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Lifestyle - Portrait

Aaron Young, un artiste du IIIe millénaire

Croiser le regard bleu d’Aaron Young en plein centre-ville de Beyrouth, c’est comme voir une étoile filante dans un ciel embrumé. Cet artiste, l’un des plus célébrés de sa génération, est au Liban depuis hier chargé d’un précieux cadeau : une œuvre unique spécialement créée pour le dîner de gala de Heartbeat prévu ce soir au Casino du Liban. Rencontre.

Aaron Young en plein centre-ville de Beyrouth.

Regard bleu, on l’a dit, mais d’un bleu inconnu, comme créé par lui-même. Cheveux en brosse, tee-shirt délavé, pantalon de peintre en bâtiment, godillots idem, et aussi ce sourire qu’il dessine avec les yeux et ce tatouage sur le bras : « Never Plead Guilty ». Non coupable, résolument, cet enfant du siècle n’a rien à confesser. Juste une histoire à raconter, qu’il compare en riant à celle de Cendrillon.


Né à San Francisco, « dans une petite ville de Californie où tout le monde était motard quand je n’étais que le petit gars qui filmait ». À peine Bachelor of Fine Arts du San Francisco Institute, Young est reçu à Yale. Pour sa chance, il a pour professeur Barabra London, la conservatrice du département vidéo et cinéma du musée d’Art moderne de New York, le prestigieux MoMA. Dans le cadre de son master, il a réalisé une performance vidéo à partir de « burnouts », ces épreuves bien connues des motocyclistes où l’on contrôle des dérapages en appuyant simultanément sur le frein et l’accélérateur. Le sol sur lequel se déroule la performance a été peint à plusieurs reprises de différentes couches de couleurs entre 1931 et 2007. À mesure que la moto chauffe, racle et fume, l’histoire sur terrain se dévoile comme par magie, par couche de couleurs. Young a filmé la formation des arabesques et les traces des pneus. Le résultat évoque les expériences d’un John Cage ou d’un Robert Rauschenberg. Barbara London est conquise : « Venez me voir après votre diplôme. » Elle expose cette première œuvre au MoMA, dans le cadre des nouvelles acquisitions du musée, ainsi qu’une autre représentant un pitbull américain accroché à une corde par les dents, « sculpture vivante », selon Young.


De l’action à l’objet. La success story de ce surdoué ne se résume pas à un simple coup de chance. Que ses œuvres plaisent à l’une des conservatrices, artiste, auteur, musicienne la plus respectée est un avantage. Reste à voir si le grand public et surtout les sponsors sont prêts à suivre. Et c’est là que se produit le véritable miracle. À la foire de Miami Art Basel de 2006, il donne à voir un énorme conteneur qu’il transforme en sablier. Creusant au sommet quatre trous, il embauche des journaliers pour les remplir de sable, 30 tonnes de sable à verser sur quatre jours, un trou par jour. L’audace de Young impressionne le Fonds de production artistique qui lui propose de créer une performance pour l’Armory de New York, sur Park Avenue. De nombreux sponsors financent l’installation, dont Tom Ford et Sotheby’s. Toute la presse mondiale est présente. La reconnaissance internationale est au rendez-vous. Young est invité partout. Il fait partie de ceux qui incarnent l’art américain de ce début de millénaire. Bientôt, les 288 panneaux de bois peints de plusieurs couches de couleur, avec un aplat noir en surface, et martyrisés par 13 motards dirigés d’une plate-forme par le maître, sont découpés et ramenés en studio pour y être retravaillés. De véritables peintures mécaniques et fort conceptuelles sont prêtes à entrer dans les galeries d’art et les musées.


Son histoire de drapeaux. Après le choc du 11 septembre 2009, Aaron Young, en tant qu’artiste, s’interroge sur le rôle des États-Unis, ce qu’ils ont fait de mal ou de bien. De ce questionnement identitaire résulte une série d’œuvres autour de la bannière étoilée. De nombreux artistes américains ont interrogé le drapeau en tant que symbole. Young a un ami pompier qui a participé au nettoyage des tours jumelles après l’horreur. Ce dernier lui explique le cérémonial du pliage du drapeau, notamment lors des funérailles d’un héros. La bannière est pliée douze fois par deux officiers, et chaque pli représente un vœu ou un symbole. Le rectangle, transformé en triangle, est ensuite remis à la famille comme une précieuse relique. Young, quant à lui, plie le drapeau « comme on rentre un diable dans sa boîte ». Il le décompose aussi dans certains tableaux, le transformant en origami creusé d’un espace blanc comme une page qui reste à écrire, comme une virginité à reconquérir.


Son tableau pour Heartbeat. Pour la levée de fonds qui aura lieu ce soir en faveur des enfants malades du cœur dont s’occupent les docteurs musiciens de l’association Heartbeat, Aaron Young s’est laissé convaincre par Tony Salamé, l’un des sponsors de l’événement – qui avait fait de même l’an dernier avec l’artiste Marc Quinn – d’offrir une œuvre qui sera mise aux enchères sous la houlette de James Lees et Lock Kresler, commissaires-priseurs de Christies, venus de Londres pour l’occasion. Il s’agirait d’une plaque d’acier chromé, une surface miroitante creusée d’arabesques tracées avec des pneus. Pour Aaron Young, ce miroir signifie que « c’est soi-même qu’on regarde en prêtant attention à autrui ». La traduction younguienne du « Je pense à toi, je pense à moi », cher à Coluche.

Regard bleu, on l’a dit, mais d’un bleu inconnu, comme créé par lui-même. Cheveux en brosse, tee-shirt délavé, pantalon de peintre en bâtiment, godillots idem, et aussi ce sourire qu’il dessine avec les yeux et ce tatouage sur le bras : « Never Plead Guilty ». Non coupable, résolument, cet enfant du siècle n’a rien à confesser. Juste une histoire à raconter, qu’il compare...

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