Rechercher
Rechercher

Économie - Quatre questions à...

« Le projet de budget 2013 est sans vision »

Karim Daher, avocat fiscaliste

Question - Pourquoi n’a-t-on pas réussi, depuis 2005, à avoir un budget approuvé et voté par la Chambre ?
Réponse - Il faut savoir que le domaine des finances publiques, dont le budget (ou plus précisément la loi de finance), qui ne constitue qu’une variante, est marqué par l’importance et la primauté des normes constitutionnelles. En effet, il convient de noter que l’article 87 de la Constitution libanaise a conditionné la promulgation de la loi de finance annuelle (qui autorise la dotation des dépenses et la perception des impôts) à la production des comptes publics de l’administration des finances pour ce qui est de l’année qui précède. Ceci a pour corollaire aussi l’établissement d’une loi de règlement qui arrête le montant définitif des recettes et des dépenses budgétaires ainsi que le solde budgétaire d’exécution. Et c’est en fait précisément sur ce point précis que les choses se sont bloquées car il existe un chaînage vertueux entre le contrôle parlementaire, d’une part, et l’exigence d’avoir des comptes clairs et transparents, ainsi que de disposer du rapport de la cour des comptes sur les résultats et la gestion budgétaire de l’exécutif confirmant leur régularité et leur sincérité, d’autre part. Or, force est de constater que ni l’un ni l’autre n’existent, et ce depuis bien avant 2005. Mais cette date marquant la fin de la tutelle étrangère et la prise en main par les Libanais de leurs affaires internes, les compromis en douce n’étaient plus possibles et les différentes parties se sont livrées à des règlements de comptes politiques qui poussent à des reports continuels. Sans oublier aussi que la question de chiffres n’est plus qu’un simple « point de vue » au Liban.


Que faudrait-il faire pour faire approuver le projet de budget 2013 ?
Si vous entendez par budget 2013 la dernière mouture du projet de budget que le ministre des Finances Mohammad Safadi a présenté au gouvernement peu avant sa démission, celui-ci est devenu en fait caduc et inopérant du fait même qu’il n’a été ni débattu en Conseil des ministres, ni approuvé, ni même transmis au Parlement pour discussion avant adoption. Et même dans ce dernier cas, il aurait pu être récupéré et totalement modifié par le nouveau gouvernement. Tout en notant au passage que l’équipe actuelle démissionnaire n’est plus à même d’adopter des mesures réglementaires et doit se contenter de gérer (au mieux) les affaires courantes.
Par contre, le projet qui a plus de chances de voir le jour est celui relatif aux modes de financement de la grille des salaires dans le secteur public qui intègre nombre de mesures fiscales nouvelles contenues dans le projet de budget 2013. Ce texte, comme vous le savez, a été adopté en Conseil des ministres et transmis au Parlement afin qu’il soit étudié en commissions et par suite soumis au vote de l’assemblée plénière. C’est somme toute une manœuvre assez subtile de contourner l’immobilisme législatif concernant la loi de finance, et de procéder à la refonte de certains textes obsolètes et à l’augmentation des recettes publiques au motif et sous le couvert de l’intérêt national visant à éviter de creuser le déficit et à lier toute nouvelle dotation de dépenses à l’augmentation ou à la création de recettes.

Quels sont selon vous les avantages et désavantages du projet de budget 2013 ?
Les désavantages de ce projet sont nombreux et, à défaut de dextérité, je n’évoquerai ici que les plus marquants, à savoir : c’est, d’abord, un budget sans vision ni saveur qui n’exprime aucune politique économique précise ni stratégie à moyen ou long terme. Nous constatons aussi un acharnement à maintenir certaines dispositions injustes et inéquitables, pour ne pas dire clientélistes, comme les nombreuses amnisties ou régularisations des infractions aux lois ou la volonté de maintenir des exemptions discriminatoires par l’abaissement d’impôt sur les plus-values résultant d’une réactualisation exceptionnelle de certains actifs circulants pouvant favoriser les gains spéculatifs (notamment immobiliers), et priver l’État de ressources budgétaires importantes et nécessaires. Il a aussi édicté et introduit une multitude de petites impositions indirectes (notamment des droits et taxes sur les factures, reçus, permis, boissons, notaires, etc.) qui sont de nature à accentuer encore plus le déséquilibre assez marqué, par ailleurs, entre impôts directs et impôts indirects. Toutefois, et en dépit de ce qui précède, nous ne pouvons pas nier ou occulter un réel effort visant à introduire de timides mais louables reformes structurelles visant à plus de justice et d’équité (même si le chemin vers la consécration de ce principe est encore long). C’est une première, et ceci se manifeste notamment par la refonte de la fiscalité immobilière avec l’introduction d’un nouvel impôt touchant les particuliers et certaines personnes morales (hors du champ de l’IR), mais qui est contrebalancé par une série d’exemptions utiles favorisant la propriété privée et les détentions à long terme. Mais aussi, la ventilation du taux de TVA ou encore l’élargissement de l’assiette des contribuables par des mécanismes de double contrôle des déclarations et de retenue à la source d’un crédit d’impôt. N’avons-nous pas d’ailleurs longtemps reproché aux responsables leur manque d’action ou d’imagination pour pousser les agents économiques non déclarés (maktoumine) à sortir de leurs tanières et lutter ainsi contre l’économie souterraine qui prive le pays avec la corruption de près de trois milliards de dollars américains annuellement ?


