Michel Berger
Bizarre ? Tellement bizarre. En ce moment, l’espace-temps est boursouflé de bizarreries. C’est une pandémie.
Est bizarre, tout de même, l’entêtement de ces gens-là, convaincus qu’il vaut mieux conserver le statu quo en Syrie plutôt que de commencer à crever l’abcès. Lorsqu’une jambe, par exemple, est gangrenée, on l’ampute. Sinon le patient meurt. Lorsqu’un organe humain est bouffé par les nénuphars, on le charcute. Sinon le patient meurt. On ampute, et ensuite on traite les virus, bactéries, microbes et autres affections parallèles. Dangereuses, certes, mais secondaires.
Est bizarre, aussi, la faculté de ces gens-là à pontifier sans arrêt, sans respiration. Parce que non, gazer une population, ce n’est pas la même chose que de la noyer de bombes par air, terre ou mer. Ou de l’exterminer à la machette. Il y a une hiérarchie inflexible de l’admissible, une limite à l’horreur, une symbolique. Bouffer le cœur d’un adversaire, c’est de la barbarie individuelle pure, un crime de guerre sans doute. Déverser son sarin, sa moutarde, son VX en se trompant, en plus, dans le dosage, c’est un crime contre l’humanité. C’est la naissance d’une néo-Shoah. Les Anglo-Saxons ont une expression parfaite : Do the maths.
Est bizarre, tout autant, cette ancienne-nouvelle bunkérisation communautaire, ce réflexe identitaire d’une saleté telle que cela frôle la sclérose en plaques neuronale : oui, les chrétiens de Syrie sont en danger (pas toujours : les illuminés assassins d’al-Nosra n’ont rien fait à Maaloula...), mais les sunnites, les alaouites, les juifs, les bouddhistes de Syrie et l’ensemble des peuples de la région le sont tout autant et le resteront tant que Bachar el-Assad et son gang ne sont pas déboulonnés d’une façon ou d’une autre.
Est bizarre, c’est le moins que l’on puisse dire, ce refus idéologique et conceptuel, cette (im)posture intellectuelle de ceux qui refusent, pontifiants et outrés au possible, toute idée de frappe contre le régime syrien en continuant, avec une naïveté, une idiotie et/ou un cynisme confondants, à défendre l’option diplomatique, oubliant volontairement les veto russo-chinois et, surtout, le fait que cela fait plus de deux ans que rien ne sert, que rien ne servira, que Bachar el-Assad ne lâchera, jamais, au grand jamais, la moindre once de lest. Est bizarre pareillement, cela dit, cette lubie de frappe limitée. Sauf si c’est un prélude. Un prologue.
Sont bizarres, grandement, ces prophéties de Cassandre désœuvrées, précieuses et ridicules, qui prévoient le pire au Liban en cas d’attaques contre la Syrie. Comme si le pire ne s’était pas déjà installé, entre Roueiss et Tripoli, comme si le pire n’était pas en train de s’étirer, lentement, sûrement, de préparer d’autres Roueiss, d’autres Tripoli. Pire pour pire, au moins qu’il y ait un minimum de productivité. D’espoir d’en finir. Et puis ce pire, les Libanais l’ont tellement vécu dans leur chair pendant des années qu’ils ont fini par l’apprivoiser. (Un peu) plus que les autres. Que s’ils doivent le revivre, cela serve à quelque chose, à la chute de cette maison Assad qui les torture depuis des décennies.
Est bizarre idem, du moins en apparence, ce retentissant no hear no see de toute la classe politique libanaise, qui ne voit ni n’entend la psychose croissante et le ras-le-bol gigantesque des gens. Des musulmans, des chrétiens, des riches, des pauvres, des intellectuels, des ouvriers, des jeunes, des vieux, des investisseurs, des ménagères, des Libanais logés désormais tous à la même enseigne – tellement que même patronat et syndicats en sont à marcher main dans la main...
Bizarre ? Pas tant que cela finalement. Comme les autres, comme le Liban du nord au sud, ces hommes et ces femmes politiques sont les otages aveuglés, assourdis et plus ou moins stockholmisés jusqu’à la moelle, du Hezbollah.
P.-S. : est bizarre enfin cet art mortifère, cette capacité stupide de ne pas dire des mots, tous ces mots qui font peur quand ils ne font pas rire et qui sont dans trop de films, de chansons et de livres, mais qui, une fois dits, entrouvrent de (si) belles fenêtres...
commentaires (12)
Est bizarre (pour rester poli) de penser que les jihadistes d'Al Nosra "n'ont rien fait a Maaloula"...mais bon le meme auteur avait traite Assir de "doux" il y a quelques mois...pathetique!
Kaldany Antoine
14 h 01, le 08 septembre 2013