Rechercher
Rechercher

Culture - Exposition

Les corps féminins en souffrance de Manar Ali Hassan

« Il faut bien faire quelque chose de la douleur », disait Marguerite Duras. L’artiste multidisciplinaire émergente a souhaité la refléter dans son travail pour sa première exposition solo à la galerie Janine Rubeiz .

Les corps féminins en souffrance de Manar Ali Hassan

Manar Ali Hassan, « Imprinting the Forces and Trapping Convulsive Figures » (« Imprimer les forces et piéger les figures convulsives) - série 1, 2019, acrylique sur organza, 180 x 80 cm. Crédit photo galerie Janine Rubeiz

« Sagas of Painful Bodies » (« Sagas de corps en souffrance »), l’exposition de Manar Ali Hassan à la galerie Janine Rubeiz se fait l’écho des luttes acharnées et de la résilience des femmes. Elle plonge dans les méandres personnels des femmes qui vivent dans un corps douloureux, notamment 7 d’entre elles qui, tout comme l’artiste, sont libanaises et toutes atteintes de fibromyalgie, une maladie difficile à diagnostiquer, silencieuse, insidieuse, chronique et souvent génétique. Cette affection, caractérisée par des douleurs diffuses persistantes et une sensibilité à la pression, provoque d’autres symptômes, comme une fatigue intense et des troubles du sommeil, entre autres. À la tête de la galerie Janine Rubeiz, Nadine Begdache défend ce choix qu’on lui reproche d’être sombre en invoquant la nécessité d’évoquer le thème de « cette douleur qui est intrinsèque à nos vies depuis longtemps, et surtout depuis l’explosion du 4 août, qui engendre des douleurs morales, physiques et psychologiques ». « Moi qui réfléchis à cela, qui le vis dans ma chair et qui l’exprime de façon artistique, je me dois absolument de l’exposer, explique-t-elle. Il ne s’agit pas de solliciter l’empathie du public mais de mettre en valeur une thématique capitale. »

Lire aussi

Huguette Caland, Ahmad Ghossein : deux artistes, deux périodes libanaises

Manar Ali Hassan est née à Beyrouth en 1980. Elle est titulaire d’un master en arts visuels de l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA) depuis 2019. Sa trajectoire artistique reflète une quête incessante d’expression de soi et d’une profonde fascination pour la condition humaine.

Pour ce faire, Manar Ali Hassan aborde les récits de la maladie chronique et des mouvements corporels à travers son expression artistique, et met en exergue des expériences bouleversantes ainsi que leurs portées implicites. Son approche artistique tend par ailleurs vers des questions existentielles plus profondes. Elle tisse des liens poétiques entre l’identité, les expériences personnelles et les préjugés sociaux qui appellent à l’introspection. Et donne une dimension artistique percutante à la souffrance de ses compagnons d’armes. Manar Ali Hassan raconte leurs histoires à travers des créations hommages à leur combat et leur ténacité face à l’adversité d’une maladie chronique et aux épreuves qu’elle suppose.

Dans ce projet « Sagas of Painful Bodies », composé d’installations, de motifs d’impression et de vidéos, essentiellement en noir et blanc, Manar Ali Hassan utilise l’art pour plonger dans les récits de la maladie chronique et des gestes physiques. Elle révèle des expériences dérangeantes, leurs implications sur les corps qui les subissent. Le ton est donné d’emblée en pénétrant dans la galerie : tout de suite à gauche, The Divine Magician, un édifice construit à partir de boîtes de médicaments anxiolytiques et antalgiques, met en garde contre le consumérisme des sociétés capitalistes, l’excès d’usage de médicaments qui soulagent la douleur mais affectent le cerveau. Le montage, que Manar Ali Hassan a souhaité très rigide, voire industriel, peut, si l’on fait quelques pas en arrière, rappeler une silhouette humaine, « exutoire à la mécanisation des prises médicamenteuses ». « La couleur compense la rigidité du symbole », souffle l’artiste.

Manar Ali Hassan, « Imprinting the Forces and Trapping Convulsive Figures » (« Imprimer les forces et piéger les figures convulsives ») - série 3, figure 6 2019, encre et broderie sur divers matériaux, 29,7 x 21cm. Crédit photo galerie Janine Rubeiz

7 femmes pour 7 expressions variées

Les différents supports se déclinent souvent en 7 représentations pour les 7 femmes qui font l’objet de cette exposition. C’est le cas notamment de la série de photos Burning Traces qui expriment les contorsions corporelles qu’induit la fibromyalgie, ses niveaux d’intensité et de chronicité. Une des vidéos relate l’échange de Manar Ali Hassan – qui a une fibromyalgie héréditaire – avec sa mère. Pour soulager la douleur, la jeune femme est obligée d’exercer une pression très forte qui laisse des marques. « Ma façon de la maîtriser », confie-t-elle. Un peu plus loin, sept panneaux en organza symbolisent les corps des 7 femmes, chacune atteinte différemment, mais qui finissent par n’en former qu’un, entièrement rongé par la maladie. Une deuxième vidéo, Once Upon a Life, raconte le vécu et le ressenti de ces 7 femmes qui s’expriment en arabe, mais sont traduites en anglais. « Ce travail est une démarche narrative », raconte Manar Ali Hassan, qui a rassemblé des données, des entrevues et toutes sortes de rapports médicaux parce qu’elle ne voulait pas se baser sur sa seule expérience.

Manar Ali Hassan, « Sagas of Painful Bodies Burning » - traces 4, 2022 - papier Epson pressé à froid - 45 x 58 cm. Crédit galerie Janine Rubeiz

La maladie étant jusqu’à présent incurable, l’artiste a également imprimé sur du linceul le numéro de la carte d’identité des 7 femmes et les points sensibles qui diffusent la douleur ainsi que son intensité chez chacune d’elles. Pour ces points sensibles, seuls représentés par opposition à l’ensemble du corps, elle utilise plusieurs matières et profondeurs car la douleur ne se manifeste pas toujours de la même manière mais reste présente.

Dans un autre segment de l’exposition, Manar Ali Hassan travaille le point de couture, toujours sur de l’organza, un art pour elle à l’origine exclusivement féminin qu’elle juxtapose avec du papier calque ou d’enveloppe pour ses imprimés sur matières. Des motifs qui expriment, « que vous le croyiez ou non », argue-t-elle, « que la douleur, loin d’être linéaire, est enrichissante ». Une douleur qu’elle extrapole puisqu’elle n’est plus seulement sienne ni celle de 7 femmes, mais aussi celle de tout un peuple depuis le cataclysme du 4 août 2020 qui a imposé une sorte de rupture dans son travail et qu’elle distille sur la ville de Beyrouth en toile de fond dans les œuvres qui lui sont réservées.

À la galerie Janine Rubeiz jusqu’au 31 mai.

« Sagas of Painful Bodies » (« Sagas de corps en souffrance »), l’exposition de Manar Ali Hassan à la galerie Janine Rubeiz se fait l’écho des luttes acharnées et de la résilience des femmes. Elle plonge dans les méandres personnels des femmes qui vivent dans un corps douloureux, notamment 7 d’entre elles qui, tout comme l’artiste, sont libanaises et toutes atteintes de...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut