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À La Une - Le point

La révolte des 33 îles

Le maintien cette année du Grand Prix de formule l, après son annulation l’an dernier, devait marquer le retour à la normale après quatorze mois de violences. Au lieu de quoi la course a permis à l’opposition de tirer un maximum de profit de la présence d’un nombre important de journalistes pour défendre sa cause et mettre en relief l’incapacité du pouvoir en place à réaliser les réformes promises. La crise de Bahreïn, ou l’exemple-type du fameux phénomène de boomerang...
Depuis la date du 22 avril, le cours des événements a subi une brusque accélération. Mardi, les forces antiémeute ont dispersé à coups de grenades lacrymogènes et de bombes assourdissantes des manifestants qui tentaient de s’approcher de l’ancienne place de la Perle, haut lieu des rencontres contre le régime avant le démantèlement du monument dont il tirait son nom. Simultanément, des marches de protestation se déroulaient dans le quartier de Jidhafs pour réclamer la libération d’un militant des droits de l’homme, Abdel-Hadi al-Khawaja, des affrontements éclataient en plusieurs autres points et les tirs des forces de l’ordre faisaient une victime. Le même jour, quatre policiers étaient blessés par l’explosion d’une bombe artisanale à Diraz, à l’ouest de Manama – une première depuis le début de la crise. Dans l’antique Delmon sumérienne (le paradis perdu, à en croire diverses sources), la tension monte dangereusement et l’inquiétude gagne l’ensemble des États de la région.
Tout commence en Tunisie puis se poursuit en Égypte avant que la contagion ne se propage. Sur la carte, Bahreïn est un archipel composé de 33 îles abritant des dizaines de grandes banques et une base de la Ve Flotte américaine. Le royaume est relié à l’Arabie saoudite par un pont de 25 kilomètres, emprunté en mars 2011 par un contingent de quelque 1 200 soldats saoudiens venus prêter main-forte au petit voisin, menacé par la rébellion qui frappait déjà à ses portes. Depuis, une course contre la montre se trouve engagée entre des autorités qui installent graduellement un système permettant de modifier la configuration sociocommunautaire, et, partant, économique, et une opposition qui vient de passer à la vitesse supérieure après s’être longtemps contentée de grignoter de menus avantages.
En l’espace de quelques mois, le régime a procédé à un sérieux tour de vis, réagissant au coup par coup à toute tentative, même timide, de manifestation, lâchant les agents de l’Agence nationale de sécurité (un organisme ultrasecret dont on chercherait en vain la justification dans des documents officiels) qui embastillaient des chefs de file de la contestation et recourait même aux services de firmes de relations publiques pour faire parvenir ses messages à l’opinion internationale. Dans le même temps, on signalait un net accroissement du nombre de naturalisations d’étrangers appartenant à une communauté déterminée, importés au titre de travailleurs. Dans le camp adverse, on est passé en un court laps de temps des revendications en faveur de réformes aux slogans réclamant une monarchie constitutionnelle – ou même à l’abolition pure et simple de celle-ci –, des pouvoirs accrus pour le Parlement, un gouvernement élu et la fin des tripatouillages électoraux dont les chiites se disent victimes. En janvier dernier, une commission d’enquête indépendante présidée par Cherif Bassyouni, un éminent professeur de droit américano-égyptien, avait élaboré un programme d’action censé mettre fin à la crise et le monarque annonçait quelques amendements. Initiative jugée trop timide et survenant trop tard.
C’est que, dans l’intervalle, la crise a été politisée, un dérapage inévitable dans la conjoncture régionale actuelle et s’agissant d’une population comportant plus de 70 pour cent de chiites gouvernés par une minorité sunnite. À Manama, il n’est plus question que du bras de fer désormais engagé entre la monarchie wahhabite et la République islamique, encore qu’aucune preuve ne soit venue étayer l’accusation d’immixtion des Iraniens dans les affaires intérieures du minuscule voisin. À la tension grandissante entre les deux grands pôles régionaux s’ajoute le fait que la Cour elle-même paraît divisée en deux camps, le premier conduit par le prince héritier Salman ben Hamad al-Khalifa, un réformiste diplômé de l’université de Cambridge, le second mené par le prince Khalifa ben Salman al-Khalifa, chef du gouvernement depuis 1971, qui jouit de l’aval saoudien et de l’appui des responsables de la sécurité.
C’est, bien plus que le programme nucléaire de l’ayatollah Khamenei – un danger que les généraux israéliens cherchent présentement à minimiser –, la marmite bahreïnie qui présente le plus de risques. Que le verrou, sous l’effet des poussées internes ou victime des rivalités familiales, vienne à sauter et l’on assistera à l’embrasement de l’ensemble du Golfe. Avec, pour la planète, les conséquences qu’il est aisé d’imaginer.
Le maintien cette année du Grand Prix de formule l, après son annulation l’an dernier, devait marquer le retour à la normale après quatorze mois de violences. Au lieu de quoi la course a permis à l’opposition de tirer un maximum de profit de la présence d’un nombre important de journalistes pour défendre sa cause et mettre en relief l’incapacité du pouvoir en place à...

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