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Économie - Liban - Social

Grève des journaliers de l’EDL : les raisons du court-circuit

Une fois de plus, l’EDL est au centre des projecteurs, et une fois de plus, elle ne fait pas office de star. En cause, un contrat entre la société et trois entreprises privées pour la gestion de la distribution de l’électricité. Les journaliers de l’EDL craignent pour leur avenir et font grève, inlassablement, depuis plus d’un mois.

Le siège de l’EDL reste « occupé » par les journaliers jusqu’à nouvel ordre.

L’Électricité du Liban (EDL) se rappellera pendant longtemps de cette saison printemps-été 2012, où le rationnement atteignant des sommets inégalés dans toutes les régions du pays et la grève ouverte de plus de 2 000 de ses travailleurs lui valent les critiques les plus féroces. Car il n’est de secret pour personne que l’EDL se porte mal, très mal. D’un point de vue financier d’abord, la société accumule un déficit colossal, que le Trésor doit annuellement couvrir en lui transférant 20 % du budget de l’État. Les pertes annuelles ainsi engendrées pour la production de l’électricité s’élèvent à 6 milliards de dollars, soit près de 15 % du PIB. Ensuite, au niveau de la production, ses centrales sont loin de produire la quantité d’électricité dont le pays a besoin. En 2010, la production maximale a atteint 1 650 mégawatts (MW) pour une demande de 2 450 MW, soit un déficit de 800 MW, et la situation n’a cessé de s’aggraver depuis. Le réseau de distribution d’électricité et de collecte des factures ne se porte pas mieux. Les études chiffrent les pertes dues aux problèmes techniques, aux vols ou à une mauvaise collecte des factures à plus de 300 millions de dollars annuellement.
C’est pour tenter de résoudre ce dernier point que l’État a lancé il y a quelques mois un appel d’offres aux entreprises privées afin qu’elles prennent en charge le réseau de distribution. « Il ne s’agit pas là d’un contrat de privatisation, mais d’une gestion des services publics par le secteur privé, pour le compte de l’État », a expliqué à L’Orient-Le Jour Nizar Younès, le président du conseil d’administration de Butec, l’une des trois entreprises libanaises qui ont remporté l’appel d’offres. Butec est une société anonyme (SA) libanaise, fondée en 1960 et dont un des actionnaires n’est autre que la société financière internationale (IFC), un groupe de la Banque mondiale. Les trois entreprises (Butec, Debbas et ICC de Khatib et Alami) financent le projet à hauteur de 100 millions de dollars chacune et recevront des paiements échelonnés de la part de l’EDL sur les quatre années que dure le contrat. « Aucun investisseur étranger n’a voulu se lancer dans le projet et seules des entreprises libanaises ont fait le pari, avec tous les risques financiers que cela comporte », a confié M. Younès. Car, en effet, les garanties d’être payé par une entreprise publique déficitaire et dont la gestion chaotique n’est plus à prouver semblent minces. « En acceptant le contrat avec l’EDL, nous avons souscrit en parallèle à une assurance de la Banque mondiale », a ajouté M. Younès, qui se dit toutefois confiant dans les bienfaits de ce projet pour redresser considérablement la qualité des services de l’EDL. « C’est tout le réseau de distribution qui va être rénové, avec des services de meilleure qualité qui comprennent des délais d’intervention connus à l’avance, des centres d’appel ou encore des compteurs électroniques qu’il sera impossible de fausser », a-t-il expliqué. Selon lui, cette modernisation du réseau permettra de mettre un terme aux pertes techniques et autres ainsi que de renflouer les caisses de l’EDL à hauteur de 400 millions de dollars supplémentaires par an. La sécurité est également un atout mis en avant par ces sociétés privées. M. Younès assure que « les salariés recevront des formations spéciales et seront équipés de tous les outils nécessaires à leur protection des risques du métier ». Selon lui, un budget équivalent à 10 % du coût des installations sera spécialement alloué à la sécurité du personnel.

