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Culture - Spectacle

« Un fil de soie » entre réalité et fiction...

Grâce à la compagnie Zoukak et Maya Zbib, Zico House (rue Spears) a été le théâtre d’une maison hantée. Hantée par les contes et les mythologies, revisitées et mélangées comme jeux de cartes qui s’emboîtent. Des « Quarante Voleurs » d’Ali Baba à « Chaperon rouge » qui roupille, en passant par les femmes de Barbe bleue, les histoires mènent une farandole baroque et onirique sans pour autant exclure la réalité.

Cette histoire tissée des contes de Grimm, d’Andersen ou de Perrault déploie son fabuleux kaléidoscope d’images baroques et surréalistes.Photos Nasser Trabulsi

L’air du soir est doux et les spectateurs se rassemblent dans le jardinet bordé de colliers de lumière bleue de l’ancien immeuble du Zico House. Un chat des gouttières se promène entre des sciure de bois sur la terrasse et les vitres d’un vasistas aux verres rongés par une bougainvillée encore sans feuilles. Une atmosphère de délassement et de vague attente se saisit de ce «happy few» de spectateurs venus applaudir Khait harir (Fil de soie) de la troupe Zoukak sous la férule de Maya Zbib, à la fois interprète, metteuse en scène et dramaturge.


Dans cette nuit aux tonalités bleues, émergent brusquement trois nonnettes avec un panier à lessive. Elles virevoltent avec une douce frivolité, et tout en conversant entre elles et le public, encore surpris par leur impromptue présence, épinglent caleçons, slips, soutiens-gorge, lingerie fine et grossière. Et hop, le spectacle est enclenché et bien parti.
Elles nous parlent de Barbe bleue, de sa cruauté, de sa voracité pour les femmes, de ses secrets et interdits. En toute soyeuse douceur, comme ce fil de soie qui va embobiner nos oreilles et nos regards. Les volets et les portes du balcon s’ouvrent, et débarquent deux infirmiers qui prennent l’histoire en main. Exit les nonnettes et invitation à franchir le seuil de la demeure.


Ça y est, place à l’onirisme... Les contes pleuvent dès que le spectateur a enfreint le seuil du bar d’entrée où une créature de rêve, toute de rouge vêtue, cigarette à la Rita Hayworth à la main et regard chasseur d’impénitente louve derrière les prunelles, accueille ses invités dans l’antre de ses désirs, de ses dérives, de son essence, de son entité. Entité de femmes où l’homme est son miroir.


Miroir déformant où chacun de la parité humaine se mire pour mieux se retrouver... De chambre en antichambre, de salon en salle de séjour, de cage d’escalier en coin de cuisine, cette histoire tissée des contes de Grimm, d’Andersen ou de Perrault déploie son fabuleux kaléidoscope d’images baroques et surréalistes.
Magie de changer les lieux pour les spectateurs en suivant, dans un cahoteux dédale à la Petit Poucet, des acteurs (splendide brochette de comédiens, tous impeccables dans leurs diverses prestation, et on nomme Danya Hammoud, Lamia Abi Azar, Junaid Sarieddeen, Hashem Adnan et Maya zbib) divinement inspirés et totalement dans les habits de leurs personnages névrotiques, sanguinaires, révoltés, soumis, en prise avec les règles d’une société restée hypocrite et asservie aux conventions.


Dans ce village imaginaire de Kfarjahl (oui, l’ignorance est sans limite et nul ne pourra élucider les désirs profonds qui gèrent et dominent une vie humaine) où les hommes sont trucidés dans leur sommeil par des femmes et où les femmes sont pendues pour leur infidélité, les morts ressuscitent et reviennent demander droit à la vie. Une vie sans entraves, comme ils la désirent et la veulent.


Toutes les explications et les gloses du monde, y compris les rêves et les chemins de détour des contes et mythologies, ne peuvent conjurer l’amour de ce qui est essentiel pour un être. Authentique chant de la liberté absolue, dans ses normes libérées de féminité et de masculinité, est cette pièce de Khait harir menée diablement fort. Dans son texte et sa mise en scène ébouriffants.


Un texte virulent, nourri d’un humour noir, nanti d’une force poétique intense, parodiant et ironisant les clefs de la psychanalyse qui tentent d’ouvrir les portes des mystères aux enfants que tous les adultes sont. Un texte entre sonorités grinçantes et gutturales, et musicalité moderne, dans un arabe libanais dialectal d’une saveur toute charnelle, alliant humour noir, familiarité des propos, irrévérence malicieuse, étrangeté de situations et clarté d’effroyables moments de lucidité.


Pour cette création scénique, certainement hors normes, sans qu’elle soit la première dans le genre, ce qui retient surtout l’attention c’est bien entendu la mise en scène. Une mise en scène mobile et agitée à l’image de ces histoires gigognes qui se lovent les unes dans les autres comme des poupées russes... Des premières phrases lancées dans une arrière-cour bordée de conifères au haut de la chambre au mur défoncé d’un troisième étage, en passant par les arrêts dans un salon nu ou une salle avec lampadaire et fausse bédouine derrière le bois travaillé des vitres de la fenêtre, le spectateur est invité à changer d’air, d’atmosphère, de vision, de personnages. Sans pour autant lâcher la prise d’une narration menée au train d’enfer, à la diable. Entre les enfilades d’espaces de cet imaginaire palais de « Barbe bleue » qui interdit l’accès à une seule chambre, l’être, homme ou femme, est confronté à la réalité. Et rien que pour se tester au miroir de la vérité, on ne décline jamais une invitation chez Barbe bleue...

La pièce « Khait harir » de Maya Zbib avec la compagnie Zoukak se donne à Zico House les 4, 5, 6, 11, 12 et 13 mai.

L’air du soir est doux et les spectateurs se rassemblent dans le jardinet bordé de colliers de lumière bleue de l’ancien immeuble du Zico House. Un chat des gouttières se promène entre des sciure de bois sur la terrasse et les vitres d’un vasistas aux verres rongés par une bougainvillée encore sans feuilles. Une atmosphère de délassement et de vague attente se saisit de ce «happy...
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