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Liban - Barrage de Janné

Barrage de Janné : les avis des experts brouillent la donne

Va-t-on droit vers la plus grande catastrophe géologique et environnementale du Liban ? Ou, au contraire, est-on en train de passer à côté du projet qui sauvera Beyrouth et Jbeil de la pénurie d'eau ? Entre études et contre-études, avis d'expert contradictoires, données scientifiques et chiffres qui ne se recoupent pas, la polémique entourant le barrage de Janné est loin d'être close, tandis que citoyens, politiques et activistes, eux, ne s'y retrouvent plus du tout.

Une des plus belles vallées du Liban défigurée par un projet dont les inconvénients seraient plus importants que les avantages. (Capture d’écran/Lebanon eco movement/ facebook)

Afin de faire face à la contestation grandissante autour du projet du barrage de Janné, le ministère de l'Énergie a organisé hier une conférence de presse à l'hôtel Hilton, à Sin el-Fil, dans le but de faire la lumière sur tous les aspects du dossier et répondre aux détracteurs de ce projet.

Présent dans l'assistance, l'ancien ministre de l'Énergie et actuel ministre des Affaires étrangères, Gebran Bassil, a défendu le projet et critiqué les réactions du ministère de l'Environnement. « Le barrage de Janné est un projet stratégique pour notre sécurité en matière d'eau et d'environnement, et il faudra qu'il y ait une raison très importante pour suspendre ce projet », a-t-il indiqué. Il a répondu aux opposants au projet, qui devrait alimenter Beyrouth et Jbeil en eau potable, en assurant qu'il n'y avait pas d'infiltration d'eau sur le site. Concernant le rapport allemand de l'Institut fédéral de géosciences et de ressources naturelles (BGR) défavorable à la construction du barrage, il a estimé que cette affaire était « terminée depuis quatre ans ». « À Karaoun (où se trouvent un lac artificiel et un barrage), il y a la plus grande faille sismique du pays. Il n'a pas été prouvé qu'il y a des failles sismiques à Janné », a indiqué M. Bassil.
« Ils se plaignent parce nous avons coupé 5 000 arbres alors que 3 400 permis sont donnés annuellement pour couper des arbres et que 90 000 tonnes de charbon de bois sont produites. Nous planterons 50 000 arbres à la place, a-t-il dit. Que le ministère de l'Environnement poursuive ceux qui font du charbon de bois. L'eau, elle, permet aux arbres de pousser. Qu'il respecte les études d'impact environnemental dans les décharges de Costa Brava et Bourj Hammoud », a ajouté M. Bassil, sous les applaudissements de l'assistance. Il s'est ensuite attardé sur ceux qui mettent des bâtons dans les roues du projet, mentionnant sans le nommer « un ancien Premier ministre qui a demandé de ne pas donner la permission de creuser à Janné à l'aide d'explosifs ». « Cent millions de dollars ont déjà été payés, les arbres ont été abattus et l'endroit a été creusé », a-t-il souligné pour signifier que le projet était bel et bien entamé.
Le ministre de l'Énergie, Arthur Nazarian, a pour sa part dénoncé « l'exploitation aléatoire » des eaux souterraines. « Les puits artésiens sont surexploités et pollués, l'eau potable y est mêlée à l'eau salée de la mer et aux eaux des égouts », a-t-il dit.


(Lire aussi : M. Machnouk : Le problème n'est pas politique mais technique)

 

Alain Yziquel, constructeur de barrages et représentant du groupe d'ingénierie international Artelia, a quant à lui estimé que « la qualité du rocher sur lequel le barrage va être construit est excellente. Les failles ont été reconnues comme étant étanches car il s'agit d'un massif dolomitique ». « Pas un barrage de ce genre n'a bougé dans le monde selon une enquête du comité américain des barrages publiée en février 2004 », a-t-il souligné. Selon M. Yziquel, un grand barrage est beaucoup plus sûr que les petits barrages, qui avaient été proposés comme solution alternative. « Avec les petits barrages, on sous-estime les risques et il faut à chacun un évacuateur de crue. Le grand barrage permet de concentrer l'eau au creux de la vallée, et de ce fait il y a moins d'évaporation et une maîtrise des crues plus facile », a-t-il expliqué.

Adel Abou Jaoudé, représentant de la firme Khatib et Alami impliquée dans la construction du barrage, a ensuite exposé l'étude faite par son institution et qui démontre que les résultats du rapport BGR sont faussés et que le barrage ne présente pas d'infiltration ni de risque sismique.
Ata Élias, chercheur en géophysique, a finalement indiqué que les failles sismiques sont éloignées de l'emplacement du barrage et qu'il n'y a pas de faille sismique active sur le site du barrage. Pour lui, il n'existe pas non plus de risque de rupture du barrage en cas de séisme.