L’affaire des journaliers et contractuels de l’EDL
Ce « personnel » dont parle M. Younès, ce sont les milliers de journaliers qui font grève depuis plus d’un mois pour demander leur cadrage au sein de l’EDL pour laquelle ils travaillent depuis des dizaines d’années, sans aucune protection sociale. Ils sont environ 2 300, « de tous âges, de toutes les régions, de toutes les confessions et de tous les bords politiques », comme ils aiment à se définir.
Ils refusent catégoriquement de se faire embaucher par les trois entreprises privées « car nous n’avons aucune garantie sur la façon dont va se dérouler le contrat et il est normal qu’après des années de service à l’État nous soyons embauchés dans le service public », a confié à L’Orient-Le Jour Ahmad Chehab, l’un des porte-parole des travailleurs journaliers, au cours d’un sit-in à l’EDL.
Depuis plusieurs jours, les spéculations vont bon train autour du sort de ces journaliers, parmi lesquels 700 environ devraient être cadrés au sein même de l’EDL, comme l’a annoncé le ministre de l’Énergie et de l’Eau, Gebran Bassil, et le reste, soit employés par les trois entreprises privées, soit livrés à eux-mêmes, à la rue. « Cette situation est complètement aberrante, s’indigne Chehab, nous sommes plus de 1 600 à remplir toutes les conditions pour être cadrés à l’EDL, laquelle, par ailleurs, accuse d’un manque de plus de 3 500 postes vacants. » Les grévistes critiquent également la façon « totalement obscure » dans laquelle se sont faites les négociations entre l’EDL et les trois entreprises. « Nous sommes les premiers concernés, mais nous ne savons rien sur la nature du nouveau contrat qui pourrait nous lier à ces entreprises », dit Chehab. « Il est question de nous mettre à l’essai pendant trois mois, alors que nous avons prouvé nos compétences durant des dizaines d’années... le tout sans aucune garantie d’être cadré ni vision d’avenir pour l’après-période des quatre ans que dure le contrat », s’indigne-t-il.
M. Younès, de Butec, n’est pas du même avis. « Nous avons besoin de ces gens, de leurs compétences. Il est de notre intérêt de les embaucher, car eux seuls possèdent l’expérience nécessaire du terrain », déclare-t-il. Selon le contrat d’embauche que la société propose aux journaliers de l’EDL, il est clairement spécifié que toute personne embauchée sera cadrée après les trois mois d’essai prévus par la loi, et cela pour une durée indéterminée, « et non uniquement pour la durée de quatre ans du contrat qui nous unit à l’EDL », a assuré M. Younès.
Et pourtant, les grévistes ne semblent pas du tout conquis par cette proposition, et M. Chehab est catégorique. Pour lui, il est hors de question de se contenter d’un « semi-résultat ». « La grève se poursuit jusqu’à ce que tous les journaliers qui remplissent les conditions soient cadrés à l’EDL », assure-t-il. Mais pour l’instant, ce n’est pas la solution qui semble la plus à même d’être adoptée, surtout après « la mascarade gouvernementale de la semaine dernière où les ministres, à l’unanimité, ont baissé les bras face aux menaces du ministre de l’Énergie », regrettent les grévistes. « M. Bassil a menacé de couper l’électricité à tout le pays si la grève ne prenait pas fin, mais je rassure les citoyens libanais, jamais quiconque en Mercedes ou en cravate ne pourra couper le courant. Ce sont nos mains, nos outils, à nous, les techniciens qui risquons notre vie quotidiennement sur le terrain, qui ont le pouvoir d’allumer ou d’éteindre le pays », conclut-il en rigolant. Ils accusent également la Confédération générale des travailleurs au Liban (CGTL) de les laisser tomber, « comme si on faisait partie d’une sous-catégorie de travailleurs, qui ne valent pas la peine d’être défendus ».

La guerre des chiffres est lancée
Mis à part le sort des journaliers de l’EDL, beaucoup de questions restent floues quant aux coûts par exemple de cette nouvelle gestion de la distribution d’électricité. Selon les journaliers de l’EDL, les prix de tous les services augmenteront, jusqu’à trois fois plus. « La pose d’un poteau électrique coûte actuellement 363,3 dollars, son prix s’élévera à 1 009,8 dollars avec les entreprises privées », explique M. Chehab, documents à l’appui. « Le coût d’installation d’un transformateur électrique de 400 kilovoltampère (KVA) à 11 000 dollars est de 176 dollars actuellement, contre 345,48 dollars pour les entreprises privées », ajoute-t-il. « Qui payera cette différence ?
Pourquoi augmenter des coûts inutilement dans une société qui n’arrive déjà pas à stopper son déficit ? » se demandent les grévistes. Pour M. Younès, ces calculs sont tronqués.
« On ne peut pas comparer deux services de qualité différente, explique-t-il, et au final le rapport coûts-bénéfices sera nettement meilleur avec les services des entreprises privées. »
L’affaire est de toute façon loin d’être réglée et aura contribué à fragiliser encore plus une institution branlante.
Hier encore une réunion des commissions parlementaires mixtes a eu lieu, au cours de laquelle le ministre Bassil a campé sur ses positions en refusant que l’EDL n’embauche plus de journaliers que prévu.
Les grévistes ont promis de continuer le mouvement de grève et espèrent qu’il donnera des idées à tous les autres milliers de contractuels dans le pays, employés au sein des institutions étatiques sans être cadrés et dans des secteurs aussi importants que l’éducation ou la santé, pour crier haut et fort
« basta » !
L’Électricité du Liban (EDL) se rappellera pendant longtemps de cette saison printemps-été 2012, où le rationnement atteignant des sommets inégalés dans toutes les régions du pays et la grève ouverte de plus de 2 000 de ses travailleurs lui valent les critiques les plus féroces. Car il n’est de secret pour personne que l’EDL se porte mal, très mal. D’un point de vue financier...

commentaires (1)

Faut dire que l'ensemble des problèmes répertoriés à EDL ,est générateur de conflits ,c'est peut être le seul générateur qui marche 24 h/24...

M.V

01 h 04, le 06 juin 2012

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Commentaires (1)

  • Faut dire que l'ensemble des problèmes répertoriés à EDL ,est générateur de conflits ,c'est peut être le seul générateur qui marche 24 h/24...

    M.V

    01 h 04, le 06 juin 2012

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