Quelles sont vos recommandations pour un meilleur projet, notamment au vu de la conjoncture et sachant qu’un budget est un instrument de taille pour agir sur la conjoncture ?
En effet, l’outil budgétaire doit remplir le rôle premier qui lui est imparti et être de nature conjoncturelle avec en point de mire des réformes réelles et institutionnelles, et non pas des dispositions ponctuelles, circonstancielles et disparates qui se révèlent être le plus souvent inadaptées ou dépassées lors de leur mise en application. En fait, la question majeure que les décideurs devraient se poser aujourd’hui est celle de savoir comment améliorer les moyens et modalités de perception des impôts existants, stimuler l’activité économique et l’emploi, mais aussi réduire les inégalités par une meilleure protection sociale et une lutte contre la corruption et le gaspillage... une vision optimiste, productive et citoyenne qui s’inscrit dans la durée.

Ce chantier passe nécessairement par une réforme des finances publiques et des grands principes budgétaires. Plus précisément, par le remplacement du système actuel de dotation des dépenses par titres et chapitres, qui reflète une logique de moyens, à celui de résultat par une articulation du budget en missions et programmes destinés à mettre en œuvre une action ou un ensemble cohérent d’actions liées à la politique ministérielle. Cela aura pour conséquence l’instauration de projets de performance dans lesquels des objectifs sont donnés par les ou aux ministères. Ce qui permet un contrôle à posteriori de l’accomplissement de ces objectifs par le biais des rapports annuels de performance présentés par les différents ministères qui doivent dès lors rendre compte de leur action en mettant en évidence les résultats obtenus au regard des moyens mobilisés par le Parlement. À défaut, ils encourent une responsabilité politique qui peut aller de la motion de censure au vote de confiance. C’est à ce titre d’ailleurs que le débat sur la loi de règlement se trouve être, dans toute démocratie parlementaire, le temps fort du contrôle et de l’évaluation parlementaire basée sur des rapports annuels clairs, audités et transparents.

 

 

Lire aussi

Chevron, Exxon et Shell parmi les 52 sociétés intéressées par le pétrole libanais

 

« Pour relancer la croissance au Liban, il faut privatiser les télécoms et EDL »

 

Jeunes diplômés et marché libanais de l’emploi : « Je t’aime, moi non plus »
Question - Pourquoi n’a-t-on pas réussi, depuis 2005, à avoir un budget approuvé et voté par la Chambre ? Réponse - Il faut savoir que le domaine des finances publiques, dont le budget (ou plus précisément la loi de finance), qui ne constitue qu’une variante, est marqué par l’importance et la primauté des normes constitutionnelles. En effet, il convient de noter que l’article 87...
commentaires (1)

NON ! Il a une vision, comme tous les budgets jusqu'à présent ( illusoires car jamais déclarés ou publiés ). C'est de plonger le pays toujours plus profondément dans les dettes, de le rendre plus fragile aux interventions étrangères, et de faire des riches, LES ÉTOILÉS ET LEURS PARENTS EN PREMIÈRE LIGNE, plus riches et le commun des citoyens toujours plus pauvres...

SAKR LOUBNAN

07 h 55, le 15 avril 2013

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • NON ! Il a une vision, comme tous les budgets jusqu'à présent ( illusoires car jamais déclarés ou publiés ). C'est de plonger le pays toujours plus profondément dans les dettes, de le rendre plus fragile aux interventions étrangères, et de faire des riches, LES ÉTOILÉS ET LEURS PARENTS EN PREMIÈRE LIGNE, plus riches et le commun des citoyens toujours plus pauvres...

    SAKR LOUBNAN

    07 h 55, le 15 avril 2013

Retour en haut