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Culture - Exposition

Les blessures et humeurs, noires de noir, de Youssef Aoun

Qu’on le dise en clair, c’est-à-dire noir sur blanc, Youssef Aoun n’est pas un peintre narratif. Son pinceau traque volumes et lignes dans une harmonie dissonante. Il expose ses derniers tableaux à la galerie Agial*.

Signature II, mixed media sur bois.

Edgar DAVIDIAN

 

Treize mixed medias (chiffre de malédiction ou de superstition?) allant de 2m x 2m à 54cm x 46 cm, tous placés sous le signe d’un vibrant noir «soulagien».
Un monde chaotique, morcelé, sombre. La lumière ne luit que du contraste du noir. Pas étonnant que l’artiste, aujourd’hui âgé de 47 ans, avec une présence sur les cimaises des galeries qui dure depuis plus d’un quart de siècle, ait écrit cette phrase en exergue de son catalogue de présentation: «J’ai vu toutes les couleurs du monde étalées sur ma toile et je me suis demandé: qui donc restera à la fin? Et j’entendis la toile me dire: le blanc et le noir.»
Le noir dans sa sobriété, son élégance, son mystère, sa voilette et sa cape de mort, son anarchie, son ésotérisme. Le noir en subdivisions de tonalités qui vont du noir de charbon au bitume, en passant par le noir de hêtre pour parler des blessures et des humeurs du moment, d’une période, d’une vie.
Un peintre livre là, en grands aplats huileux ou en touches fines, en magmas volcaniques ou pointillé de fusain, en vrac, ses impressions, ses états d’âme, sa vision du monde, l’impact des remous sociaux qui l’environnent. Des remous sociaux plus noirs que les plus noirs des jours de décembre (ce n’est pas pour rien qu’un marchand ambulant se soit brûlé vif dans les pays arabes) se profilent à travers une palette et un pinceau à l’écoute du monde et des autres.
Traits massifs, recherche de formes et de couleurs, équilibre des tonalités sont l’apanage de ces toiles aux structures imprévisibles, sourdes à toute concession à la facilité ou au consumérisme. Il s’agit bien ici d’un peintre en transe. Un peintre qui, en livrant ce qui secrètement le tenaille et l’habite, quête quand même paix et harmonie.
Un cycle de noir que Youssef Aoun, loin de toutes les modes et tendances, magnifie comme un chant non macabre, funèbre ou funéraire, mais un chant de la vie. Un coup de pinceau adroit comme un mouvement d’aïkido ou de boxe thaïe, avec une saisissante maîtrise où métier et talent ont la part équitablement belle.
Loin de toute notion narrative, dans une abstraction totale, la toile avance dans la noirceur d’un nuage d’encre de seiche en colère ou en danger. On revient volontiers sur cette parole d’Adonis, éclairante parole de poète, qui explique en un oxymore cet emploi subtil et obsessionnel d’une couleur à la symbolique millénaire et qui remonte bien au temps des pharaons qui voyaient en elle des vertus positives. En parlant de Youssef Aoun, il dit en substance que «son noir est lumineux».
Pour ces variations en noir, on dénombre le noir de campêche, de brou de noix, de café, de bistre, de réglisse, d’oxyde de fer, de sarment, de pêche, d’oxyde de fer, d’aniline. Le noir dans son spectre le plus profond, dans son cortège de vibrations, pour un peintre qui ne broie pas forcément du noir ou est d’humeur noire. Ces toiles ne sont pas non plus dans la certitude d’un regard noir. Le noir ici, malgré tourmente et angoisse, est une option délibérée, pour en jouer, avec un certain brio, comme pour une musique à la fois insaisissable, rare et mystérieuse.

*Galerie Agial (rue Abdel-Aziz) jusqu’au 30 juin.

Edgar DAVIDIAN
 
Treize mixed medias (chiffre de malédiction ou de superstition?) allant de 2m x 2m à 54cm x 46 cm, tous placés sous le signe d’un vibrant noir «soulagien».Un monde chaotique, morcelé, sombre. La lumière ne luit que du contraste du noir. Pas étonnant que l’artiste, aujourd’hui âgé de 47 ans, avec une présence sur les cimaises des galeries qui dure depuis plus...

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