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Culture - Festival al-Bustan

Khatia Buniatishvili, une sirène du clavier au talent ébouriffant

La belle Géorgienne (vingt-six printemps) a un talent fou. Dire que c’est un talent exceptionnel serait un pâle euphémisme. Au gré de son inspiration et avec une déconcertante maestria, Khatia Bruniatishvili a trituré les touches d’ivoire, laisant le public totalement bouche bée d’admiration.

Chopin, Ravel, Liszt et Stravinsky revisités avec les doigts d’une magicienne.

La pianiste, née à Tbilissi, n’a pas annoncé son programme. Délibérément. Elle a de toute évidence un rapport tyrannique, passionnel et fusionnel avec le clavier. Ce programme, surprise de dernière minute, n’est pas un caprice de star montante (et qui valait toutes les attentes du monde), mais un besoin de concentration, une exigence d’un « mood ». Au gré de son inspiration, et selon ses désirs et humeurs, elle a pétri avec fougue et délicatesse, de ses doigts de magicienne, à la puissance déroutante, un clavier absolument habité, possédé, dompté.
De Chopin à Ravel en passant par Schubert et Liszt pour finir avec une éruptive partition de Stravinsky, la promenade sonore était un incommensurable moment d’attention, de fascination, de plaisir, d’émerveillement.
Sanglée dans une longue robe noire satinée fourreau à la traîne évasée au-dessous des genoux, le décolleté audacieux, Khatia Buniastishvili a un port altier et une allure de sirène... Et elle en joue avec finesse et élégance.
Assise toute droite, les mains en position, les cheveux aux mèches rebelles rongeant déjà un visage extatique, le corps tendu mais parfaitement maîtrisé, l’approche, la confrontation et la mêlée sont sans concession.
Dans le vif de la chair de la partition, des doigts fouillent les entrailles de la «Sonate n° 2 en si bémol mineur connue pour sa Marche funèbre. Pour l’ange de la mort et son panache blanc, quatre mouvements (Grave-doppio/Scherzo/ Marche funèbre lento/ Finale-lento) alliant tumulte et douceur.
Cadences, rythmes, rubatto et mélodies pour cette narration grave et chargée de révolte, de colère, d’insubordination. Mais aussi de soumission, de retenue, de moments d’accalmie et de réconciliation comme deux mondes qui se croisent mais ne se mêlent pas.
De ses fortissimos volcaniques à ses pianissimos, la pianiste a tout le registre requis pour restituer à cette sonate somptueuse et virtuose toutes ses charges et ses éclairages mystérieux, mystiques, mythiques.
Pour prolonger la fièvre de cette poésie ardente la Ballade n° 4, toujours du pèlerin polonais, un joyau de l’harmonie pianistique « chopinienne ». Comme un moment arraché au séjour de Nohant, cette rêverie d’un promeneur solitaire, éminemment romantique, pratique l’alternance de la mélancolie et de la sérénité dans une détonante richesse polyphonique. Une écriture taillée sur mesure au tempérament, au caractère et au talent d’une pianiste où ni célérité ni grappes d’accords aux contorsions de trapéziste n’ont de prise sur sa force d’interprétation d’une netteté de cristal.
Pour prendre le relais, La Valse de Maurice Ravel. Initialement écrite pour l’orchestre, cette valse a toutes les allures d’un tableau abstrait moderne où, dans un « tourbillon fantastique et fatal », sont évoquées les grandeurs et les décadences de civilisations occidentales par le compositeur du Bolero. Partition qui scelle aussi la brouille entre Ravel, et Diaghilev et Stravinski. Aujourd’hui, dans sa dimension explosive, cette œuvre reste un monument de virtuosité et requiert une énergie vitale pour marteler les cordes avec tant de véhémence et de fureur.

Une force magnétique époustouflante
Petit entracte et retour au clavier. Pour entrer dans le monde des « lieds » de Schubert revisités par Franz Liszt et ses appogiatures. Choix et sélection qui ont toutes les allures de savoureuses gourmandises.
Ouverture avec la célèbre Sérénade, une vraie recherche du bonheur à travers cette musique sereine qui a toute la poésie, la limpidité et la transparence d’un clair de lune.
Marguerite au rouet (d’après le texte de Faust de Goethe) déploie ici son écheveau de notes dramatiques, pour un thème répétitif, un tempo assez rapide. Pour terminer ce cycle de chants, incursion dans la Forêt noire pour ce Roi des aulnes, un sommet de la littérature germanique. Thèmes romantiques par excellence pour ces pages où frissonnent les arbres, où luit la nuit, où les êtres sont guettés par la mort et les ombres maléfiques.
Pour ce passage schubertien, dédié aux lieds, le piano, sous l’impulsion de la pianiste, s’est parfaitement passé de la voix humaine. Jamais piano n’a été aussi chantant.
Pour la touche finale, un morceau d’une décapante difficulté : Petrouchka, transcrit (en trois mouvements) au piano par Igor Stravinsky. D’une œuvre orchestrale (et pour ballet, tout comme la Valse de Ravel), on écoute cette version au clavier d’un mardi gras, dans une fête foraine, avec scènes burlesques. Puissance d’un jeu exceptionnel pour une écriture aux éructations étonnantes, nimbée d’un esprit populaire très russe. Arpèges diaboliques, accords démoniaques, accents menaçants, tonalités drues, harmonie saccadée, voilà un univers sonore crachant du feu.
Dans un toucher d’une incomparable netteté et précision, même dans ses plus démentielles vélocités, Khatia Buniatishvili a pris de court l’auditoire sous la coupe d’une interprétation à la force magnétique époustouflante. Tonnerre d’applaudissements pour une pianiste qui a aussi le charme d’une irrésistible moue boudeuse avec des cheveux qui lui mangent le visage quand elle s’incline pour tirer sa révérence.
Deux bis, dans la même veine d’inspiration et d’interprétation incendiaire au lance-flammes. Entre bouillonnement et rêverie, retour à un mouvement de la seconde sonate de Prokofiev et un air traditionnel géorgien.
Comme pour saluer en définitive le public, ce même choix d’une prodigieuse nuance entre des fortissimos qui « tapent » fort et juste, et des pianissimos, souffle et légèreté de duvet, véritable caresses d’ange.
La pianiste, née à Tbilissi, n’a pas annoncé son programme. Délibérément. Elle a de toute évidence un rapport tyrannique, passionnel et fusionnel avec le clavier. Ce programme, surprise de dernière minute, n’est pas un caprice de star montante (et qui valait toutes les attentes du monde), mais un besoin de concentration, une exigence d’un « mood ». Au gré de son inspiration, et...
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