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Économie

Encore des bulles, toujours des bulles...

Par Robert J. SHILLER

Robert Shiller, professeur en sciences économiques à l’université de Yale, est coauteur, avec George Akerlof, de « Les esprits animaux : comment les forces psychologiques mènent la finance et l'économie ».

On pourrait croire que nous vivons dans une ère postbulle depuis l’effondrement en 2006 de la bulle immobilière la plus importante jamais connue au monde et depuis la fin d’une grande bulle mondiale du marché boursier l’année suivante. Mais les discussions sur les bulles ne cessent de réapparaître : des bulles immobilières nouvelles ou continues dans de nombreux pays, une nouvelle bulle boursière mondiale, une bulle du marché obligataire à long terme aux États-Unis et dans d’autres pays, une bulle des prix du pétrole, une bulle de l’or, etc.
Néanmoins je ne m’attendais pas à entendre une histoire de bulle lors de mon voyage en Colombie le mois dernier. Mais encore une fois, les gens de ce pays m’ont parlé d’une bulle immobilière en cours et mon chauffeur m’a fait visiter la station balnéaire de Cartagena, en soulignant sur un ton étonné que plusieurs maisons s’étaient récemment vendues pour plusieurs millions de dollars.
La Banco de la República, la banque centrale de Colombie, maintient un indice des prix nationaux sur les trois principales villes : Bogotá, Medellín et Cali. L’indice a augmenté de 69 % en termes constants (indexés sur l’inflation) depuis 2004, le plus fort de l’augmentation ayant eu lieu après 2007. Ce taux de croissance des prix rappelle l’expérience américaine, lorsque l’indice des prix nationaux S&P/Case-Shiller Ten-City des États-Unis a augmenté de 131 % en termes constants depuis son creux en 1997 jusqu’à son pic en 2006.
Cela soulève la question suivante : qu’est-ce au juste qu’une bulle spéculative ? L’Oxford English Dictionary définit une bulle comme « quelque chose de fragile, sans substance, vide ou sans valeur. Une impression trompeuse. À partir du XVIIe siècle, ce terme a souvent été appliqué à des montages commerciaux ou financiers trompeurs ». Le problème est que des mots comme « impression » et « montage » suggèrent une création délibérée, plutôt qu’un phénomène social très répandu et mis en scène par aucun imprésario.
Peut-être le mot « bulle » est-il employé à mauvais escient ? C’est bien l’avis d’Eugène Fama. Fama, le plus important promoteur de « l’hypothèse d’efficience des marchés », dénie toute existence à ces bulles. Selon ses propres mots rapportés dans une interview de 2010 de John Cassidy pour The New Yorker : « Je ne sais même pas ce que signifie le mot bulle. Ce mot est en ce moment à la mode. Je ne crois pas qu’il ait un sens. »
Dans la deuxième édition de mon livre Irrational Exuberance, j’ai essayé de donner une meilleure définition d’une bulle. Une « bulle spéculative », ai-je écrit, est « une situation dans laquelle des informations sur l’augmentation des prix provoquent l’enthousiasme des investisseurs, qui se propage par contagion psychologique de personne à personne, ce qui a tendance dans ce processus à amplifier les histoires susceptibles de justifier la hausse des prix ». Cela attire un groupe d’investisseurs de plus en plus important, qui, en dépit des doutes sur la valeur réelle de l’investissement, sont attirés par lui en partie par l’envie des succès des autres et en partie par l’excitation de plus en plus grande d’un joueur.
Cela semble être l’essentiel de la signification de ce mot dans son acception la plus courante. Cette définition sous-entend la suggestion d’une raison pour laquelle il est si difficile de profiter de « l’argent futé » en pariant contre des bulles : la contagion psychologique favorise un état d’esprit qui justifie les hausses de prix, de sorte que la participation à la bulle pourrait être qualifiée de quasi rationnelle. Mais elle n’est pas rationnelle.
L’histoire de chaque pays est différente, reflète ses propres informations, qui ne collent pas toujours avec les informations dans d’autres pays. Par exemple, l’histoire actuelle en Colombie semble être que le gouvernement du pays, désormais sous la direction, tenue en haute estime, du président Juan Manuel Santos, a fait baisser l’inflation et les taux d’intérêt au niveau des pays développés, tout en supprimant la menace des rebelles FARC, ce qui a contribué ainsi à injecter une nouvelle vitalité dans l’économie colombienne. C’est une assez bonne histoire pour conduire vers une bulle immobilière.
Parce que les bulles sont essentiellement des phénomènes socio-psychologiques, elles sont par leur nature même difficiles à contrôler. Des mesures réglementaires depuis la crise financière pourraient diminuer les bulles à l’avenir. Mais la crainte que l’opinion publique éprouve à l’encontre des bulles peut également amplifier la contagion psychologique et alimenter bien d’autres prophéties autoréalisatrices.
Un problème avec le mot « bulle » est qu’il crée l’image mentale d’une bulle de savon en pleine expansion, destinée à apparaître d’un seul coup et irrévocablement. Mais les bulles spéculatives ne prennent pas fin si facilement : en effet, elles peuvent se dégonfler un peu lorsque l’histoire change, puis se regonfler.
Il serait plus approprié d’évoquer ces épisodes sous la forme d’épidémies spéculatives. Nous avons appris de la grippe espagnole qu’une nouvelle épidémie peut soudainement apparaître au moment même où une version plus ancienne est en train de s’atténuer, quand une nouvelle forme du virus apparaît, ou quand certains facteurs environnementaux font augmenter le taux de contagion. De même, une nouvelle bulle spéculative peut apparaître n’importe où quand apparaît une nouvelle histoire sur l’économie et quand elle a assez de force narrative pour déclencher une nouvelle contagion dans le raisonnement des investisseurs.
C’est ce qui s’est passé dans le marché haussier des années 1920 aux États-Unis, avec un pic en 1929. Nous avons déformé cette histoire en envisageant les bulles comme une période de croissance spectaculaire des prix, suivie d’un point d’inflexion brusque et d’un krach considérable et définitif. En fait, une vague importante de prospérité dans les prix réels des actions aux États-Unis après le « mardi noir » les a ramenés à mi-chemin des niveaux de 1929 et 1930. Elle a été suivie d’un deuxième krach, d’une autre vague de prospérité de 1932 à 1937 puis d’un troisième krach.
Les bulles spéculatives ne se terminent pas comme une nouvelle, comme un roman ou une pièce de théâtre. Il n’y a pas de dénouement qui réunit tous les fils d’un récit dans une conclusion finale qui marque les esprits. Dans le monde réel, on ne sait jamais quand l’histoire est finie.

