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Culture - Théâtre

« La Maison de poupée » d’Ibsen revisitée par Aïda Sabra

Zoom sur un café populaire à Beyrouth, avec « ordis » sur les tables, jusqu’au cœur en glace de « La Maison de poupée » du Norvégien Henrik Ibsen, adaptée et mise en scène au Monnot par Aïda Sabra*.

Mise en scène faussement fofolle et d’une décapante vitalité de Aïda Sabra. Photo Nasser Trabulsi

Cent trente-quatre ans séparent les deux lieux et les personnages. Mais la guerre pour l’émancipation de la femme n’a pas encore fini de faire résonner son tam-tam... Une scène assaillie par des chaises où trônent des «laptops» ouverts devant deux garçons et deux filles. Un café proche de Rawda ou Ahwet el-Ezez.
Ces jeunes gens, en toute désinvolture de mouvements, délurés et délirants, «chattent», «browsent», «deletent», pinaillent et jacassent. Des jeunes gens qui gigotent et asticotent comme dans une bouillonnante marmite au couvercle fermé. Des jeunes gens dans le vent de la tourmente arabe, entre esprit compassé et besoin de révolte.
La cible de leur discussion-dissension c’est La Maison de poupée d’Ibsen. Pièce intitulée ici Delete, dans un langage moderne absurde, fruit d’un houleux workshop englobant la décortication de l’œuvre d’Ibsen.
Du microcosme de ce café bruyant, en ouverture, un époustouflant numéro de match de foot ou volley-ball. Drôle, hilarant, disjoncté. Avec des personnages, «messieurs-dames Tout-le-Monde», qui s’agitent comme des marionnettes démontées.
Ballet gestuel habilement orchestré pour des échanges vifs sur la notion de la femme-objet telle que perçue par les Orientaux... Et les femmes, qui ont entre-temps pris du poil de la bête et qui ont du bagout à en revendre, s’en défendent sans complexe et une sidérante décontraction, avec pugnacité.
Et brusquement, plongée, grâce à une armoire mobile en étoffe écrue, dans le salon de Nora et Torvald Helmer, les protagonistes d’Ibsen.
Petit rappel du schéma de l’opus initial du dramaturge norvégien, considéré comme un réformiste par les uns et un conservateur par les autres. Soumise et amoureuse, Nora est le symbole de la féminité dans le rang. Jusqu’au jour où son mari, malade à force de travailler pour subvenir aux besoins de sa famille, sombre dans la maladie.
Pour le soigner et par amour, Nora contrefait, à son insu, des documents officiels. Une fois guéri, le pot aux roses est découvert et monsieur s’en prend violemment à son «écureuil», sa «poupée» d’épouse. Pour son irresponsabilité!
Elle aurait dû le consulter car il y allait de sa réputation et de son honneur.
Choc de Nora, révolte, échange de propos vifs et demande de la jeune femme d’une parenthèse pour «se retrouver».
Pour l’époque, très victorienne, le sujet était sulfureux. Aujourd’hui, avec le laxisme et la liberté acquise, il nous fait non seulement sourire, mais marrer.
C’est dans ce sens de caricature, de dérision, de parodie, d’esprit de jactance et de pertinente impertinence que Aïda Sabra fait avancer ses pions pour défendre la cause féminine. Une cause loin d’être gagnée quand on songe, pas plus loin qu’hier encore, au drame de la jeune Indienne violée et balancée comme un sac de pommes de terre. Les hommes ont beaucoup à faire pour laver leurs consciences et leurs actes dans des cas aussi ignobles, criminels et odieux. Et toutes les lois et législations faites par les hommes sont à revoir. Pour un plus grand respect et une plus juste représentation de la dignité humaine. Cela dit, on revient à nos moutons et bergeronnettes...
Alors d’un café à Beyrouth à un salon d’Oslo, entre deux siècles, entre deux mentalités, entre deux réactions, entre le soleil et le froid, mais une bonne dose d’humour et d’adroit savoir-faire, Ibsen nous revient. Moins oppressant, moins tragique, moins grave, moins compassé. Mais tout aussi poussant à l’analyse, à la réflexion, au jugement, à l’autocritique. Par la voix et la mise en scène faussement fofolle et d’une décapante vitalité de Aïda Sabra.
Sur un dialogue pétillant, ne craignant ni les phrases à la verdeur comique ni les tics populaires, dans un arabe courant d’une finesse qui déraille facilement, mais en toute délicieuse innocence aussi du côté grivois, les acteurs (tous excellents et cela va de Patricia Nammour à Zaynab Assaf, en passant par Élie Youssef et Bassel Madi) s’en donnent à cœur joie. Comme des galopins dans une cour de
récréation.
Une fiesta et une corrida contagieuses. Ne vous demandez pas ce qu’en aurait pensé le libéral Henrik Ibsen. Beaucoup de bien sans nul doute, tout en se retournant dans sa tombe...

*Dernière représentation ce soir à 20h30.
Cent trente-quatre ans séparent les deux lieux et les personnages. Mais la guerre pour l’émancipation de la femme n’a pas encore fini de faire résonner son tam-tam... Une scène assaillie par des chaises où trônent des «laptops» ouverts devant deux garçons et deux filles. Un café proche de Rawda ou Ahwet el-Ezez.Ces jeunes gens, en toute désinvolture de mouvements, délurés et...

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