 


Une vidéo postée par Paul Abi Rached, président du Mouvement écologique libanais (LEM)

 

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Wilson Rizk : Le barrage risque de s'écrouler à cause d'un déplacement des roches

« Tout ce que Gebran Bassil a dit aujourd'hui (hier) est mensonger et constitue une sorte de désinformation. Ils disent que le site est étanche mais la roche est calcaire et cela ne peut pas fonctionner pour un barrage », a indiqué à L'Orient-Le Jour Wilson Rizk, expert en environnement et géologie.
« Ils disent qu'il n'y a pas d'activité sismique à Nahr Ibrahim alors que c'est tout le contraire.
Cette activité sismique constitue un danger pour tous les barrages présents dans la région, a-t-il dit. Le bassin de Nahr Ibrahim est situé entre deux grandes failles géologiques, celle de Yammouné et celle se trouvant dans la mer, en face du littoral libanais.
Entre ces deux failles, l'emplacement comporte d'autres fissures qui ont une activité sismique », a souligné l'expert.
« Il existe un déplacement des rochers dans cette région de 5 mm par an, en hauteur et horizontalement, selon une étude du centre national de recherche géophysique de Bhannès. Dans 10 ans, ce déplacement aura atteint 5 cm. Il y a donc danger de fissures dans le barrage et d'effondrement », a-t-il conclu.


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Samir Zaatiti : Les foreurs ont trouvé beaucoup de porosité à Janné

Selon l'hydrogéologue Samir Zaatiti, le site de Janné est formé de roches castiques, fracturées et fissurées, solubles dans l'eau. « On ne fait pas de barrages sur des castes. L'eau s'infiltre en dessous et crée des cavités qui pourront à la longue mener à l'effondrement du barrage, a-t-il dit. La zone n'est pas étanche. Près de 35 % du volume d'eau de Nahr Ibrahim alimente Jeïta. Il y a infiltration de la zone, donc toute fondation pourra s'effondrer. »
Il a en outre remis en cause l'étude de Khatib et Alami, indiquant que « les Libanais ne sont pas calés pour faire des travaux hydrogéologiques ». Quant aux conclusions du chercheur Ata Élias en matière de danger sismique, il estime que ce dernier « n'a pas fait de terrain » et que « ce qu'il dit reste à prouver ». « La faille de Yammouné et celle de la mer sont actives. Le Liban est un pays montagneux, non convenable pour les barrages », a-t-il dit avant d'ajouter : « Certains foreurs travaillant sur le site de Janné m'ont révélé qu'ils y ont trouvé beaucoup de porosité. »

 

(Lire aussi : Des alternatives au barrage de Janné pourraient être proposées dans les prochains jours)

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De Freige réclame une étude d'impact effectuée par une société neutre

« Les études sismiques et d'impact environnemental concernant le barrage de Janné sont alarmantes, a affirmé le ministre d'État pour la Réforme administrative, Nabil de Freige, à
L'Orient-Le Jour. Les études du CNRS et celles de la société Gicome, demandées par le ministère de l'Environnement au ministre de l'Énergie, Arthur Nazarian, ont donné un avis défavorable. C'est ce qui a gêné le camp Bassil, d'autant que Nazarian est dans son camp », a-t-il dit.
M. de Freige considère par ailleurs que l'étude d'impact faite par la société Khatib et Alamy aurait dû être menée par une autre société, « en raison du conflit d'intérêts ». « M. Bassil utilise aujourd'hui une étude faite en 2007-2008 pour un ancien site pour le barrage et qui a été déplacé depuis. Je ne sais pas comment le Conseil des ministres n'a pas remarqué cela. Le ministère de l'Environnement a demandé une nouvelle étude d'impact en 2013, à laquelle Bassil n'a jamais répondu », a-t-il indiqué.
« J'ai proposé que le Premier ministre contacte la Banque mondiale qui finance de grands barrages dans le monde. Elle pourra choisir et envoyer une société neutre qui effectuerait les études nécessaires sur le terrain. S'ils disent que le projet est faisable, nous accepterons sans hésiter. M. Bassil a catégoriquement refusé cette proposition », a expliqué M. de Freige. Selon lui, il s'agit clairement d'une « affaire électorale, alors qu'il faut à tout prix que ce soit une affaire technique ».


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Une nouvelle expertise internationale est nécessaire, affirme Derbas

Le ministre des Affaires sociales, Rachid Derbas, a plaidé hier « pour un recours à une expertise internationale respectable » sur le barrage de Janné.
Dans une déclaration à la Voix du Liban, il a affirmé que « le ministre de l'Environnement Mohammad Machnouk, qui a exprimé des réserves concernant l'édification du barrage, s'est basé sur un rapport qui dit une chose et son contraire ». Ce rapport contradictoire, établi par une entreprise nommée par le ministère de l'Énergie, « appelle lui-même à la poursuite des études pour s'assurer que la construction du barrage ne présente pas de danger ».


