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Lifestyle - Photo-roman

Sur l’autoroute des vacances, déjà...

Photo G.K.

C'était à cette période de l'année. À l'approche de la fin juin, lorsque le ciel se trempe au bleu des piscines, que l'air se sucre aux fruits mûrs et au blé dur, et que les peaux commencent à se chamarrer sous un soleil qui fait ventre. Pendant que nos professeurs finissaient de faire grincer le reste des craies de leur acrimonie en pleurant un « programme qu'on ne terminera jamais », nous étions déjà exilés sur l'autoroute de nos vacances. Ligotés à ces bancs de la galère d'où nos petits pieds n'atteignaient même pas le sol, on s'imaginait sautillant au-dessus des clochetons bruns et boursouflés de nos châteaux de sable qu'on érigeait sur les plages de Jiyeh. Ou enfourchant un vélo, décollant au creux de la liberté et, bientôt, se découvrant Peter Pan survolant un champ de pommiers à Laklouk. Derrière les grillages de la corvée, nous passions le temps à faire griller les marshmallows de nos songes d'été sur le brasero de l'attente, contant puis décomptant toutes les minutes qui nous séparaient des « grandes vacances » qui se faisaient attendre. C'était ainsi de tout été, de toute éternité.

Sohat dans le congélateur
Les fins d'années scolaires avaient donc les mélancolies aigres-douces qui convenaient pour faire de cette quasi-sortie de prison un voyage lent et doux, où le temps qui a passé fait un bruit de page de calendrier qui se déchire. Et où les premières amours enfouies se retournent enfin comme des promesses de parasol qui se retroussent. Même les matins qui avaient l'habitude de tronçonner sans pitié nos sommeils paisibles à des heures inhumaines devenaient plus tendres en cette période de l'année. Surtout quand on troquait la chemise pour un polo flairant bon l'été dernier et qu'on démarrait la journée avec une bouteille de Sohat qui avait passé la nuit dans le congélateur. Les cours aussi avaient l'air de passer plus vite, précipités par les battements de nos éventails en papier qui brassaient l'air d'une indolence certaine, malgré les menaces réitérées de la prof de SVT : « Plus tu bouges et plus tu auras chaud ! » Au moment de la récré, prémices de vacances et promesses de vacuité, on découvrait dans nos cartables plus gros que nous, enveloppés dans un papier alu, tous ces petits riens qui sonnent le glas des pénitences. Des jararingues avec leurs mini-sachets de sel que la classe piquait au pauvre nerd à lunettes, des cerises, des abricots et des nèfles cueillis avant l'heure. Sinon, sous le préau, on s'abattait comme une horde de mouches voraces sur le frigo à glaces, posé là comme une certitude que l'année est bien sur le point de s'achever. Ces sticks bariolés, achetés 500 LL, faisaient scintiller nos petits cœurs candides en chantier de l'adolescence, tout comme les échafaudages de nos appareils dentaires.

Nombrils au Swarovski
Et dans cette agitation hormonée, se surexposait l'anxiété, une fois l'été venu, que notre bande de copains nous oublie, qu'elle nous échange contre un autre. Alors, enjoués et enthousiastes, pas compliqués et pas blasés, nous mitonnions les plans des vacances dans un crescendo de cris de voix mutantes. On disait « Jure ! », « Je jure par ma vie », « Imagine, imagine ! » Et on comptait sur nos deux mains ce qu'il nous restait comme nombre d'années de détention, avec les yeux tout ronds rivés sur le bizutage de ceux qui passaient le bac. Ces « plus grands que nous » vivaient aussi, à leur manière, cette même délicieuse déliquescence prévacances. En classe, ils se fichaient comme de leur premier bavoir de savoir si Édith Cresson a été Premier ministre sous le mandat Mitterrand avant ou après Michel Rocard, pourquoi le logarithme naturel de zéro n'est pas défini ou encore comment le freemartinisme se manifeste chez les jumeaux. Ils se préoccupaient plutôt de cette boule puante prête à botter les fesses à toutes les règles de discipline. Ou griffonnaient de leurs mains imbibées d'encre sur leurs chemises qui libéraient déjà nombrils décorés de Swarovski et reins tatoués d'une chinoiserie alphabétique ou d'un dragon nébuleux. Sans crainte aucune de ces surveillants espions qui sillonnent les cours et rasent les murs épinglés à leurs avertissements et leurs retenues. Mais avec pour seul souci de rendre cette dernière copie et s'en débarrasser au plus vite. Se frayer un passage au milieu des « Tu as répondu quoi au 2b ? », « Tu as eu 2.5 comme réponse finale à l'exercice 3 ? », « Je n'ai eu que des faux au vrai ou faux ! »
Et après ? Après, partir pour ces étés qu'on voudrait déjà éterniser et qui vieillissent de plus en plus vite.

 

Chaque samedi, « L'Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ sera une photo. C'est un peu cela, un photo-roman : à partir de l'image, shootée par un photographe, on imaginera un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c'est selon...

 

 

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C'était à cette période de l'année. À l'approche de la fin juin, lorsque le ciel se trempe au bleu des piscines, que l'air se sucre aux fruits mûrs et au blé dur, et que les peaux commencent à se chamarrer sous un soleil qui fait ventre. Pendant que nos professeurs finissaient de faire grincer le reste des craies de leur acrimonie en pleurant un « programme qu'on ne terminera...

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Vive les vacances Adieu les pénitences. On va mettre l'école en feu et les professeurs au milieu.

Un Libanais

13 h 43, le 18 juin 2016

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Commentaires (1)

  • Vive les vacances Adieu les pénitences. On va mettre l'école en feu et les professeurs au milieu.

    Un Libanais

    13 h 43, le 18 juin 2016

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