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Culture - Spectacle

Ludor Citrik : un drôle de numéro... aviné

Pour lancer le mois de la francophonie, « Je ne suis pas un numéro », un solo clownesque pas comme les autres présenté par Cédric Paga, alias Ludor Citrik, au théâtre Montaigne. Iconoclaste, déstabilisant, délirant et provocateur !

Messieurs Citrik et Loyal dans un jeu de marionnettes. (Photo Sami Ayad)

Ludor Citrik n’est pas un clown comme les autres. Chez lui, pas de nez rouge, plutôt une sorte de gros champignon tuméfié, ni de figure enfarinée, à part un loup blanc peint autour des yeux. Mais, par contre, une vraie odeur de poivrot aviné!
Et pour cause, c’est une performance, plus vraie que nature, d’ivrogne dégueulasse – on le soupçonne d’ailleurs d’avoir bu autre chose que de l’eau avant d’entrer en scène! – que Ludor Citrik va livrer sur les planches du théâtre Montaigne devant un public libanais qui n’est pas vraiment un habitué du genre.
Vêtu d’oripeaux et traînant son caddie, il va très poliment frapper à la porte de la salle Montaigne attendant qu’on lui dise de rentrer avant d’y débouler dans des effluves pestilentiels de pinard et de crasse mêlés. Le ton – ou plutôt l’odeur – est donné!
Grimpant sur scène, il déroule un rouleau de papier toilette en tapis rouge pour commencer par se livrer à un petit numéro de transformiste, passant du vieux débris à barbe sirotant son rouge au goulot, au marginal délirant, biberonnant à même la bouteille son bébé imaginaire, avant d’ôter sa veste pour en habiller son caddie qu’il surmontera d’une perruque de boucles blanches pour le transformer en Mr. Loyal (claire référence au cirque classique), idole absolue et interlocuteur privilégié de ses délires. Jusque-là rien de vraiment inédit.
Toutefois les choses se corsent lorsque, se retrouvant en petite robe à bretelles, ce cher Ludor Citrik va jouer sa diva foutraque croquant dans des biscuits qu’il recrache à la figure des spectateurs du premier rang (rassurez-vous, les autres rangées ne seront pas épargnées non plus par la suite).
Une pluie de postillons et quelques tirades culbutées dans tous les sens plus tard, le voilà qui fait un premier numéro – parfaitement dans les normes – de jonglage à trois balles. Ces mêmes trois balles qu’en parfait saoulard, il imaginera dans la position rocambolesque du mari, de l’amant et de la femme, avant de les glisser dans son décolleté pour jouer les – hilarantes –tragédiennes antiques. Le tout sur une scène transformée par les jets de vin, de salive et les kleenex usagés et déchiquetés, en véritable porcherie. Dans ce qui pourrait être une reconstitution fidèle de l’univers d’un clochard.
Petit mouvement de défection parmi le public que l’artiste – visiblement habitué à ce genre de situation – prendra avec humour et autodérision. «Restez, la suite est encore mieux», leur jettera-t-il.
Et, en effet, la suite du spectacle se révélera encore plus délirante. Comme s’il voulait tester les limites de son public, Ludor Citrik ira crescendo dans la... provocation. Ainsi, reluisant de sueur et puant – il n’y a pas d’autres termes plus adéquats –, il s’amusera à escalader les gradins au-dessus des têtes des gens, qu’il gratifiera au passage de commentaires cocasses, établissant un échange avec certains d’entre eux. Une interaction qui tournera mal cependant, car ayant réussi à se faire ramasser une de ses chères balles luisantes de sueur par une bonne âme des premiers rangs, M. Citrick réclamera «un câlin». Lequel – évidemment – ne venant pas le mettra dans une fureur absolue, lui faisant arracher le tapis de scène.
Une finale tragi-comique pour un spectacle qui n’est certes pas d’une grande finesse, mais qui reste une véritable performance de comédien tant l’univers du clochard saoul et totalement déconneté de la réalité est rendu dans ses moindres détails.
Un vrai théâtre visuel, mélangeant pantomime, farce, bouffonnerie, acrobatie et jongleries, et qui retranscrit l’ère du temps avec acuité, dérision et autodérision. Et une performance humoristico-corrosive portraiturant les misères tues de nos sociétés contemporaines. Autant celles des clochards que des intermittents du spectacle, obligés de faire les guignols sur la place publique pour survivre.
Pour ceux qui, en sortant, se demandaient si ce spectacle méritait d’ouvrir un mois consacré à la francophonie, on pourrait avancer qu’il illustre une facette contemporaine de la francophonie. Laquelle, au-delà de la mise en commun d’une langue et de ses subtilités, se veut un espace de partage d’un univers total festif et humoristique. Fusse-t-il aussi décapant et provocateur que celui-ci!
Ludor Citrik n’est pas un clown comme les autres. Chez lui, pas de nez rouge, plutôt une sorte de gros champignon tuméfié, ni de figure enfarinée, à part un loup blanc peint autour des yeux. Mais, par contre, une vraie odeur de poivrot aviné! Et pour cause, c’est une performance, plus vraie que nature, d’ivrogne dégueulasse – on le soupçonne d’ailleurs d’avoir bu autre chose...

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