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Raja Noujaim : la décentralisation comme alternative au barrage

Raja Noujaim, coordinateur général de la Coalition civile contre le projet du barrage de Janné, a critiqué hier les propos du chercheur Ata Élias qui, pour lui, constituent un genre de « faux témoignage », ou plutôt « désinformation » du fait de leur aspect non scientifique (quelques mois de travail) au regard des conclusions du CNRS Libanais dirigé par le Dr Alexandre Sursock. Ces conclusions sont le fruit de « longues décennies d'études scientifiques » et « parlent de contexte tectonique général et d'aléa sismique ( non pas de failles spécifiques seulement) conjugués à un milieu calcaire fortement karstifié et fracturé » , précise-t-il.

« Dans notre région, le calcaire, le calcairedolomitique et le dolomite s'entrecroisent. L'emplacement comporte des fissures du jurassique ainsi que des failles sismiques. Mettre autant d'eau dessus met en danger le déplacement naturel des rochers », a-t-il expliqué.
Privilégiant l'exploitation des eaux souterraines à l'édification du barrage, M. Noujaim a indiqué : « Les eaux souterraines renouvelables sont de 3,2 milliards de m3 par an alors que les eaux de surface sont de 1,3 milliard de m3. » « Une alternative de décentralisation de la distribution de l'eau va être proposée bientôt lors d'une conférence organisée avec le ministère de l'Environnement », a-t-il révélé.

 

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Afin de faire face à la contestation grandissante autour du projet du barrage de Janné, le ministère de l'Énergie a organisé hier une conférence de presse à l'hôtel Hilton, à Sin el-Fil, dans le but de faire la lumière sur tous les aspects du dossier et répondre aux détracteurs de ce projet.
Présent dans l'assistance, l'ancien ministre de l'Énergie et actuel ministre des Affaires...

commentaires (8)

Le "Vol" qui consistait à "planer" pour dérober et à temps se dérober n'est plus permis, maintenant qu'il n'y aura plus à attendre de merci de la part de ce Pays !

ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

14 h 00, le 04 juin 2016

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Commentaires (8)

  • Le "Vol" qui consistait à "planer" pour dérober et à temps se dérober n'est plus permis, maintenant qu'il n'y aura plus à attendre de merci de la part de ce Pays !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    14 h 00, le 04 juin 2016

  • Un ministre des Affaires étrangères qui se mêle d'un barrage hydraulique, un ministre de l'environnement qui se mêle des Affaires étrangères, un troisième ministre de l'intérieur qui accusent les Anglais et les Saoudiens de mettre leur nez dans l'élection présidentielle. C'est cela le Liban.

    Un Libanais

    11 h 59, le 04 juin 2016

  • "...il s'agit clairement d'une affaire éléctorale...(concernant G.Bassil)" Nous y sommes! Le problème de base dans ce malheureux pays est que nous ne pouvons plus faire confiance à aucun de ces RESPONSABLES POLITIQUES, tellement ils sont TOUS corrompus ! Nous constatons depuis des années que tout ce qu'ILS entreprennent est toujours pour leur propre intérêt. ILS n'en ont rien à faire que nous, le petit peuple, subissions chaque jour les conséquences de leur gestion désastreuse de ce pays. Tout ce qu'ils méritent c'est que le diable les emporte vite...pour laisser la place à des Libanais honnêtes et capables, il en existe encore heureusement ! Irène Saïd

    Irene Said

    11 h 07, le 04 juin 2016

  • Nabil de Freige a parfaitement raison. Le PM Mr Tamama Salam devrait demander une etude de la Banque Mondiale dont la neutralite ne pourrait etre mise en cause surtout qu elle finance deja le barrage de Bisri. Entretemps le PM devrait exiger l arret immediat des travaux, par la force si necessaire On ne peut continuer a perdre le temps entre etudes et contre etudes et entretemps poursuivre les travaux grace a l obstination politique et financiere de Gebran Bassil. Question subsidiaire: Est il vrai que la societe bresilienne chargee des travaux du barrage de Janneh vient d etre inculpee de corruption au Bresil?

    Jihad Mouracadeh

    08 h 59, le 04 juin 2016

  • A MON HUMBLE AVIS... UN LAC ARTIFICIEL OU BARRAGE EMBELLIT LA NATURE ET NON LE CONTRAIRE ! MAINTENANT LES DIFFERENTS SONT SANS AUCUN DOUTE SUR MINE BEDDOU YEKHOD IL LATTA OU YEKOL IL BATTA... KILLON BIDDON YEKLOU BATT MA RICH... DU FOLKLORE LIBANAIS HABITUEL... QUAND AUX EXPERTS... CHAQUE PARTIE POURRA EN ACHETER DES RAPPORTS EN TAS...

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 38, le 04 juin 2016

  • Espérons que les hordes mongoles reviennent, avant que ceux-ci n'aient déjà tout détruit !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    03 h 57, le 04 juin 2016

  • Il va "empocher" combien, lui ?

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    03 h 52, le 04 juin 2016

  • On dirait, déjà, une carrière dans le "Pur style" Fattoûche !

    ANTOINE-SERGE KARAMAOUN

    03 h 50, le 04 juin 2016

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