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Moyen Orient et Monde - Le point

Jeunisme contre sénilisme

Le chômage vient de dépasser le pic des 30 pour cent parmi les jeunes (moyenne nationale : 16 pour cent). Le coup de grâce a été porté au tourisme, principale source de revenus du pays, lorsqu’un attentat-suicide a été commis le 30 octobre à Sousse et qu’une attaque du même genre a été déjouée ce jour-là à Monastir, deux premières qui marquaient l’entrée en lice du terrorisme. Au sein de la société, le clivage s’accentue au fil des jours, mettant en danger la culture démocratique. En moins de six mois, deux députés de gauche, Chokri Belaïd (6 février) et Mohammad Brahmi (25 juillet), ont été abattus. Le 23 octobre, deux ans jour pour jour après la chute de l’ancien régime, six agents de la Garde nationale tombaient sous les balles à Sidi ben Ali Aoun. Au plan politique, dix jours de négociations n’ont pas permis aux islamistes et aux opposants de désigner un nouveau Premier ministre.


Malgré tous ces voyants rouges qui s’allument, le président Moncef Marzouki est optimiste. « Nous surmonterons la crise politique et le processus démocratique ira à son terme », vient-il de déclarer. Il est bien le seul à le croire. La vérité, c’est que la Tunisie va mal, très mal, et ce n’est pas l’engagement pris par les islamistes de quitter le pouvoir dans les prochains jours qui permettra au char de l’État de sortir de l’ornière. Au contraire, pourrait-on dire, tant les politiciens de tout bord se sont évertués à bloquer l’une après l’autre les issues, à coups d’atermoiements et de calculs étroits dignes des vieux caciques de l’ancien régime.


Les éléphants, parlons-en. Béji Caïd Essebsi, chef de la principale formation d’opposition, Nidaa Tounès, affiche 86 ans au compteur et a servi trois régimes. Ahmad Mestiri, proposé au poste de chef du gouvernement, avoue 88 ans, soit neuf ans de plus que son concurrent, Mohammad Ennaceur. D’autres gloires de la scène appartiennent pour la plupart au club de moins en moins fermé des bourguibistes qui voient d’un mauvais œil monter le danger incarné par les tenants d’un jeunisme qui continue d’avoir mauvaise presse.


Le 17 décembre 2010, un jeune vendeur ambulant, Mohammad Bouazizi, s’immole par le feu à Sidi Bouzid, déclenchant un phénomène que l’on se dépêchera d’appeler la « Révolution du jasmin ». « Cette date, lit-on alors sur le portail d’information Kapitalis, n’appartient pas seulement aux Tunisiens. Elle fait désormais partie du grand calendrier de l’histoire des hommes (...). Une ère où les peuples, en accord avec eux-mêmes (...), décident librement et en conscience de leur futur. » Il faut espérer que, depuis, l’auteur de ces lignes hugoliennes dans leur emphase ne les a pas relues.
Nul, en ces jours de tous les doutes, ne se hasardera à affirmer que l’exemple tunisien a fait tache d’huile. Sinon peut-être, pour ajouter le célèbre jugement de Karl Marx : « Hegel remarque quelque part que tous les grands faits et les grands personnages de l’histoire universelle adviennent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. » * Farce peut-être, mais sanglante, à voir ce qui se passe dans ce Moyen-Orient où se jouent des drames qui finiront par ressembler à tous ceux qui les ont précédés, à tous ceux qui les suivront aussi.


En neutralisant le dispositif censé assurer une transition en douceur, au prétexte que cette instance compte dans ses rangs des hommes connus pour leur indépendance ou même (suprême hérésie aux yeux de la bien-pensance islamiste) des représentants de la gauche progressiste, Ennahda et ses deux partenaires au sein de la troïka (la coalition au pouvoir) ont fait le lit d’une crise de confiance qui non seulement n’est pas près d’être réglée, mais qui, en plus, s’aggrave car venant s’ajouter à la détérioration de la conjoncture économique et sociale. Du coup, le passage vers la normalité démocratique n’a plus le même sens pour tous les camps en présence et le doute s’est installé dans les esprits quant à l’engagement pris par le principal parti de remettre les clefs du pouvoir à un nouveau chef de gouvernement. Malgré l’affirmation par Rached Ghannouchi que l’impasse ne durera pas longtemps, nombreux sont ceux qui croient que les islamistes « vont sortir par la porte pour revenir par la fenêtre ».
Il n’y aurait là qu’une énième réédition du jeu politique pratiqué sous divers cieux. Sauf qu’il s’agit en l’occurrence de la Tunisie, un pays où le gouvernement par le peuple, pour le peuple n’est pas une expression vide de sens, un pays qui a constitué un phare pour ses pairs de la Ligue arabe. Jusqu’à une date récente à tout le moins.

* « Le 18 brumaire de Louis Bonaparte », par Karl Marx.



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