assez problématique : « Comment Frangié écrit-il l’histoire à travers sa propre histoire ? »
« C’est en construisant un récit libanais avec un incessant aller-retour entre questions et mémoire que Frangié réussit à maîtriser ce décalage pour soutenir sa théorie qu’il n’est plus question de croire au pouvoir de la violence comme médium de changement, explique Tarek Mitri. Ce changement est nécessaire dans une société ballottée entre conscience citoyenne et appartenance communautaire. Frangié propose de rejeter l’autosuffisance communautaire à une heure où les chrétiens par exemple se “retribalisent”. Il ne construit pas un mythe fondateur, mais suggère que la sauvegarde de la vie ensemble ne s’est jamais réalisée mais est en réalisation permanente. » Évoquant le TSL, Tarek Mitri voit en l’ouvrage de Frangié une claire affirmation que la vérité est restauratrice, quitte à dire que l’équilibre communautaire ne devrait jamais être refondu sur l’amnésie générale.
Enfin, Samir Frangié clôt le débat. Remerciant tous les intervenants, ainsi qu’Alexandre Najjar et Hind Darwiche sans l’insistance desquels l’ouvrage n’aurait jamais été écrit, il juge qu’il nous faut tirer des leçons du passé pour refaire du Liban un pays « où il fait bon vivre ».
« Il nous faut pour cela mener la bataille de la paix, dit Samir Frangié. La paix à l’intérieur de chacun de nous pour remettre de l’ordre dans les multiples appartenances qui constituent notre personnalité et la paix entre nous pour sortir de ce cloisonnement communautaire qui nous étouffe et hypothèque notre avenir. C’est en brisant les barrières érigées par la guerre que nous avons pu, un jour de mars 2005, reprendre en main notre destin. Cette révolution est restée inachevée. Il nous faut la poursuivre en redonnant vie au printemps de Beyrouth et en jetant avec le printemps arabe les bases d’un “autre” monde arabe démocratique, pluraliste et ouvert sur le monde. »
Samir Frangié est inappréciable. Journaliste de combat, chercheur cultivé ou encore penseur engagé, l’ancien député, membre du directoire du 14 Mars, fait partie de ces cerveaux qui ont minutieusement su jeter les bases de la 2e indépendance, la vraie. Au cœur de l’intifada de l’indépendance, on l’a désigné « conscience de la révolution du Cèdre », gardien soucieux de...
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