Les totems guident
le chemin
Avant de lire un poème qui introduit sa pensée, les totems, grandeur surdimensionnée à tête de bébé, invitent le visiteur à pénétrer dans le cercle esquissé pour lui par l’artiste. Un cercle convivial, plein d’émotion, fait de chiffres, de lettres, de gestes et de mouvements. Pour Corbero, seul compte cet enfant – totem contemporain – témoignage de l’évolution humaine, puisque le totem pour les Amérindiens est ce qui protège le clan, l’unifie mais aussi l’identifie.
« Il est temps de réfléchir à l’espèce, dit l’artiste d’un ton grave. Le temps presse et demain il sera trop tard. Oui trop tard pour tous ceux qui s’affublent de totems, de fétiches ou de divinités qui séparent et éparpillent. » « Nous sommes tous nés sous le même ciel et cette grande Voie lactée parsemée d’étoiles dessinées à la main nous indique la route. Après tout, ne sommes-nous pas tous des poussières de Dieu ? » poursuit-elle.
Des poussières trop mortelles puisqu’avec l’aide d’amis, Corbero a pu dénombrer (approximativement bien sûr) tous les morts causés par les petites ou grandes guerres du XXe siècle. Près de 193 747000 morts. Un nombre hallucinant qui donne à réfléchir sur le caractère meurtrier du siècle.
Par ailleurs, sur des serviettes bleues qui évoquent la Mare Nostrum, elle a retranscrit ses poèmes dans toutes les langues en laissant bien sûr une serviette vide (devinez pourquoi !).
Mais le travail de l’artiste ne s’arrête pas là. Très attachée au pays du Cèdre qu’elle connaît si bien pour y avoir longtemps vécu, Corbero fait osciller ses pendulettes avec totems sur les symboles du Liban (monnaie, cèdre, armes et autres représentations d’un pays qu’elle aime tant). S’interrogeant d’ailleurs sur l’absence de liaison aérienne entre Séville et Beyrouth, elle s’empressera de créer une page Facebook invitant les responsables à réfléchir à ce problème.
Sensible et narrative, émotive et passionnée, Ana Corbero évolue devant les caméras d’Omar Ramirez Casas et Nabil Gholam, et sous la musique de Sarah Sarhandi avec Gutavo Thomas (butô), traduisant ce sentiment d’unité et d’union. L’individu, ajouté à un autre individu, devrait, pour Ana Corbero, former cette nouvelle collectivité et chasser ce sentiment de démembrement du corps humain représenté par la notion du « vous et nous ».