Ce dimanche, le dernier épisode du feuilleton des élections municipales sera diffusé sur toutes les chaînes locales et les Libanais pourront échanger des félicitations pour le succès de cette opération démocratique. L'inamovible système libanais aura ainsi reçu une bonne dose d'oxygène qui lui permettra de tenir le coup face aux tempêtes régionales annoncées pour les prochains mois. Consciemment ou non, l'orchestration médiatique contribue à donner aux citoyens l'impression d'une vitalité et d'un dynamisme politiques, alors qu'en réalité, sauf quelques rares percées, les élections municipales ont permis au système actuel de conforter sa position pour les prochaines législatives. Avec une grande habileté, les parties politiques se sont empressées de crier victoire lorsque leurs choix ont été validés par les électeurs. Mais lorsque les électeurs n'ont pas été au rendez-vous, la position de repli était de dire qu'après tout le scrutin municipal est un enjeu familial et de développement. En d'autres termes, ces parties sont les premières à revendiquer les victoires et les dernières à essuyer des défaites.
Ce qui reste le plus marquant dans ce feuilleton, c'est l'empressement de toutes les parties politiques à participer à ce scrutin, ouvertement ou non. Beaucoup d'explications ont été données à ce soudain sursaut démocratique. Il a été ainsi dit qu'en l'absence d'élections depuis six ans, les différentes parties étaient soucieuses de tester réellement leurs bases et les élections municipales ont constitué une sorte de sondage gratuit, voire une façon de tâter le pouls de la population. Une autre raison invoquée était la volonté de mesurer l'impact des alliances anciennes et nouvelles sur la population, surtout après de spectaculaires retournements de situation au sein du 14 et du 8 Mars. Dans ce sillage, les élections municipales auraient en quelque sorte servi de laboratoire, surtout après les scandales à répétition dévoilés dans les médias et après la crise des déchets dont les Libanais ont souffert pendant des mois.
De même, sur le plan sécuritaire, il s'agissait aussi d'un test à la fois pour les différents services et forces de sécurité, et pour les fauteurs de troubles, de Ersal à Saïda, en passant par les camps palestiniens et ceux des déplacés syriens.
Mais ce que l'on n'a pas dit, c'est que ce soudain intérêt des différentes parties politiques pour les municipalités a une autre dimension : les municipalités sont en effet appelées à recevoir des fonds et à jouer un rôle important dans la gestion du pays. De fait, selon une source diplomatique européenne à Beyrouth, la communauté internationale souhaiterait donner des fonds aux municipalités pour qu'elles soient en mesure d'accueillir les déplacés syriens et de les intégrer dans les villages et les localités en leur assurant les prestations élémentaires et éventuellement du travail. Considérant que les institutions de l'État sont affaiblies en l'absence d'un président de la République, et en présence d'un gouvernement qui fonctionne au ralenti et d'un Parlement presque inactif, la communauté internationale préférerait donc que les fonds consacrés « à aider le Liban qui accueille les déplacés syriens » aillent directement aux municipalités où le travail accompli peut être mesuré et apprécié. Pour les parties politiques qui souffrent d'un manque de liquidités et qui pâtissent de l'épuisement des sources de financement occultes, les municipalités constituent donc une manne inespérée et particulièrement convoitée, d'autant que leurs pouvoirs sont en train d'augmenter. On leur demande en effet désormais de gérer la crise des déchets, le développement décentralisé et la situation des déplacés syriens. Sans qu'une décision effective soit prise sur l'adoption d'un système de décentralisation administrative poussée, le pouvoir et le rôle des municipalités sont donc en train d'augmenter de facto. Ce qui, il y a quelques années encore était perçu comme une fonction mineure et provinciale est désormais considéré comme une position de pouvoir et d'influence qui suscite les convoitises.
D'où l'intérêt porté par la classe politique aux élections municipales, les conseils municipaux étant devenus non seulement un moyen pour mieux contrôler la base populaire mais aussi des caisses résonnant de pièces sonnantes et trébuchantes.
Face au refus de la plupart des pays occidentaux d'accueillir des déplacés syriens, la politique internationale se concentre donc sur la volonté de les maintenir dans les pays qui les accueillent déjà et en particulier au Liban où les institutions publiques sont suffisamment faibles pour ne pas être en mesure d'adopter des positions fermes de refus ou de fermeture des frontières. Le plus terrible dans cette approche, c'est que le Liban tout entier est actuellement mobilisé contre le refus de naturaliser les déplacés syriens, dont le nombre au Liban dépasserait le million et demi de personnes. Dans un bel élan de patriotisme, la classe politique mène d'une seule voix la bataille contre la naturalisation des déplacés syriens. Mais elle oublie de parler des réfugiés palestiniens dont un grand nombre est venu du camp de Yarmouk (près de Damas) pour s'installer au Liban. On parle d'environ 50 000, mais comme d'habitude il n'y a pas de chiffres officiels. Si les déplacés syriens ont des chances de rentrer chez eux, lorsqu'il y aura une solution à la crise syrienne, parce qu'ils ont une terre et un pays, les réfugiés palestiniens, eux, ne seront probablement pas autorisés à revenir en Syrie. Et c'est le Liban qui devra leur ouvrir les bras. Une campagne peut donc cacher la réalité et un déplacé en cacher un autre...
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commentaires (10)
Aliquid stat pro aliquo ! Une chose tient lieu d'une autre !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
08 h 40, le 27 mai 2016