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Lifestyle - Photo roman

Beyrouth, fille à marier

Chaque samedi, « L'Orient-Le Jour » vous raconte une histoire dont le point de départ sera une photo. C'est un peu cela, un photo-roman : à partir de l'image, shootée par un photographe, on imaginera un minipan de roman, un conte... de fées ou de sorcières, c'est selon...

Photo GK

Elle aurait tellement aimé se pointer devant un officier d'état civil madrilène ou berlinois, bien dans ses baskets Air Max rose bubble gum et raccourcie d'une minijupe noire qui lui aurait fait la jambe évasée et la fesse envasée, histoire d'horripiler le moindre cheikh ou prêtre regardant. Elle se rêvait arrivant dans une mairie chypriote, huilée de coco, dénudée du croupion et la poitrine échappée en fraude d'un marcel entaillé de frais qui ferait ainsi prendre l'air aux préjugés de ses proches. Elle aurait même concédé à la meringue blanche, à condition que celle-ci soit appareillée d'un corset tirant à bout portant comme celui de Madonna dans Like a Virgin. Sauf que la montagne russe de ses fantaisies colorées s'était lentement écaillée lorsqu'elle avait surpris sa maman enflant la baudruche de sa fierté et racontant à une voisine qu'elle allait « enfin marier sa fille ! » En l'espace d'un fragment de phrase, elle devenait complément d'objet direct. Elle mutait en objet, tout court.

 

« Ebn 3aylé »
Sur les pas de sa sœur aînée, de sa mère et de sa grand-mère avant elle, ses parents « l'avait arrangée », comme on se plaît à dire et jouer chez nous. Sa jeunesse, sa candeur accéléraient désormais le pas vers un passé reproduit et cette révérence gardée à un déterminisme parental, à un fatalisme familial. Le jeune prétendant qu'on lui avait justement choisi est le fils d'un cousin « éloigné » de son père. Un cousin donc, pour dire les choses comme elles sont, ayant fait fortune dans les télécoms en Afrique. « La même religion, la même communauté, la même éducation, les mêmes principes que nous. C'est un ebn 3aylé, un fils de famille, nous connaissons bien ses parents. J'avais vu un cheval blanc dans le marc de ma tasse et maintenant j'ai la tête tranquille », avait répété sa maman à ses 4 voisines, ses 3 sœurs, ses 8 cousines et ses 5 meilleures copines, en cognant à chaque reprise le bois de sa quotidienneté tranquille, persuadée que c'est le hasard qui avait bien fait les choses.

 

Tout est arrangé
La suite de l'histoire avait été écrite au millimètre près comme le calligraphe l'avait fait sur les cartons d'invitation. D'abord l'appartement réaménagé, les fauteuils retapissés, la vaisselle astiquée et l'argenterie dépoussiérée. Puis les parents qui reçoivent la belle famille et régalent pour l'occasion avec un pauvre agneau trop cuit et une liqueur de Bailey's, avant de battre le rappel des futurs mariés sur fond de zaghlouta, tonnerre de riz et dragées posées en cœur sur une nappe en dentelle et crochet. Et elle, au milieu de cette farce sordide, elle qui fait paratonnerre de son flegme, catapultée en milieu hostile, apprenant à négocier avec la méchanceté de sa destinée sur les conseils de sa grand-mère lui chuchotant : « Fais comme moi, ne discute pas. Fais-lui un garçon et mène une vie paisible, sans te tracasser la cervelle. Et souris. » Elle avait souri, sans rouspéter, sans contrer la moindre décision de sa maman ou ses tantes sur la question du grand jour. Tout lui avait été décidé, de l'organza de sa robe à l'ombrelle qui l'accompagnera « pour faire à l'européenne », en passant par les fleurs, le menu de la réception mais aussi le trousseau qu'on se passe comme une éducation à la sagesse.

 

Mettre le feu aux poudres
Dimanche dernier, le 8 mai, maquillée au masque des faux-semblants, parfumée au Oud du comme il le faut, allumée tel un torero par le rouge de la voiture de location qui la menait vers la cérémonie de mariage, elle avait décidé de tout arrêter. Elle avait forcé le chauffeur à rebrousser chemin : « Fonce, va loin !
Je ne sais pas où, mais loin d'ici », comme pour mettre des bâtons dans les roues d'un destin forcé. Elle avait laissé le romanesque ou le courage relever haut la traîne de sa robe façon Julia Roberts dans Runaway Bride. Et elle devenait de celles qui donnent rendez-vous à la liberté une fois la nuit tombée. Elle devenait celle qui coupe l'image et le son, faisant ainsi la nique à WhatsApp, Viber et Google Maps, fuyant l'armée rouge des coutumes saveur naphtaline, menant sa petite révolution au nom du changement.
On ne sait jamais si et quand elle reviendra. Ses proches sont convaincus qu'elle finira par refaire surface, retrouver « le droit chemin ». Que le confort finira par l'emporter quand son futur époux lui enverra un petit mot doux accompagné de quelques billets verts. Qu'importe, elle s'appelle Beyrouth et ce 8 mai, elle aura au moins essayé.

 

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Splendide!

Michele Aoun

06 h 42, le 13 juin 2016

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Commentaires (1)

  • Splendide!

    Michele Aoun

    06 h 42, le 13 juin 2016

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