Traduit de l’anglais par Stéphan Garnier.
© Project Syndicate, 2013.
On pourrait croire que nous vivons dans une ère postbulle depuis l’effondrement en 2006 de la bulle immobilière la plus importante jamais connue au monde et depuis la fin d’une grande bulle mondiale du marché boursier l’année suivante. Mais les discussions sur les bulles ne cessent de réapparaître : des bulles immobilières nouvelles ou continues dans de nombreux pays, une nouvelle...
commentaires (3)

N'immmporte quoi !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

01 h 44, le 23 juillet 2013

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Commentaires (3)

  • N'immmporte quoi !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    01 h 44, le 23 juillet 2013

  • AU LIEU DES BULLES ON SE DIRIGE À GRANDS PAS VERS L'ÉPOQUE DES " GRANDS BALLONS " !

    SAKR LOUBNAN

    18 h 24, le 22 juillet 2013

  • M. Fama sans doute raison. Non que j'aie le moindre respect pour LE théoricien de l'efficience des marchés, que je classe sans hésiter parmi ceux que j'appelle les neo-libéraux nazis. Ce Fama est un voyou financier proche de tous les capi mafiosi de son "domaine". Mais il a raison parceque les manipulateurs de marchés utilisent avec brio son "efficience"...et çà 'est vrai. Les bulles ne sont des bulles, çà ne veut rien dire...mais bien des pièges à cons,montés savamment par leurs concepteurs.Fama...curieux...on dirait presque mafia en verlan...il a dû perdre son I quelquepart.Ah,j'oubliais...mais qu'il est insignifiant ce Shiller...son petit topo là,n' a aucun intérêt dis donc, à part d'avoir parlé de Fama.

    GEDEON Christian

    03 h 22, le 22 juillet 2013

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